Avec une intrigue solide et un décor original, Hierro, thriller espagnol ne réinvente pas le genre mais il fait bien les choses.
C’est quoi, Hierro ? En difficulté avec sa hiérarchie, la juge Candela Montes (Candela Peña) est mutée à El Hierro, la plus occidentale et sauvage des îles des Canaries. Le jour même de son arrivée, la voilà confrontée à un meurtre :celui de Fran (Alex Zacharias), un jeune homme assassiné le matin de son mariage. Il devait en effet épouser Pilar (Kimberley Tell), la fille d’Antonio Díaz (Darío Grandinetti), un homme d’affaires à la réputation sulfureuse. Tout semble désigner ce dernier comme coupable du meurtre, mais il clame son innocence et décide d’enquêter de son côté, tandis que la juge Montes tente de réunir des preuves pour l’inculper.
Curieux destin que celui de Hierro, série coproduite par les Espagnols de Movistar+ et Arte France : proposée en 2015 puis abandonnée, l’idée est reprise contre toute attente en 2017 lorsque Movistar a relancé ses productions originales. La ténacité des frères Pepe et Jorge Coira – créateurs de Hierro – a donc finalement payé : la première saison de huit épisodes, présentée lors du dernier Festival Séries Mania, a été diffusée en Espagne et arrive maintenant sur Arte, tandis qu’une seconde saison a déjà été commandée.
Hierro n’est pas une série révolutionnaire, ni même particulièrement novatrice. Un meurtre survient dans une communauté fermée, un intervenant extérieur tente de résoudre ce crime tout en s’adaptant à un nouvel environnement, et le principal suspect que tout accuse se bat pour prouver son innocence. Cependant, un univers emblématique bien construit, une ambiance particulière et une trame de fond convaincante suffisent à pallier au petit air de déjà-vu de l’ensemble. Ce qui accroche, au delà du mystère criminel, ce sont les personnages, le cadre et la connexion existant entre ce lieu et l’histoire qui s’y déroule.
Tout commence avec l’arrivée sur l’île de El Hierro de la juge Candela Montes. Mère célibataire d’un petit garçon lourdement handicapé, elle y a été mutée parce que ses méthodes peu orthodoxes et son caractère ombrageux dérangent ses supérieurs. Difficile pour elle de s’adapter à cet endroit aux paysages sauvages… et où les habitants ne le sont pas moins. Dans cette communauté fermée, tout le monde se connaît et on accepte mal l’arrivée des étrangers. A peine a-t-elle posé un pied sur l’île que la juge est confrontée à un meurtre : le matin de son mariage avec sa fiancée Pilar, le corps de Fran est découvert.
La rumeur désigne rapidement un coupable en la personne du père de la mariée, Antonio Díaz. Homme le plus redouté et le plus puissant de l’île, il cache ses activités de trafiquant de drogues derrière la façade d’une exploitation de bananeraies. En se basant sur ses rapports tendus avec la victime, sur son passé criminel et sur les déclarations d’un témoin, la juge le met en examen avant de le relâcher, faute de preuves déterminantes. Pour prouver son innocence, Diaz décide d’enquêter de son côté, sollicite ses réseaux et ses complices pour fouiller dans le passé de Fran et découvre notamment qu’il était mêlé à plusieurs trafics. De son côté, la juge poursuit ses investigations avec l’agent Reyes (Monica Lopez), malgré l’hostilité grandissante des habitants de l’île dont elle bouleverse les traditions et de la police locale dont elle remet en question les méthodes.
Si le premier épisode peut sembler un peu lent, c’est que Hierro prend le temps d’expliquer la situation et le contexte, de poser ses paysages, de construire ces personnages et d’établir les relations entre eux. Une fois l’intrigue principale lancée, l’histoire prend alors progressivement son essor, devient plus rythmée à mesure que se dévoile une multitude de fausses (ou de vraies) pistes qui, toutefois, restent crédibles et cohérentes : les rebondissements sont souvent surprenants sans pour autant virer au rocambolesque ou à l’improbable. Toute la dynamique repose sur les enquêtes respectivement menées par ces deux héros aux intérêts divergents mais unis par un but commun ; d’abord parallèles, les chemins qu’ils empruntent vont inévitablement converger, jusqu’à livrer la clé du mystère dans le tout dernier épisode.
Cette intrigue, classique et bien faite, bénéficie de deux atouts maîtres. D’abord, une excellente distribution où l’on retiendra surtout les deux acteurs interprétant les personnages principaux : une Candela Peña très convaincante dans la peau de cette juge qui cache des fragilités derrière ses airs revêches, et Darío Grandinetti (magnifiquement doublé en Français par l’excellent Féodor Atkine) qui fait de Diaz un personnage inquiétant et menaçant, mais finalement attachant et qui parvient à susciter l’empathie. Du fait du déroulement du scénario, tous deux n’ont finalement qu’une poignée de scènes en commun, ce qui est assez frustrant car leurs face-à-face sont certainement les meilleures séquences de la série.
L’autre élément essentiel, c’est l’île de El Hierro qui est bien plus qu’une toile de fond puisque sa topographie, son atmosphère, son climat, sa situation géographique ont un impact direct sur le personnalité des habitants et donc sur l’enquête. On dirait l’Islande, on dirait les Antilles, et la série a des airs de thriller scandinave tourné sous des latitudes tropicales. Tout y est superbement filmé : falaises abruptes battues par les vents, pinèdes et bananeraies, routes arides et poussiéreuses, paysages verdoyants ou volcaniques… Un petit endroit qui cache mille facettes, à l’image de la communauté qu’il abrite (du moins, dans la série) et qui donne une ambiance particulière à Hierro.
Hierro ne prétend pas être autre chose que ce qu’elle est : un polar bien construit, avec une intrigue solide, des personnages intéressants et bien interprétés, et l’atmosphère caractéristique de l’île des Canaries qui lui a donné son titre. En bref, un bon polar qui s’appuie sur un scénario conventionnel pour faire de la bonne télévision.