Avec pour héros un inspecteur bénéficiant d’une chance incroyable, Lucky Man oscille entre surnaturel et série policière.
C’est quoi, Lucky Man ? Enquêteur de la police londonienne, Harry Clayton (James Nesbitt) n’a pas de chance. Sa dépendance aux jeux lui a coûté son mariage avec Anna (Eve Best), a fragilisé sa relation avec sa fille, l’a endetté auprès d’un gangster chinois et entrave sa carrière au sein de la brigade des homicides. Tout change lorsqu’il rencontre la mystérieuse Eve (Sienna Guillory) : après avoir passé la nuit avec elle, il se réveille avec au poignet un étrange bracelet qu’il ne peut pas enlever, et qui lui donne une chance insolente – au jeu, mais aussi dans son travail, au grand étonnement de sa partenaire Suri Chohan (Amara Karan) et de son collègue Steve Orwell (Darren Boyd). Revers de la médaille, Harry comprend aussi qu’il y a un prix à payer : l’univers rétablit l’équilibre en frappant ses proches de malchance…
Lorsqu’on demandait au regretté Stan Lee – créateur d’innombrables super-héros de l’univers Marvel dont Spiderman, Iron Man ou les X-Men – quel super-pouvoir il aimerait avoir, il répondait : « La chance ». C’est à partir de cette idée qu’il a imaginé les prémices de Lucky Man, série britannique dont France 2 diffuse cet été la première des trois saisons. L’histoire, c’est donc celle d’un policier bénéficiant d’une chance surnaturelle grâce à la possession d’un étrange (et très moche, soit dit en passant) bracelet. Même si le titre original (Stan Lee’s Lucky Man) met son nom en exergue et qu’il a imaginé le point de départ, signalons que la participation de Stan Lee n’est que minime (il est coproducteur exécutif du pilote et fait une furtive apparition dans la troisième saison) ; c’est Neil Biswas (The Take) qui s’est chargé de l’écriture des épisodes en développant l’idée initiale.
Le premier épisode se consacre à la présentation du héros Harry Clayton et de sa situation personnelle, sa dépendance au jeu ayant poussé sa femme au divorce et l’ayant éloigné de sa fille. Rapidement, la série raconte les circonstances étranges au cours desquelles Harry se retrouve en possession du bracelet et découvre son «pouvoir ». Soit une chance incroyable avec laquelle il se familiarise à mesure qu’il en entrevoit l’étendue et l’usage qu’il peut en faire. Mais il comprend aussi que le phénomène est plus ambigu qu’il n’ y paraît : par une sorte de rééquilibrage karmique, la chance de Harry est contrebalancée par la malchance de ses proches, dont les vies sont même menacées. En outre, le bracelet est impossible à enlever, et Harry est la cible d’une mystérieuse organisation prête à tout pour s’en emparer… Peut-il compter sur l’aide de Eve, la femme énigmatique qui lui a donné le bijou et qui semble en connaître le secret ?
En parallèle, chaque épisode se focalise sur une affaire criminelle sans répercussion postérieure, sur laquelle enquêtent Clayton et sa partenaire, le sergent Chohan. Les inspecteurs se rapprochent de la résolution du meurtre au fil d’une investigation méthodique… et surtout des coups de chance et coïncidences improbables qui offrent à Harry des pistes et des indices sortis de nulle part, sous le regard incrédule de sa collègue. Ignorant tout du secret de son mentor, la jeune femme assiste aux étranges concours de circonstances qui lui livrent la clé du mystère mais s’effraye aussi de son changement de comportement. S’en remettant entièrement au bracelet, Harry devient de plus en plus téméraire et imprudent – d’aucuns diraient suicidaire…
Lucky Man repose ainsi sur une construction binaire, avec d’une part un arc consacré à la mythologie du bracelet et d’autre part des enquêtes indépendantes. Elle se situe donc entre l’histoire surnaturelle et le procedural policier – un peu dans l’esprit de la série Forever avec Ian Gruffudd. C’est un atout puisque Lucky Man y trouve son originalité, mais un handicap dans la mesure où elle oscille entre les deux genres sans jamais les fusionner complètement ni les lier de façon convaincante. Les deux trames restent juxtaposées, l’intrigue surnaturelle dédiée au bracelet progressant lentement (en général en fin d’épisode, avec un cliffhanger introduisant un nouvel élément) tandis que Harry résout les crimes sans aucune logique mais grâce à la chance induite par le bracelet, qui joue le rôle de deus ex-machina.
Si l’on passe sur cette mise en œuvre parfois maladroite, Lucky Man est indéniablement une série efficace et plaisante. Il y a d’abord cette notion de chance grâce à laquelle la série joue intelligemment sur l’idée de destin, de hasard, de morale, de bien et de mal malgré quelques lieux communs. Pleine de punch, la réalisation montre Londres de manière spectaculaire avec de nombreuses vues aériennes et comporte quelques scènes d’action haletantes (poursuite en hors-bords sur la Tamise par exemple) dans un esprit presque « James Bondien ». Citons aussi la bande-son, dont la formidable chanson de Colin Bailey Rae qui sert de générique.
Enfin, James Nesbitt est aussi bluffant qu’à l’accoutumée, ici dans le rôle d’un type ordinaire, toutefois complexe et attachant, qui se retrouve à devoir gérer les conséquences d’une situation exceptionnelle. Et c’est aussi ce qui donne une dimension un peu particulière à Lucky Man dans l’univers de Stan Lee : Harry Clayon est loin d’être un super-héros, son « pouvoir » provenant de circonstances extérieures sur lesquelles il n’a aucune prise.
Lucky Man mérite bien qu’on lui donne sa chance. Plaisante à suivre, elle est susceptible de séduire les adeptes de séries fantastiques comme les fans de séries policières parce que, quoi que parfois maladroitement, elle juxtapose les deux genres. Tout en restant légère, elle esquisse aussi en arrière-plan un embryon de réflexion sur le destin, la chance et la responsabilité. Car comme les grands pouvoirs, une grande chance aussi implique de grandes responsabilités…