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Empire, de Shakespeare au hip hop

Bien plus qu’un excessif soap hip hop, Empire n’en a fini pas de faire parler d’elle. Revenons sur les racines de ce phénomène.

Créateur de la compagnie Empire, leader incontestable du marché de la musique hip hop et R&B, l’ancienne star Lucius Lyon se meure. Il a l’intention de profiter du maigre temps qu’il lui reste pour désigner son successeur parmi ses 3 fils que tout oppose. Mais ceci est sans compter le retour de sa femme, la très caractérielle Cookie, ayant passé 17 ans derrières les barreaux pour lui. Elle a quelques comptes à régler ainsi qu’une vengeance à assouvir.

Empire est une série américaine crée par Lee Daniels et Danny Strong, diffusée depuis le 7 janvier 2015 sur Fox. Ce brûlant soap afro hip hop a été accueilli à l’unanimité, son audience ne cessant de grimper. Partie à 9,9 millions de téléspectateurs, en 5 semaines, elle arrive à 11, 5 millions aux Etats-Unis. 75% de son audience est composé de femmes afro-américaines. La troisième saison, tant attendue, est annoncée pour septembre 2016.

Lee Daniels, c’est aussi Precious (2010) ou encore Le Majordome (2013). Il passe du cinéma à la TV dont il a repris des techniques de mise en scène. Les personnages d’Empire sont directement inspirés de sa vie. Ces événements sont réellement arrivés. Par exemple, à l’instar de Jamal, il est noir et homosexuel, luttant contre toute forme de stigmatisation. Une double casquette que son père a toujours eu du mal à accepter. Pour Daniels, le monde du hip hop a évolué. Il n’y a plus de sueur, de larme, l’industrie propose désormais de la perfection. Tout est devenu sur-commercial. Ce n’est pas ce qu’il souhaitait pour Empire.

La série s’est offert les services du producteur Timbaland pour son incroyable bande son, parfaitement en accord avec son histoire. En effet, chez les Lyon, la chanson est le vecteur principal de communication. Timbaland réunit Jussie Smollett, Mary J Blige, Jennifer Hudson ou Estelle. Les beats sont dans l’air du temps, les refrains définitivement entraînants. On adore, on adhère, on en redemande.  De la même manière, tout au long des deux saisons une pléiade de guests apparaissent à l’écran : Courtney Love, Gabourey Sidibe, Raven-Symoné ou encore Naomi Campbell. Ils ajoutent une touche de réalisme et de crédibilité à son intrigue. A l’image du sow-business, Empire est un soap quelque peu cliché bien que tout a fait distrayant. On s’attardera sur ses décors too much, dorés et bling-bling, dans lesquels baignent les personnages. C’est peut être la touche authentique hip hop des nouveaux riches.

Empire, c’est aussi beaucoup Cookie Lyon. La performance envoûtante de Taraji P. Henson lui vaut le Golden Globes 2016 de la meilleure actrice de série dramatique. Cookie est sans nul doute le personnage le plus écrit, nous introduisant à une Taraji P. Henson solaire. Cette matriarche électrique se relève de la misogynie, la balayant dédaigneusement de son épaule avec ses longs ongles parfaitement manucurés. Montrée dans toutes ses faiblesses et imperfections, elle n’en est encore que plus inatteignable. Un mot d’elle et tous filent droit. Loyale, drôle, fabuleusement piquante, incontestablement too much, elle est le vrai génie de la famille.

Les inspirations de Lee Daniels s’étendent de Shakespeare au parrain de Francis Ford Coppola. Empire s’inspire de la tragédie shakespearienne Le roi Lear, datant du début du XVIIe. Le roi, désireux de se retirer du pouvoir, convoque ses 3 filles afin de leur annoncer sa décision de diviser son royaume. La part la plus important sera pour celle qui saura lui montrer qu’elle l’aime le plus. Contrairement à ses sœurs aînées, Cordelia reste sobre et refuse de jouer la carte de la flagornerie. Les personnages se déchirent, tous portés soit par leurs ambitions vénéneuses ou par leurs virginales candeurs. Le roi Lear parle de politique, d’alliances, de complots, de rapports familiaux aliénants… Tout ce qu’on a le plaisir de retrouver dans Empire. En effet, la violence des sentiments ne s’y tarie jamais, elle en est le fil conducteur.

Dans son univers, Shakespeare aborde le thème du vieillissement et de l’impuissance, véritables jougs pour tous les grands hommes dont la seule échappatoire reste la folie ou la mort. Mais l’auteur séculier n’oublie pas pour autant les farces, l’humour et notamment la chaire. Il est souvent trivial, toujours en fins jeux de mots.  L’époque élisabéthaine, dans laquelle il vit, est antérieure à la traite des esclaves transatlantique. Shakespeare ne prend pas compte des échéances de couleur même si tout ce qui n’a pas le teint blafard des anglais d’alors les dérangent autant que les fascinent. Ainsi son Othello est un maure, un noir. Pour lui le choix de la couleur de peau est un moyen d’explorer la question de l’identité, brûlant sa plume de dramaturge. On comprend ce qu’a aimé Daniels.

Empire se range du côté des minorités, agitant son drapeau blanc avec prestance. Presque tous ses personnages sont noirs. La question de la couleur de peau est un actuel sous texte politique. La série réussie le tour de magie de rendre cette culture noire, d’ordinaire si clivante et codée, universelle. Chaque personnage est construit, attachant, chaque spectateur y trouve son compte. La série éveille les consciences et le débat public. Les blancs s’identifient aux noirs et ça fait du bien.

Empire parle des homosexuels, des noirs, des femmes, des personnes en surpoids pondéral, des mariages métisses ou encore des troubles bipolaires… Malgré la cellule familiale tout a fait dysfonctionnelle, ce sont les liens du sang qui sont à l’origine de tout. On assiste avec délice aux rivalités entre André, Jamal et Hakeem, chacun aux prises avec ces attaches indéfectibles qui leurs collent les ailes. Les personnages sont des archétypes énergiques face à l’attrait du pouvoir et de son trône. C’est donc sans surprise que tombe la probe morale : « la musique adoucit les mœurs », un terreau classique mêlant sans vergogne les cultures. Shakespeare ne semble pas s’y opposer dans La nuit des rois, « La musique est l’aliment de l’amour. »

Crédit: FOX

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