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Eric Dupond-Moretti sur un siège éjectable

Perquisition dans les bureaux du ministère de la Justice, soupçons de conflit d’intérêts, convocation devant les juges et possible mise en examen… Récit d’une semaine qui a plongé le garde des Sceaux dans la tourmente.

Scandale au sommet de l’Etat. Une perquisition judiciaire a eu lieu jeudi 1er juillet place Vendôme à Paris, dans les bureaux du ministère de la Justice. Une scène rare dans l’histoire de la Vème République au cœur d’un ministère régalien tenu par un des hommes forts du gouvernement : Eric Dupond-Moretti. Vers 9 heures du matin, une vingtaine de gendarmes de la section de recherche de Paris accompagnés des trois magistrats de la Cour de justice de la République, la juridiction chargée d’enquêter sur les ministres en exercice, ont perquisitionné pendant 15 longues heures jusqu’à même les bureaux du garde des Sceaux (qui a assisté aux opérations toute la journée) dans le cadre de l’information judiciaire ouverte à son encontre pour « prise illégale d’intérêts ». Le ministre de la Justice est soupçonné d’avoir profité de ses fonctions pour intervenir dans des dossiers dans lesquels il était concerné lorsqu’il était alors avocat.

Pour rappel, une enquête de la Cour de justice de la République avait été ouverte le 13 janvier dernier pour des soupçons de conflits d’intérêt visant l’ancien ténor du barreau lorsqu’il était encore avocat. Une réponse claire aux plaintes déposées par trois syndicats de magistrats ainsi que l’association Anticor, une association de lutte contre la corruption politique. En ligne de mire : une enquête disciplinaire demandée par le ministre lui-même le 18 septembre 2020 à l’encontre de trois magistrats du Parquet national financier (PNF), dont l’ancienne patronne de cette institution judiciaire Eliane Houlette. En bref selon eux, le ministre aurait voulu régler des comptes.

Régler ses comptes

En 2014, le PNF ouvre une enquête visant à découvrir qui était la fuite qui aurait informé Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, l’avocat et ami de l’ancien président, de leurs mises sur écoute par trois magistrats sur un dossier de corruption, l’affaire Bismuth. Qui était la taupe ? C’est la réponse qu’ont essayé de chercher les enquêteurs qui ont donc ouvert un autre dossier pour trouver l’informateur. Dans le cadre de ces investigations, la police a, de ce fait, étudié les « fadettes », des factures de téléphone de plusieurs avocats entre 2014 et 2019. Dupond-Moretti en fait partie, c’est un proche de Thierry Herzog.

L’avocat n’avait pas bien accueilli cette enquête révélée en juin 2020 en critiquant « les méthodes de barbouzes » du PNF. Une plainte avait été déposée pour « violation de l’intimité de la vie privée et du secret des correspondances » avant d’être retirée un mois plus tard à son entrée au gouvernement le 6 juillet 2020.

Mais une seconde accusation alourdit un peu plus le dossier. Cette fois-ci, elle concerne une enquête administrative demandée à l’inspection générale de la justice, après l’ouverture d’une enquête prédisciplinaire trois semaines seulement après son entrée au gouvernement, à l’encontre du juge Edouard Levrault, ancien juge d’instruction et figure de la lutte anticorruption. Eric Dupond-Moretti représentait les intérêts d’un de ses clients et avait porté plainte, à ce titre, contre le juge Levrault.

Résumé en une question : dans quel cadre légal le ministre de la Justice peut-il demander d’ouvrir des enquêtes visant des magistrats avec lesquels il était concerné dans des affaires alors qu’il exerçait en tant qu’avocat ? Pour éviter à tout prix les accusations de conflits d’intérêts, le ministre de la Justice s’était déporté de tous les dossiers en lien avec ses anciennes activités, par un décret signé le 23 octobre 2020, au profit du Premier ministre Jean Castex. Lequel a été auditionné le 7 juin en qualité de témoin comme d’autres proches collaborateurs de l’ex-avocat, selon Le Canard enchaîné. Une opération qui a fait réagir Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats, à Mediapart : « Cela confirme le conflit d’intérêts que le ministre n’a fait que nier depuis sa nomination ».

Selon « EDM », une manœuvre pour « obtenir un nouveau garde des Sceaux »

Pour le ministre, dont les mauvaises relations avec les magistrats ne sont plus un secret pour personne, la situation n’aurait qu’un seul but : « obtenir un nouveau garde des Sceaux ». Et d’ajouter : « L’un des syndicats de magistrats qui a déposé plainte avait déclaré, après ma nomination, qu’elle était une déclaration de guerre. Ce même syndicat a dit jeudi que la plainte n’a été déposée que dans le seul but que je sois mis en examen. Tout est là. » Mais pour Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature, il n’est pas question d’avoir peur. Ces « accusations d’instrumentalisation de la justice, on les entend à chaque fois qu’un responsable politique est inquiété », affirme-t-elle au Monde.

Malgré « l’extrême sérénité » et la visible assurance de celui qui a été avocat pendant 35 ans dans un entretien accordé au Journal du Dimanche du 4 juillet, le ministre est convoqué devant la Cour de justice de la République vendredi 16 juillet, selon l’Agence France-Presse informée par une source proche du dossier. La convocation lui a été remise le jour même de la perquisition du 1er juillet. Réponse des avocats de l’intéressé Christophe Ingrain et Rémi Lorrain ? « Remettre une convocation le jour de la perquisition, c’est considérer que ce qui a été saisi n’a pas d’intérêt et que tout est décidé d’avance », ont-ils affirmé à l’AFP. Une chose est sûre : un interrogatoire de première comparution aura donc lieu en vue d’une possible mise en examen si les magistrats estiment que les preuves sont suffisantes. Mais il peut également sortir de cet interrogatoire avec le statut de témoin assisté. Dans ce dernier cas, un procès n’aura pas lieu.

Selon Le Monde, l’exécutif s’est déjà préparé à une probable mise en examen de son ministre dès l’ouverture de l’information judiciaire en janvier. Déjà fragilisé par sa défaite lors des régionales, une mise en examen viendrait sérieusement compromettre sa place au sein du gouvernement. Ce sera alors à Emmanuel Macron de trancher. En attendant, le rendez-vous est donné au 16 juillet.

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Journaliste culture, politique et société
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