A travers le personnage de Sasha, Chair tendre met en lumière avec finesse et empathie le thème très rarement abordé de l’intersexualité.
C’est quoi, Chair tendre ? A 17 ans, Sasha (Angèle Metzger) emménage dans une nouvelle ville avec ses parents (Grégoire Colin et Daphné Bürki)et sa petite sœur Pauline (Saul Benchetrit). Elle a découvert récemment qu’elle était née intersexuée : ni tout à fait garçon, ni tout à fait fille – ou les deux à la fois. Ses parents lui ont caché la vérité pour le / la protéger de ce que les médecins présentent comme une maladie ou une tare, Assignée garçon à la naissance et s’identifiant comme tel il y a encore quelques mois, Sasha entre dans son nouveau lycée en tant que fille, mais elle ne sait plus où elle en est . Et c’est une secret difficile à porter, surtout face à ses nouveaux amis Anna (Paola Locatelli), Meeva (Lena Garrel) ou encore Alex (Marin Judas) qui ne la laisse pas indifférente…
Si l’on veut coller une étiquette sur Chair Tendre, la nouvelle série disponible le 23 Septembre sur la plate-forme Slash / France TV, on parlera d’un teen drama – mais un teen drama vraiment pas comme les autres. Primée lors du dernier festival Séries Mania, créée par Yaël Langmann et co-réalisée par Jérémy Mainguy, la série se démarque parce qu’elle aborde un sujet très rarement traité – celui de l’intersexualité – et par le regard sensible et empathique qu’elle porte sur son héroïne.
L’adolescence est souvent une phase délicate, un moment de changements physiques, bouleversements hormonaux, envie d’indépendance et premiers émois où l’on s’interroge sur l’adulte qu’on sera, après l’enfant qu’on a été. Ces questionnements plus ou moins douloureux sont très souvent abordés dans les séries adolescentes. Et c’est aussi ce que fait Chair Tendre, mais à sa manière.
L’une des grandes qualités de la série, c’est son réalisme. D’un côté, les interactions et dialogues entre Sasha et ses nouveaux camarades et les problématiques auxquelles ils sont tous confrontés (les relations amoureuses, la sexualité, le harcèlement, le slut shaming…) ; de l’autre, une famille qui s’aime mais se dispute le soir au dîner, deux sœurs qui s’engueulent mais font front face aux parents. On y croit dès le début, immergés dans l’environnement familier dans lequel évolue Sasha, de sorte qu’on comprend ce qu’elle vit.
Toute l’intelligence de Chair Tendre est là, dans cette manière de montrer un personnage qui nous ressemble, avant d’aborder le thème de l’intersexualité. Car la caractéristique principale de la série, c’est évidemment ce sujet et le tabou qui l’entoure: l’intersexualité. Ou intersexuation, mot généralement privilégié par les personnes intersexes – à savoir ceux et celles dont les caractéristiques anatomiques ou biologiques ne correspondent pas aux « normes » traditionnelles binaires du masculin ou du féminin.
Sasha est donc une adolescente intersexe, un secret qu’elle porte et qu’elle vient à peine de découvrir. Ses parents le lui ont caché pensant la protéger de ce que les médecins leur ont présenté comme une maladie ou une malformation. Élevée comme un garçon, opérée (d’aucuns diraient mutilée) à de multiples reprises, Sasha est perdue ; tentée par une intervention qui lui permettrait de devenir biologiquement une fille, elle s’interroge. Qui est-elle vraiment ? Fille, garçon, quelque part entre les deux ? Avec une réalisation délicate et intimiste, et grâce à l’interprétation toute en nuances et en sensibilité de Angèle Metzger, on ressent presque physiquement le mal-être, la colère et la frustration, la douleur de Sasha.
Il y a aussi des moments de joie et de rire dans la vie de Sasha, mais les troubles et questionnements de l’adolescence, elle les vit plus intensément parce que née avec un corps qui ne correspond pas aux normes. Qui est-il ou qui est-elle ? La personne qu’on voit, celle qu’on lui a imposé d’être, celle qu’elle voudrait devenir ? Est-elle une fille, un garçon ou y a-t-il une autre voie, en dehors de ces deux cases ? Comment vivre avec un corps qui vous fait vous sentir « anormal » ou « monstrueux » ? Ou, plus prosaïquement, comment flirter avec un garçon, dévoiler ce corps honni par exemple pour aller se baigner, dans quelles toilettes aller au lycée ? Ce sont des situations anodines pour tout un chacun – mais pas pour Sasha.
Chair tendre aborde aussi le sujet à travers le regard de l’entourage de Sasha. Ses parents, à qui les médecins ont toujours présenté l’intersexualité de leur enfant comme une maladie ou une tare et n’ont cessé de les pousser à la «traiter », qui ne veulent que son bien mais sont complètement perdus ; sa petite sœur Pauline (épatante Saul Benchetrit) écrasée par l’attention accordée à Sasha ; ses potes de lycée dont elle ignore comment ils sont susceptibles de réagir ; les connards pour qui la différence est un motif pour brutaliser et maltraiter.
Sans jugement, la série explique, montre et verbalise les choses, comme la confusion entre intersexuation, orientation sexuelle ou identité de genre ; la violence choquante des « traitements » médicaux et psychologiques; l’idée que l’intersexuation est une anomalie du développement… Si certains dialogues frôlent parfois le didactisme un peu scolaire (surtout les conversations téléphoniques de Sasha avec une sorte de mentor rencontré sur internet) et que le dernier épisode prend un tournant beaucoup plus symbolique que narratif, sans doute est-ce nécessaire étant donné le manque de connaissances probable du spectateur lambda. Alors que l’intersexuation concerne 2% à 4 % de la population mondiale, selon les estimations.
Avec douceur et sensibilité, Chair tendre offre une visibilité inédite à un sujet important : celui de l’intersexuation. Elle brise le tabou à travers l’histoire intime et touchante de Sasha, une ado au parcours particulier parce que la question de son identité prend une autre dimension. Mais la série se fait aussi l’écho de quelque chose d’universel : les doutes, peurs et émotions propres à l’adolescence. Intersexuation ou pas, c’est l’ado en nous qui se reconnaît dans Chair tendre et dans Sasha.
Chair Tendre
10 épisodes de 25′ environ.
Le 23 Septembre – en streaming sur Slash et à 21h00 sur France 5.