Kiss me first, la nouvelle série du créateur de Skins explore les tourments de jeunes héros qui se réfugient dans la virtuel. Jusqu’à ce qu’un drame les replonge dans la réalité.
C’est quoi, Kiss me first ? Leila (Tallulah Haddon), une adolescente introvertie, a passé des années à s’occuper de sa mère gravement malade. Livrée à elle-même après la mort de celle-ci, la jeune femme consacre la majeure partie de son temps à un jeu vidéo en ligne se déroulant dans un univers virtuel nommé Azana. Cachée derrière un avatar nommé Shadowfax, elle y découvre une section cachée créée par d’autres joueurs, qui s’y réunissent pour tromper l’ennui et la solitude. Mais la mort d’un des participants plonge Leila dans le doute : ce monde alternatif est-il aussi paradisiaque qu’il y paraît ? Et qui est vraiment Adrian (Matthew Beard), le mystérieux leader du groupe ?
Présentée dans le cadre du dernier Festival Séries Mania, Kiss Me First a d’abord été diffusée sur Channel 4 avant d’arriver sur Netflix. Tirée d’un roman de Lottie Moggach, la série signe le retour de Bryan Elsley, créateur de Skins ; il nous plonge à nouveau dans les tourments et les souffrances de jeunes personnages qui, cette fois, cherchent à y échapper par le biais de la réalité virtuelle. Dans le livre, l’héroïne découvre une société secrète via une chatroom ; ici, l’action est transposée dans un jeu en ligne, le changement ayant l’avantage d’instaurer une atmosphère et une identité visuelle beaucoup plus fortes à l’écran qu’un simple échange de messages.
L’action se déroule simultanément dans deux univers distincts : le monde réel, et le monde virtuel d’Azana, en images de synthèses. C’est à la fois l’originalité de la série et son point faible. Élément essentiel du scénario, le monde d’Azana n’apporte finalement pas grand-chose à l’action elle-même, et il sert surtout de cadre à de longs dialogues entre les personnages sans que la dimension virtuelle ne soit totalement exploitée. Visuellement, la mise en œuvre reste toutefois plus que correcte : entre paysages enchanteurs et forêts obscures, séquences oniriques et musique envoûtante, il se dégage une ambiance particulière, un peu sage mais suffisamment immersive pour qu’on s’y laisse prendre.
Hormis cette légère réserve sur l’utilisation restreinte du virtuel, Kiss me first est intrigante et riche sur le fond. Quelque part entre Skins et Black Mirror, c’est un bon thriller, bien mené en dépit de quelques incohérences dans le dernier épisode. L’histoire se déroule donc sur deux plans, avec une transition fluide entre les deux. Dans le monde virtuel d’Azana où Leila se réfugie pour éviter de penser à la mort de sa mère, elle devient une guerrière nommée Shadowfax ; elle peut voler, défier toutes sortes d’ennemis, progresser dans un monde de fantasy. En suivant la mystérieuse Maia (alias Tess, qu’elle finit par rencontrer dans la vraie vie), la jeune femme découvre qu’une poignée d’adolescents a créé son propre groupe en marge du jeu, structuré autour d’un chef énigmatique, Adrian. Ironiquement, cette zone baptisée Red Pill fait référence au film Matrix (où une pilule rouge permet au personnage de Neo de s’affranchir du monde virtuel de la Matrice dans lequel il est piégé). Un jour, pendant que Tess dort, Leila usurpe son identité virtuelle ; elle voit Adrian persuader l’un de ses camarades de commettre l’irréparable. La jeune héroïne va alors tenter de remonter sa piste dans la réalité pour empêcher qu’il ne s’en prenne à Tess.
La série ne comportant que six épisodes, on n’en dira pas davantage. D’autant que la trame avance rapidement, au rythme de nombreux rebondissements et coups de théâtre. L’ensemble se révèle vite addictif. Bien construits et bien interprétés, les personnages se dévoilent progressivement : solitaires, marqués à divers niveaux par des expériences traumatiques ou une histoire personnelle douloureuse, tous sont énigmatiques, complexes et difficiles à saisir. On pense surtout à Adrian, psychopathe sadique qui exerce une emprise sur les autres membres de Red Pill, et qu’on a du mal à cerner jusqu’à la fin. La série repose toutefois sur les épaules de Tallullah Haddon ; la jeune actrice est remarquable dans le rôle de Leila. Son air angélique, la finesse de son jeu en font une sorte de Bambi derrière un avatar de guerrière, une jeune femme à la fois timide et déterminée qui prend peu à peu de l’assurance et trouve une forme de résilience, en ligne et surtout IRL.
C’est le second axe de la série qui, en arrière-plan de l’intrigue principale, aborde une multitude de sujets de société vus depuis la perspective de ces jeunes gens paumés : l’isolement et la solitude (qu’elle soit réelle ou ressentie comme telle), l’addiction au virtuel, la fuite face à la réalité, la difficulté de nouer des liens, les traumatismes, la manipulation, le douloureux travail de deuil et, en point d’orgue, la résilience grâce à l’amour, moteur qui permet de sortir du marasme psychologique. Le tout est plutôt finement analysé et s’insère bien dans le récit, sans l’alourdir ni prendre le pas sur le thriller. Et si à première vue, elle s’adresse d’abord à un jeune public, la série est aussi susceptible de parler aux adultes – qu’ils se sentent concernés à travers leurs enfants, ou qu’ils se retrouvent dans les doutes et les errements de leur propre adolescence
Il faut se laisser entraîner dans Kiss Me First : l’histoire complexe et le mélange troublant entre prises de vue réelles et images de synthèse peuvent s’avérer déconcertants, mais on finit par s’y faire. Indéniablement et même si l’idée n’est pas totalement aboutie, la série est originale et innovante sur la forme. C’est surtout un thriller intrigant qui a le mérite d’aborder avec sensibilité des thèmes délicats. L’un dans l’autre, Kiss me first est une jolie surprise. A découvrir sur Netflix – en sachant qu’une saison 2 a d’ores-et-déjà été commandée.
Kiss me first (Channel 4 – Netflix)
6 épisodes de 45′ environ.