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On a vu Joueurs Mao II Les noms de Julien Gosselin au Festival D’Avignon

En ce 72e Festival D’Avignon nous avons eu l’occasion d’assister à la nouvelle création de Julien Gosselin Joueurs Mao II Les noms à La FabricA. L’adaptation au théâtre des oeuvres de l’écrivain Américain Don DeLillo interprétée par le collectif Si vous pouviez lécher mon coeur. Dix heures de spectacle. Dix heures durant lesquelles le public, au plus près des mots, a pu gouter à la force d’un texte comme celui de Don DeLillo. Dans ce spectacle au long cours, la fiction a pris le dessus sur la réalité, déjouant ainsi les attentes du public.

1. Un spectacle complet

Du cinéma, du théâtre, de la musique, du chant, Julien Gosselin expérimente toutes les formes d’expression. Et lorsque le sens n’est pas véhiculé par un mot, il l’est par un regard, une situation, un contexte. La scénographie est sur mesure, ou plutôt pourrait-on dire de celle-ci qu’elle serait hors mesure ? Entendons par cela une scénographie qui investit tout l’espace effaçant les limites et les frontières. Une scénographie que l’on ne peut pas mesurer en tant que spectateur tant l’on est immergé dans celle-ci.

En effet, si le théâtre contemporain a tendance à supprimé le quatrième mur, ce dernier était plus que présent dans la mise en scène de Julien Gosselin. Entre la scène et le public s’édifiait un véritable mur. Le public ne voyait donc les comédiens que par l’intermédiaire d’un grand écran cinématographique projetant les videos de films tournées en live derrière ce grand mur. De plus l’utilisation de la video permettait au public de voir ce qui ne se passait parfois pas sur scène mais en dehors. Certains comédiens sortent à l’extérieur du théâtre et vont s’allonger dans l’herbe. D’autres jouent depuis le couloir de La FabricA ou bien depuis le public. C’est une succession de moments intenses qui déjouent les attentes du public. Parfois le mur tombe, et nous sommes face à des acteurs de chair et nous vivons de vrais instants de théâtralité.

 

2. Quitter la permanence

« Les spectateurs peuvent sortir et entrer librement pendant la représentation ». C’est ce que l’on peut lire sur le programme. Il y avait donc cette magie de la continuité. Une continuité qui n’est pas dans l’histoire. D’une part car les récits de Joueurs, Mao II et Les noms ne constituent pas une trilogie. Ils sont trois récits indépendants. D’autre part, parce que Julien Gosselin fait entrer dans ce temps de passage d’un récit à l’autre, d’autres textes courts de Don DeLillo telle que Le Marteau et la Faucille. La linéarité est donc brisée. Ce qui tient toute son importance n’est donc pas la narration. Mais davantage « le travail de la matière poétique », la discontinuité. La continuité se situe donc dans la temporalité puisque le spectacle dure dix heures complètes.

Même s’il n’y a pas de continuité dans la narration, de fil conducteur, les différents textes abordés durant ce spectacles aspirent aux mêmes thèmes et à la même violence dans les mots et les images. Les questions de terrorisme, d’endoctrinement, de finance, d’idéologie, de paroles politiques des activistes des années 70 sont au coeur du spectacle. Entre les mots de Don DeLillo et la scénographie d’Hubert Colas, on retrouve aussi la présence de Jean-Luc Godard à travers une scène très empreinte de La Chinoise tant dans les propos que dans une certaine « façon de jouer ». On retrouve aussi (avec effroi peut-être) cette fascination qu’il y a dans ceux qui sont transportés par le terrorisme et par l’idée de beauté qu’il y a selon eux à tenir les armes. Et cette fascination est mise en valeur par le désir événementiel, par les médias. Par la violence médiatique.

3. Une recherche artistique

« Mon rêve de théâtre, c’est d’ouvrir un lieu au public dans lequel un déroulé de formes artistiques les accueille, dans lequel il s’immerge, sans appréhender un début et une fin. ». (propos de Julien Gosselin recueillis par Moïra Dalant). Julien Gosselin avait la volonté pour ce spectacle de rompre avec une certaine linéarité qu’il recherchait dans ses créations antérieures telles que Particules élémentaires et 2666. Il y a donc une recherche du mouvant : on passe d’un récit à l’autre. D’un thème à l’autre. D’un quotidien à un autre. D’une scénographie à une autre. Le spectateur est constamment surpris, dérouté. La recherche artistique se situe également dans ce temps allongé qu’est celui du spectacle. Un spectacle qui n’en finit plus mais durant lequel on peut « sortir et entrer librement ». Et pourtant, nombreux sont ceux qui n’ont pas quitté la salle. Qui ne voulaient pas rater quelque chose, une parole, une bribe d’histoire.

La scénographie d’Hubert Colas porte l’intensité de la pièce à son paroxysme. On peut y trouver des liens avec celles de Je suis Fassbinder par Stanislas Nordey et Falk Richter. Celle des Trois Soeurs par Simon Stone. Celle de La Fuite par Macha Makeïeff. Toutes ces scénographies sont des expérimentations artistiques.

4. Ce que l’on retient

Pour beaucoup de spectateurs ce fut la plus belle performance jamais vue. Les jeunes spectateurs de 18 ans que nous avons pu interroger disent de ce spectacle qu’il est « intense », « prenant », « dynamique ». Ils disent aussi la « beauté de la lumière et des décors », « l’intensité du jeu des acteurs ». Cependant, ils disent aussi la perte de repère temporel. Ne pas savoir vraiment de quelle époque il s’agit dans les textes. Les années 68 ? Les années 2000 ? Aujourd’hui ? La difficulté aussi à comprendre un texte difficile quand tout autour de nous s’agite, quand on passe de la musique au parler, du bruit au silence, de la violence du mouvement au repos des corps.

« L’avenir appartient aux foules ». Une phrase de ce spectacle que l’on devrait garder en mémoire car elle porte en elle l’idée directrice de ce 72e Festival D’Avignon.

Un texte puissant investi par des acteurs de talent. Des exigences artistiques qui servent une dramaturgie de qualité. La scénographie mouvante est une oeuvre d’art à part entière qui porte l’intensité éternelle des plus grands chefs-d’oeuvre. Ce spectacle est une véritable oeuvre d’art.

 

 

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