27 ans après « l’enfer » de Matignon, l’ex-Premier Ministre Edith Cresson poursuit l’oeuvre de sa vie : développer les « Ecoles de la 2e chance » et offrir un avenir meilleur à une partie de la jeunesse. Un dispositif salué par la Cour des Comptes et l’OCDE.
« Je n’ai pas fait à Matignon le dixième de ce que je voulais faire » confiait Edith Cresson dans Le Monde. Ce dixième, l’ex-Premier Ministre le fait depuis 20 ans en développant les« Ecoles de la 2e chance ». Ce dispositif inédit vient en aide aux décrocheurs, près de 120.000 par an, qui sortent du système scolaire « sans diplôme ni qualification ». En 20 ans, 90.000 jeunes ont su saisir leur « droit à une deuxième chance ». 131 sites-écoles et 61% de résultats positifs font du système Cresson un outil des politiques publiques en matière « d’insertion sociale, professionnelle et citoyenne ».
C’est en tant que commissaire européenne qu’Edith Cresson décide de lancer « le projet-pilote » des écoles de la 2e chance en 1998. Le premier établissement voit le jour à Marseille, « une ville à problèmes mais avec un maire volontaire » justifie Edith Cresson. Aujourd’hui, Muriel Pénicaud annonce 12 millions d’euros d’investissements pour construire 9 écoles car elles sont « une réponse efficace et pragmatique » au chômage des jeunes. Préférant l’ombre à la lumière, l’action à la posture, Edith Cresson redonne espoir à toute une jeunesse. Et continue de bousculer « le système ».
« On leur montre qu’ils ont une place dans la société »
En 1991, 30 ans avant la réforme Pénicaud, Edith Cresson veut relancer l’apprentissage qu’elle imagine « rénové, revalorisé et étendu ». Visionnaire, elle veut réformer le collège pour le rapprocher des entreprises, lancer des instituts universitaires professionnels et faire un « effort sans précédent sur l’orientation ». Mais rien de tout cela ne verra le jour. « J’ai été empêché par le système qui était contre l’apprentissage » dénonce Edith Cresson. « Et puis une femme à Matignon est forcément incompétente » lance-t-elle avec le sourire mais visiblement amère.
« Dans les écoles de la 2e chance, on enseigne une personne, pas une matière »
Pour autant, l’ex-Maire de Châtellerault n’abonne pas. Confrontée « à la détresse et à l’ignorance » d’une partie de la jeunesse qui « lui tient à cœur », les écoles de la 2e chance sont « une réponse aux carences du système éducatif français » explique Edith Cresson. La recette du succès ? « Montrer aux jeunes qu’ils ont une place dans la société » résume-t-elle, en poursuivant : « on enseigne une personne, pas une matière ». « Abîmés par la vie », les jeunes qui intègrent le réseau sont pris en charge personnellement, placés dans une dynamique de réussite et construisent un parcours sur mesure.
Tout reprendre pour mieux repartir, c’est la philosophie des écoles
« Il faut leur montrer qu’ils ont les compétences » explique Alexandre Schajer, le président du réseau. Pour cela, les « les matières fondamentales » sont abordées par des « projets éducatifs concrets ». Mais l’apprentissage est le pilier de la réussite. Chaque jeune fait un tiers de son parcours (d’une durée de 6 à 8 mois) en alternance dans une entreprise pour « retrouver les bases de l’intégration sociale », montrer « qu’un avenir est possible » et que « la société veut les aider ». « À la sortie immédiate de nos écoles, 55 % des stagiaires sont en emploi ou suivent une formation qualifiante » détaille Alexandre Schajer.
« Abîmés par la vie, il faut montrer aux jeunes qu’un avenir est possible »
Pour la plupart des stagiaires, il faut tout reprendre et leur ouvrir les yeux sur le monde. La rédaction d’une lettre de motivation sans fautes et sans ratures constitue un exercice important. « Certains vont devoir recommencer dix ou vingt fois » explique une formatrice. Avec sa fondation, Edith Cresson est aux manettes des activités extra-scolaires. Voyages culturels et historiques, rencontres prestigieuses : elle met son réseau au service des élèves. « Je suis souvent étonnée par la pertinence de leurs questions » nous explique-t-elle, en présentant les réalisations des élèves-stagiaires.
L’avenir des écoles de la 2e chance est assuré
Les écoles de la 2e chance apparaissent aujourd’hui comme un outil primordial. Dans son rapport 2016, l’OCDE estime qu’elles sont une « bonne solution » pour lutter contre le chômage des jeunes mais qu’elles doivent « être développées » car « elles n’offrent pas suffisamment de places ». De son côté, la Cour des Comptes salue « un dispositif intensif » qui combine « accompagnement, formation et resocialisation » . Pour les magistrats, « 37% des élèves sortent avec un emploi » : un résultat « plus efficace qu’un accompagnement de longue durée » des chômeurs.
L’école de la 2e chance, c’est 60 % de jeunes qui n’avaient aucun diplôme et qui retrouvent un #emploi ou une qualification ! Avec le #PIC, amplifions toutes les initiatives qui fonctionnent. Encourageons nos jeunes talents ! pic.twitter.com/PGUyDv7nWk
— Muriel Pénicaud (@murielpenicaud) 28 juin 2018
Une efficacité que Muriel Pénicaud souhaite pérenniser. Entre 2019 et 2022, le gouvernement prévoit d’investir 12 millions d’euros pour les écoles de la 2e chance. Un investissement pour construire « 9 écoles », financer des nouveaux parcours, mettre en oeuvre une nouvelle pédagogie et moderniser le suivi des jeunes. « C’est un renforcement quantitatif et qualitatif du dispositif » souligne Alexandre Schajer. Un bon signe pour les jeunes du réseau qui « voient que la société met les moyens pour qu’ils réussissent ». « J’ai espoir dans cette jeunesse motivée et volontaire » conclut Edith Cresson.
L’ancienne Premier Ministre de 84 ans n’a jamais abandonné un vieux rêve de gauche : améliorer la vie des plus faibles. Une façon de montrer ce qu’elle n’a pas pu faire à Matignon. Comme si Edith Cresson elle-même souhaitait une « deuxième chance ».