« Allez-y, marriez-moi. Je me tuerai, juste comme ça. »
Elle a 11 ans et possède une audace précoce. Nada Al-Ahdal vit au Yémen, l’innocence se lit sur son doux visage mais ses paroles révèlent une maturité déconcertante.
Début juillet, elle diffuse sur youtube une vidéo dans laquelle elle explique pourquoi elle ne veut plus rester sous la garde de ses parents et souhaite vivre chez son oncle. Elle raconte l’horreur et l’incompréhension que lui suscite la tradition des mariages forcés dans son pays de naissance. Après avoir été traduite en anglais, cette vidéo a été republiée le dimanche 21 juillet par l’institut de recherche des médias du Moyen Orient (Memri).
Elle est assise dans une voiture, face à la caméra, et aborde un sujet tabou avec la franchise et la clairvoyance d’un enfant. Elle explique que si elle se marie, elle n’aura ni de vie ni d’éducation. Tant de maturité pour un être aussi fragile. Nada évoque le suicide des enfants contraints au mariage. Ils se jetteraient à la mer pour y échapper, conscients que la personne à laquelle ils doivent être mariés est indifférente, étrangère et souvent bien plus âgée qu’eux. Cette pratique aussi courante que scandaleuse concerne la fillette et c’est la raison pour laquelle elle se filme.
Le site libanais Now nous apprend que la fillette appartient à une fratrie de huit enfants issus d’une famille humble et modeste. Son oncle est monteur pour une chaîne de télévision et il prend Nada sous son aile dès ses 3 ans. L’environnement dans lequel Nada a grandi est donc propice au bon épanouissement de l’enfant. Elle va à l’école, apprend l’anglais, participe à une comédie musicale et détient même une page facebook. Mais ce quotidien tranquille s’estompe lorsqu’un homme demande la main de Nada à ses parents. Cet homme sait qu’il demande la main d’une enfant de 10 ans. Mais l’âge lui importe. Les géniteurs sont aveuglés par la transaction avantageuse proposée par le riche individu. Ils vendent leurs filles, après tout, ils en ont huit…
Mais l’oncle refuse de céder sa nièce contre une somme d’argent qui ne peut être que dérisoire à l’aune du véritable enjeu. Il contacte le futur marié et le persuade d’abandonner ses projets. Les parents parviennent à récupérer leur fille prétextant leur désir de la voir près d’eux (y croient-ils eux mêmes ?). Mais la fillette ne met pas longtemps pour déguerpir à nouveau, connaissant l’avidité et la cupidité de ses parents mieux que personne. Elle sait qu’ils essaieront de la marier très rapidement malgré l’échec précédent. Lorsqu’elle s’enfuit du foyer où elle a vu le jour, elle vit dans la crainte que son oncle refuse de l’accueillir. Après tout, est ce qu’on écoute un enfant qui fugue ? Mais ce dernier connaît les tenants et aboutissants d’une telle situation : garder Nada près de lui, c’est la préserver d’un nouveau mariage.
Malgré une plainte déposée au département de la Protection familiale du ministère de l’Intérieur, l’affaire est classée après des excuses simples et mécaniques du père de la gamine.
Alors, à défaut de pouvoir être entendus par quelques bureaucrates, l’oncle et la fillette réalisent cette vidéo pour la diffuser au monde entier.
« Je ne pouvais pas les laisser (…) détruire son futur »
Ce sont les mots de l’oncle lorsqu’il explique au site d’information libanais Now pourquoi il a aidé sa nièce. La tante de Nada s’est immolée à 13 ans après un mariage forcé. L’oncle le raconte avec émotion tant la blessure de ce deuil est encore vive.
Dans la vidéo, Nada s’adresse directement à ses parents qu’elle rejette avec une froideur déroutante : ‘’J’en ai fini avec vous.’’ Elle leur assène des menaces qu’on ne peut prendre qu’au sérieux en entendant son témoignage obscur et terrible. Elle assigne sa mère en justice et l’accuse d’avoir voulu détruire ses rêves et son enfance. Son regard ne se dérobe pas, la cadence est rythmée par l’émotion et la colère. Sa faiblesse devient sa force. En effet, parce que c’est une enfant, sa révolte aura d’autant plus d’impact.
Nada a fui son destin qu’elle trouvait injuste, et prouve dans sa vidéo qu’elle a compris spontanément la condition de l’enfant. L’incompréhension qu’elle développe vis à vis de cette tradition, nous saisit au plus profond de nos entrailles, loin d’imaginer qu’un jour, une enfant aurait le courage de se dresser contre une pratique arbitraire qui la vise. « Qu’ont-ils fait de mal, les enfants ? » : le cœur du public impuissant se serre. Elle a raison.