Lorsqu’on pense au parler populaire des Québécois, les premières choses qui nous viennent en tête sont d’abord l’accent, évidemment, puis les expressions du coin… On peut également noter l’utilisation courante du joual dans la grande région de Montréal, mais ce qui marque le plus, c’est l’énigmatique juron québécois qui se distingue largement du juron français.
Un français se frappant le pied au coin d’un mur aurait tôt fait de dire «Putain!» ou «Merde!» et autres expressions toutes moins reluisantes que les autres. Dans la même lancée, un québécois se frappant le pied au coin d’un mur lui aurait une panoplie de choix mais aurait une tendance nette à lâcher le fameux «Tabarnak» ou même la terrible combinaison «Osti de calice». Étranges jurons, quand vous nous tenez!
Les origines : Une influence religieuse.
Jusque dans les années 1960, le Québec a été très fortement influencé par le catholicisme romain, faisant du Québec un des États Phares de la foi catholique à l’époque. Une province historiquement marquée par l’abandon de ses racines et qui, pour seul réconfort, s’est tourné vers l’Église pour entretenir sa foi et combattre l’occupation anglaise. Montréal n’a pas décrochée son titre de «Ville aux cent un clochers» pour rien après tout, il suffit de marcher 5 coins de rues sur cette petite île pour trouver une église. Une présence aussi accrue d’églises catholiques et la présence de ces jurons témoigne d’une grande influence religieuse au sein du Québec. Après tout, l’éducation était encore prodiguée par le clergé au Québec jusqu’à la réforme de l’éducation dans les années 60.
La majorité du répertoire des jurons québécois provient de mots usités par l’église pour les objets ou cérémonials religieux. Le Tabernacle par exemple est un meuble renfermant le ciboire lui-même renfermant les hosties consacrées au cours d’une messe. Le Tabernacle deviendra «Tabarnak», le Ciboire ne changera pas concrètement de forme si ce n’est dans sa prononciation et l’hostie prendra différentes formes, telles que «Asti», «Osti», «Esti» ou sera carrément abrégé pour devenir «Sti».
Pourquoi les québécois utilisent les noms de ces objets comme jurons? Rien ne faisant consensus au sein même de la société québécoise ne permet de le déterminer. L’origine de ces jurons reste évidemment l’influence catholique au Québec, mais l’événement déclencheur qui a conduit à l’utilisation de ces jurons reste flou. Certains tendent à dire qu’après la réforme de l’éducation qui a mis un terme à la grande hégémonie du clergé sur la société québécoise, la population se serait petit à petit détourné du clergé et aurait manifesté son mécontentement en «sacrant» (Les québécois ne disent pas qu’ils jurent, ils disent qu’ils «sacrent») à tout va.
Pourquoi le terme sacrer? Tout simplement parce qu’il s’agit d’objets sacrés et que l’un des commandements stipule «Tu n’invoqueras pas le nom de Dieu en vain», ce que font les québécois régulièrement par leurs actes, d’où l’emploi du verbe «Sacrer» pour désigner l’action de jurer.
Quelles significations pour ces mots?
Quelle signification les jurons québécois peuvent-ils bien avoir? C’est assez difficile de l’imaginer, tout dépendra toujours du contexte. C’est l’une des nombreuses facettes complexe du langage populaire québécois. Un «sacre» québécois peut être nominalisé, verbalisé, adjectivisé, adverbialisé et j’en passe! Cependant, ce genre de concept sème tôt au tard la confusion chez les novices du langage populaire québécois.
Compte tenu des définitions réelles derrière chaque mot, beaucoup de gens auront tendance à croire qu’on les traite de contenant pour vin de messe si on les traite de «petit calice». C’est une erreur normale et c’est une erreur commune. En fait, il faut simplement s’enlever de la tête les définitions et partir du principe simple comme bonjour que ces mots n’ont plus de définition, mais un niveau d’intensité.
Si l’on tient compte des paramètres précédent, à savoir qu’ils peuvent être utilisés comme noms, verbes, adjectifs et même adverbe, la phrase suivante : «Jean qui était irrité a expulsé Jules violemment» deviendra par exemple «Le sacrament qui était en calvaire a calicé dehors l’osti en tabarnak». Il est possible de noter sans mal que les jurons ont remplacés plusieurs mots afin de ponctuer l’irritation de celui qui a effectué l’action. Par sacrament, nul n’entend ici le «Sacrement» qui est l’une des étapes de profession de foi du catholicisme pas plus qu’en disant «en tabarnak» les québécois entendent parler d’une armoire pour ranger un objet.
Au final, les jurons québécois restent flous
Si vous escomptiez en apprendre davantage sur comment jurer comme un bon québécois, vous avez presque toutes les cartes en main. En revanche, si vous escomptiez en apprendre davantage sur leur signification, vous resterez sur votre faim, car les jurons québécois n’ont de signification que ceux que celui qui les prononce veut bien leur accorder dans le contexte ou il l’emploie. Pour cette raison, il est plus difficile de définir «Un tarbanak» d’un «Putain». Les québécois forment vraiment une nation tordue, n’est-il pas? Je vous rassure, il y a pire ailleurs!
Frédérick Leclerc
Correspondant Permanent au Québec