
Adaptée des romans de Tony Hillerman, Dark winds raconte les enquêtes d’un lieutenant amérindien, dans une réserve du Nouveau-Mexique.
C’est quoi, Dark Winds ? Dans les années 1970, Jim Leaphorn (Zahn McClarnon) est lieutenant dans la police tribale Navajo, au sein d’une vaste réserve du Nouveau-Mexique. La découverte des corps d’un grand-père et de son petit-fils dans une chambre de motel, dans des circonstances étranges, plonge Leaphorn dans une enquête complexe. Avec son assistante Bernadette Manuelito (Jessica Matten) et le jeune agent Jim Chee (Kiowa Gordon), revenu dans la réserve après de nombreuses années d’absence, il ne tarde pas à faire le lien avec une affaire fédérale jamais élucidée, confiée à l’agent Whitover (Noah Emmerich) : un braquage de banque spectaculaire, vieux de plusieurs années.
Dark Winds, c’est un secret bien gardé. Une série diffusée sur AMC aux États-Unis et disponible en France sur Canal+, qui compte déjà trois saisons et qui, en dépit de critiques élogieuses, passe totalement inaperçue. Une injustice qu’il convient de réparer, tant ce polar aux airs de néo-western est prenant et brillant.
A l’origine de Dark winds, il y a les polars de Tony Hillerman. L’auteur a vécu de nombreuses années au Nouveau-Mexique et s’est lié d’amitié avec un shérif tribal Navajo ; c’est lui qui a inspiré le personnage de Jim Leaphorn, que Hillerman a mis en scène dans dix-huit romans parus dans les années 1980. Un certain Robert Redford a acheté les droits pour en tirer quatre films puis, en 2019, une série coproduite par George R.R. Martin (Game of Thrones).
Trois saisons, trois enquêtes haletantes
La première saison nous ramène dans les années 1970, dans une réserve Navajo près de Monument Valley, à cheval entre l’Arizona et le Nouveau-Mexique. C’est là que nous faisons la connaissance du lieutenant Jim Leaphorn, de son adjointe Bernadette Manuelito et du nouvel agent Jim Chee. A la tête d’une toute petite équipe, Leaphorn tente de maintenir l’ordre dans cette région sinistrée économiquement, négligée par les autorités et en proie à la misère sociale. Il intervient dans des affaires banales, des délits mineurs vite réglés, a fortiori parce que le lieutenant connaît tout le monde, dans la réserve. Ainsi, lorsque un grand-père et son petit-fils sont retrouvés brutalement assassinés dans une chambre de motel, Leaphorn comprend immédiatement qu’il s’agit d’une affaire hors-norme. Sa conviction est renforcée lorsqu’il entrevoit la possibilité d’un lien avec un braquage de banque, survenu des années plus tôt et jamais élucidé.
La deuxième saison reprend les mêmes personnages, qui enquêtent cette fois sur une explosion ayant blessé la femme de Leaphorn et tué un homme. Au départ, l’explosion semble être accidentelle, mais Leaphorn déduit rapidement qu’il s’agissait d’une bombe ; les différentes pistes vont le conduire jusqu’à une secte. Dans la troisième saison, la disparition de deux adolescents amène notre héros vers une affaire complexe, qui pourrait être lié à un vieux mythe navajo ; dans le même temps, une agent du FBI enquête sur une affaire à laquelle Leaphorn est étroitement mêlé.
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Dans les trois saisons, la dynamique est la même. L’intrigue criminelle se développe méthodiquement, la série prend le temps de placer toutes ses pièces sur l’échiquier, tandis que nous découvrons les secrets de la communauté Navajo. L’enquête progresse « à l’ancienne » : nous sommes dans les années 1970, sans ADN ni géolocalisation ou autre technique scientifique. Et tout s’accélère dans le dernier épisode, où toutes les pistes convergent pour conclure l’histoire, de manière spectaculaire et convaincante, en évitant toute solution de facilité.
Polar noir chez les Navajos
Dark Winds mélange les genres pour arriver à un résultat pourtant fluide et homogène. Derrière l’intrigue policière, la série introduit des éléments surnaturels liées aux croyances ancestrales Navajo (comme le Ye’iitsoh dans la troisième saison qui lorgne davantage du côté du fantastique), la vie personnelle des trois personnages principaux (Jim Leaphorn, par exemple, porte comme un fardeau la mort de son fils), une ambiance digne d’un western de Sam Peckinpah dans des décors sauvages et splendides, et enfin un regard spécifique sur la communauté amérindienne.
Car la série met surtout en exergue la situation des Navajos. Tournée dans des lieux naturels du Nouveau-Mexique et de l’Arizona (dont Monument Valley), Dark winds intègre et dénonce au fil des saisons les souffrances endurées par de nombreuses tribus amérindiennes, perpétrées par les institutions : le racisme, la stérilisation forcée des femmes, l’enlèvement des enfants confiés à des établissements pour les « assimiler », les violences économiques et sociales, l’abandon des réserves par les autorités comme des sortes de ghettos.

Et ce sont majoritairement des amérindiens que l’on retrouve devant et derrière la caméra. En plus de sa grande expérience, le scénariste principal Graham Roland (Lost, Fringe) est originaire de la nation Cherokee et il a recruté des co-auteurs amérindiens. Même chose pour le casting : issu de la tribu Hualapai, Kiowa Gordon est excellent dans le rôle de Chee, tout comme la Canadienne d’origine Cree, Jessica Matten, qui joue Bernadette.
Mais c’est surtout l’acteur Lakota Zahn McClarnon qui brille, enfin dans un rôle principal après une carrière remarquable – on l’a vu dans Fargo, Westworld, Reservation Dogs et Longmire. Il est impressionnant du début à la fin, capable de montrer la douleur qui ronge Leaphorn suite à la mort de son fils, mais aussi sa rigidité et sa rectitude morale, sa détermination et sa force en tant que leader de la communauté. Et rien que pour avoir enfin donné à Zahn McClarnon un premier rôle à la hauteur de son talent, Dark Winds mérite nos louanges.
Polar à l’ancienne, parfaitement construit, brillamment écrit et tourné dans les décors spectaculaires du Nouveau-Mexique, Dark Winds est une excellente série qui n’a pas l’attention qu’elle mérite. Non seulement pour ses intrigues prenantes, son ambiance sauvage et la magnifique prestation de Zahn McClarnon, mais aussi pour le regard inclusif et l’immersion qu’elle offre, au sein d’une communauté amérindienne longtemps négligée ou maltraitée dans la fiction. Une réussite de bout en bout.