Dure mais souvent pertinente, Euphoria, la première série teen de HBO plonge dans le mal-être adolescent sans lésiner sur le trash et la provocation.
C’est quoi, Euphoria ? Affectée depuis son enfance par des troubles psychologiques, Rue (Zendaya) est tombée dans la toxicomanie. Après une cure de désintoxication suite à une overdose, l’adolescente rentre chez elle auprès de sa mère (Nika King) et sa sœur (Storm Reid). Mais Rue ne compte pas rester clean, et elle retombe immédiatement dans ses addictions. Autour d’elle, ses camarades de lycée sont aussi en souffrance à des degrés divers et cherchent un exutoire dans des fêtes alcoolisées, la drogue ou le sexe. Lorsque Rue fait la connaissance de Jules (Hunter Schafer), une jeune fille transgenre qui vient d’arriver en ville, leur mal-être entrent en résonance et elles deviennent amies.
Précédée d’une bande-annonce intrigante, avec ses huit épisodes écrits et réalisés par Sam Levinson (fils de Barry Levinson, le réalisateur de Rain Man) et produite par le rappeur Drake, la série Euphoria arrive le 17 Juin sur HBO (et en France sur OCS en US+24). Stricto sensu, on peut parler de teen drama, quoi que le terme soit à prendre avec réserve : c’en est un, dans la mesure où ses personnages sont des lycéens mais la mise en œuvre, volontairement choquante et provocante, en fait une fiction sans doute peu adaptée à un public adolescent.
L’histoire prend la forme d’un récit choral, porté par la voix off omniprésente de Rue (Zendaya). Le procédé, parfois un peu pesant, permet toutefois d’ appréhender la personnalité, les motivations et les sentiments qui animent ces jeunes perturbés et en souffrance. Quel que soit leur mal-être (doutes sur leur sexualité, complexes physiques, relations familiales toxiques, absence de vie amoureuse ou simplement l’ennui), tous se cherchent et tentent d’évacuer leurs douleurs existentielles dans la drogue, l’alcool, le sexe ou tout autre comportement à risque.
C’est Rue, avec sa toxicomanie; son amie Jules, coutumière des aventures sordides avec des hommes plus âgés ; Kat (Barbie Ferrara), complexée par son poids qui découvre la pornographie en ligne ; la fragile Maddy (Alexa Demie) ; son petit ami Nate (Jacob Elordi), jeune homme violent et témoin involontaire de la vie sexuelle sulfureuse de son père (Eric Dane) ; Fezco (Angus Cloud), petit dealer proche de Rue… Et il faut saluer les jeunes acteurs, tous remarquables dans des rôles intenses et complexes, comme l’envoûtante et évanescente Hunter Schafer et la géniale Barbie Ferrara. On retiendra aussi la performance de Zendaya : la jeune femme, qui a débuté sur Disney Channel (Agent KC) et vue au cinéma dans Spiderman : Homecoming, joue chaque scène avec une intensité sidérante et rend palpable toute la douleur, tous les doutes, tout le désenchantement de son personnage.
Euphoria est présentée comme l’adaptation de la série israélienne du même titre, qui s’appuyait sur une histoire vraie – l’assassinat d’un adolescent alors qu’il sortait d’une boîte de nuit – pour raconter la manière dont ses camarades cherchaient à surmonter cette tragédie. Mais ce n’est qu’une source d’inspiration, et Euphoria s’emploie à raconter sa propre histoire. Voire une partie de celle de Levinson, qui reconnaît y avoir mis beaucoup de lui-même. Longtemps toxicomane, il expliquait dans une récente interview : «J’ai essayé de saisir les émotions exacerbées que l’on ressent quand on est jeune (…). On a l’impression que le monde entier ne cesse de s’en prendre à vous. L’angoisse et les variations d’humeur sont, je pense, inhérentes à la jeunesse – mais encore plus lorsque vous êtes aux prises avec l’anxiété, la dépression et la dépendance. »
Le réalisateur a déjà abordé le thème de l’adolescence dans son film Assassination Nation, en 2018 ; il en reprend plusieurs éléments esthétiques, avec un côté trash assumé, des scènes de trip aux couleurs explosives, un montage dynamique et une caméra souvent immersive. Le fond rejoint la forme, et il y a quelque chose de volontairement dérangeant. On pense à Trainspotting et Skins, mais Euphoria va plus loin en montrant le mal-être de ses personnages de manière graphique et sans filtre, avec des scènes-chocs : overdose, consommation de drogue, nudité frontale (on ne lésine pas sur les pénis), actes sexuels filmés de manière crue… C’est glauque et malsain, mais ce voyeurisme n’est pas gratuit. L’approche traduit ce que le réalisateur veut montrer de la réalité de ces adolescents : un maelstrom d’incertitudes, d’émotions et de fragilités, et la profonde angoisse existentielle qu’ils tentent d’exorciser par des comportements extrêmes.
Tous les protagonistes sont dans une souffrance prégnante, emportés dans une violence dont ils sont les victimes et / ou les auteurs, des comportements auto-destructeurs et des failles psychologiques. Le récit ne s’attache à aucun moment à un personnage heureux et épanoui, tout est pesant, douloureux, terrible. Et Euphoria est formidable dans la manière dont elle traduit le malaise et les souffrances de ses héros. La façon dont ils les manifestent et les expriment est atrocement crédible, extrêmement bien analysée et traduite à l’écran – à l’instar des pulsions d’automutilation de Jules. Individuellement, leur parcours est tragique ; quand les vécus se superposent, c’est une vision d’horreur. Et ce, même si affleure parfois un soupçon de tendresse ou d’optimisme. Il y a de brefs instants d’amour ou d’amitié, des connections improbables comme celle de Jules et Rue qui se soutiennent et trouvent un miroir à leur propre douleur d’exister.
Euphoria est tumultueuse, provocatrice et perturbante – à l’image de ses jeunes héros, dont elle illustre le vécu de manière crue voire brutale, en explorant comment ils tentent d’échapper à leur mal-être ou de lui donner un sens par des comportements extrêmes et auto-destructeurs. Avec ses scènes dérangeantes, Euphoria frappe toujours fort et souvent juste. Une chose est certaine: voilà une série qui ne laisse pas indifférent.