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On débriefe pour vous… Dickinson réinvente la célèbre poétesse dans un fantasme pop

A mille lieues de la biographie classique, la série s’empare du personnage de Emily Dickinson pour créer une fantaisie moderne et colorée. 

C’est quoi, Dickinson ? Nous sommes au milieu du XIXe siècle, en Nouvelle-Angleterre. Âgée de 20 ans, Emily Dickinson (Hailee Steinfeld) vit dans la maison familiale où sa mère (Jane Krakowski) cherche à faire d’elle une bonne femme d’intérieur et fait défiler les prétendants dans le but de la marier. Mais Emily les éconduit systématiquement car elle aspire à autre chose : elle rêve de voir publier les poèmes qu’elle écrit, seule dans sa chambre. Indépendante et rebelle, elle s’obstine malgré l’opposition de son père (Toby Huss) et consacre notamment de nombreux vers à Sue (Ella Hunt), sa meilleure amie dont elle est secrètement amoureuse, mais qui vient de se fiancer à son frère Austin (Adrian Enscoe)…

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Parmi toutes les séries lancées sur Apple TV+, Dickinson, était peut-être la moins attendue. Or, avec ses huit épisodes d’une demi-heure (tous déjà disponibles), cette comédie dramatique consacrée à la poétesse Emily Dickinson s’avère très divertissante, et c’est aussi la plus audacieuse des productions du nouveau service de streaming. 

Dès la première scène, il est clair qu’il ne s’agit pas d’une biographie traditionnelle et que la série revisite le personnage, s’inspire de sa vie pour en faire autre chose. Oui, mais quoi ? Et bien, Dickinson est à la fois un teen drama, une dramédie familiale, une série historique, une histoire d’amour, le portrait psychologique d’une artiste et l’illustration de son processus de création artistique. Et en définitive, une sorte de fantasme autour de la figure de Emily Dickinson. 

Le pari de sa créatrice Alena Smith (scénariste de The Affair) consiste à mettre en scène une artiste mythique en décalage avec son époque, en établissant des liens avec ses poèmes les plus célèbres (un en exergue dans chaque épisode) et en montrant ce qui se passe dans sa tête. Interprétée par une excellente Hailee Steinfeld (True Grit), cette Emily s’éloigne radicalement de l’image qu’on en a généralement. Oubliez la jeune poétesse timide et renfermée ; ici, Emily est une jeune femme pétillante, excentrique et audacieuse, à l’esprit vif et volontiers sarcastique. Mais aussi une femme obsédée par la mort (qu’elle rencontre dans ses fantasmes, et qui prend le visage du rappeur Wiz Khalifa), pan-sexuelle,amoureuse de sa meilleure amie Sue malgré les conventions, et dont le désir de liberté et d’émancipation se heurte à une société patriarcale qui enferme les femmes dans des rôles bien définis et l’empêche de voir ses poèmes publiés. 

Emily Dickinson écrit, enfermée dans sa chambre

Ce que Dickinson a aussi de particulier, c’est qu’elle a choisi une approche totalement atypique et explose tous les codes : elle crée un monde paradoxal, entre le XIXème et le XXIème siècle, avec un enchevêtrement de reconstitutions d’époque, un contexte historique (social mais aussi politique) et des anachronismes. Ce qui donne une atmosphère déconcertante au premier abord, mais aussi fraîche et originale, qui parvient à nous montrer le monde tel que Emily Dickinson le voyait, d’après la série. 

Fantaisie pop et colorée, Dickinson est bourrée de dialogues de notre époque, de musique électro pop, punk ou rap, de personnages aux comportements dignes de la génération millenial. On lance des « Quoi de neuf, sœurette ? » ou des « Tranquille, on se pose» au son de Lizzo, Billie Eilish ou ASAP Rocky ; on fait des fêtes avec des trips aux opiacées entre le Marie-Antoinette de Sofia Coppola et un épisode de Euphoria ; on twerke en costumes d’époque ; lorsque la petite bande joue Othello, on croirait voir des collégiens monter une pièce de théâtre. En décalage avec la plupart des autres personnages, Emily a des préoccupations très actuelles et des convictions féministes : c’est une jeune femme qui cherche à exister, à se réaliser – que ce soit par la publication de ses poèmes, son désir de rester célibataire, sa fluidité sexuelle ou même des choses en apparence plus futiles, comme la préservation d’un arbre promis à l’abattage ou son désir d’assister à une conférence scientifique réservée aux hommes. 

Reste une question : y a-t-il quoi que ce soit de vrai dans ce portrait atypique ? Étonnamment, la réponse est bien plus affirmative qu’on pourrait le penser. Popularisée tout de suite après sa mort et bien que de plus en plus remise en question, l’image de la vierge victorienne fragile et réservée, recluse dans sa chambre d’Amherst, a longtemps persisté. Certes, le portrait de sa mère (Jane Krakowski dans la série) ne semble pas fidèle aux faits, la rencontre avec le poète John David Thoreau ou Louisa May Alcott (interprétée par Zosia Mamet de Girls) n’est pas attestée, et on débat encore d’une éventuelle histoire d’amour entre Emily et Sue. 

Pourtant sur le fond, Dickinson a enthousiasmé de nombreux spécialistes. Quand Christopher Benfey, professeur d’anglais qui a souvent écrit sur la poétesse, la qualifie de «bad girl de la littérature américaine du XIXe siècle », sa collègue Martha Nell Smith de l’Université du Maryland salue l’idée  « que la culture pop s’éveille à une Emily Dickinson courageuse, forte, audacieuse et drôle. Ce personnage n’est pas une invention. » Le portrait n’est donc pas académique, mais avec ses délires pop et ses anachronismes, la série s’approche peut-être d’une idée de Emily Dickinson, personnelle mais tangible et pertinente: une rebelle, une pionnière, en lutte constante contre les limites imposées par la société, à la fois proche de la réalité et avec une résonance étonnamment moderne. 

Renouvelée pour une deuxième saison, Dickinson est une série étonnante, qui frappe par son originalité et son audace. Comme Emily, elle n’a pas froid aux yeux et assume toutes ses extravagances. A grands coups d’anachronismes, elle dynamite l’image de son héroïne dans un récit drôle, coloré et inspirant ; elle réinterprète Emily Dickinson et, à travers elle, célèbre tous ceux qui pensent différemment, en dehors des conventions sociales. Et si la série incite ne serait-ce que quelques spectateurs à lire un de ses poèmes, c’est encore mieux. 

Dickinson (Apple TV+)
10 épisodes de 30′ environ.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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