Dr. Stone, Riichiro Inagaki et Boichi réveillent le shônen dans un manga qui mêle humour débridé et science-fiction post-apocalyptique.
Après la fin historique de titres allant de Kochikame à Bleach en passant par Gintama dont la fin est actée pour les mois à venir, le Weekly Shônen Jump fait peau neuve ! De ces changements deux titres sortent clairement du lot : The Promised Neverland et Dr. Stone.
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Le Jump a une devise « Amitié, Effort, Victoire ». À partir de ces trois mots des générations d’auteurs ont nourri la flamme du nekketsu, un souffle épique qui n’a eu de cesse de marquer les lecteurs de génération en génération. Car si en 2018 le magazine est en pleine mutation, il ne faut pas oublier qu’il est historiquement responsable de hits tels que Dragon Ball, One Piece, Ken le Survivant, Saint Seiya et Jojo’s Bizarre Adventure pour ne citer qu’eux. Lancé en 2017 et d’ores et déjà disponible chez Glénat, Dr. Stone fait partie de ces nouveaux arrivants qui réveillent le dinosaure de la prépublication.
Du passé faisons table rase ?
Pourtant, quand un titre comme The Promised Neverland va puiser ses racines dans l’ambiance de Death Note, Dr. Stone lui, fait table rase du passé pour proposer une histoire aux antipodes du Jump.
Et pour cause, Dr. Stone raconte l’histoire de deux amis adolescents Taiju et Senku. L’un est idiot mais gentil et droit, l’autre est un génie calculateur mais facétieux. Leur point commun ? Comme toute l’humanité c’est d’avoir subitement été changés en pierre par un flash de lumière. Plusieurs millénaires après l’événement, ils sortent de leur long sommeil avec l’idée en tête de rebâtir la civilisation de zéro. Confronté à une planète où la nature a repris ses droits ils vont devoir survivre et trouver un moyen de quitter ce nouvel âge de pierre.
À l’inverse du Voyage de Ryu de Shotarou Ishinomori, la série ici ne propose pas de critique du nucléaire. Pas de mutant ni d’engin ultra-sophistiqué dans Dr. Stone. Juste une immense page vierge avec la question « Et maintenant ? ». Le titre parle autant de survie que de science. Si vous n’avez pas révisé votre chimie depuis le collège dites-vous bien que Dr. Stone va vous en balancer à la pelle et vous rappeler que l’humanité s’est construite sur des hasards et des erreurs qui ont mené à de profonds changements. L’une des forces du titre – et peut-être ce qui en fait un shônen profondément original – est qu’il n’y a ici aucun super pouvoir. Les personnages sont humains et le restent. Pas de mojo magique, les héros n’ont que leur cerveau et leurs muscles pour s’en sortir et rebâtir la civilisation. Restent les deux grands mystère du titre : qu’est-ce qui les a changé en pierre et comment sera le nouveau monde qu’il construiront ensemble ?
Se pourrait-il que la clé du succès de Dr. Stone se cache dans une fracture générationnelle nippone ? Si une partie de la jeunesse japonaise pourrait effectivement se reconnaître dans la métaphore d’une table rase ou d’un monde à reconstruire, il faudrait plutôt chercher son étrange succès du côté de ses créateurs.
Vieux pots, nouvelle confiture
Car loin d’être un amateur, le scénariste Riichirou Inagaki est un habitué du magazine puisqu’il est entre autres et surtout, scénariste du classique EyeShield 21 qui déjà à l’époque, proposait un sport très original pour le Jump : le football américain. La série connaît une deuxième vie grâce à la mise en lumière de son désormais célèbre dessinateur Yûsuke Murata (One Punch Man).
Dessinateur auquel il aura fallut trouver un remplaçant pour le nouveau titre d’Inagaki, qui fait désormais équipe avec un autre artiste de talent : Boichi. Jusqu’ici très peu connu au Japon, ce dessinateur coréen a pourtant un lectorat croissant et fidèle en France depuis la sortie du célèbre Sun-ken Rock chez Doki-Doki il y a 10 ans. Avec Dr. Stone, les Japonais découvrent son trait saillant et musculeux, porté par des expressions faciales exubérantes et des environnements très riches.
C’est par la synthèse d’influences contraires que Dr. Stone retient l’attention. Délaissée depuis le succès de Ken le Survivant, la science-fiction post-apocalyptique est très rare dans le Shônen Jump. Sans renier son envie de réalisme, la série s’autorise de nombreux traits d’humour (typiques du style d’Inagaki) qui prennent le genre à contre-pied sans jamais le trahir. On se doute que les auteurs sauront réveiller l’action dans les prochains tomes, mais ce mélange donne à Dr. Stone un goût assez particulier dans un paysage où les combats à rallonge régnaient jusqu’ici en maître.
Dr. Stone se focalise non pas sur l’action mais sur la réflexion avec de l’humour en pagaille et laisse à un artiste coréen hors-norme (une première dans le Jump) sa chance de briller et d’être reconnu à sa juste valeur. Ce manga compte déjà parmi les cinq séries les plus suivies du magazine. De là à espérer qu’il ouvre la voie à une nouvelle génération dans le shônen, il n’y a qu’un pas.
Visuels : Riichiro Inagaki, Boichi / SHUEISHA Inc.