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On débriefe pour vous … Faux-Semblants (Dead Ringers), transgressive et sanglante

Avec d’autres thèmes et une double dose de Rachel Weisz, Faux-semblants ré-imagine le film éponyme des années 1980 signé David Cronenberg.

C’est quoi, Faux-Semblants ?  Elliot et Beverly Mantle (Rachel Weisz), jumelles monozygotes et donc parfaitement identiques, sont toutes les deux médecins spécialistes en gynécologie et obstétrique. Elles partagent les excès, les amants, la drogue…mais aussi le même projet : avec l’appui financier d’une riche investisseuse (Jennifer Elhe), elles aspirent à créer leur propre clinique privée, dans le but de révolutionner le système de santé. Plus précisément, leur objectif est de redéfinir les domaines de la fertilité, de la procréation et de l’accouchement pour aider les femmes, quitte à transgresser les limites de l’éthique médicale. Leur relation personnelle et professionnelle, symbiotique et fusionnelle, va cependant être bouleversée  lorsque Beverly entame une relation avec Geneviève (Britne Oldford), une actrice célèbre rencontrée lors d’une consultation à l’hôpital…

Série présentée à Canneséries 2023

Au départ, c’est un fait divers qui a inspiré à Bari Wood et Jack Geasland le livre Twins dans lequel ils romancent l’histoire des jumeaux Steward et Cyril Marcus; David Cronenberg en a tiré le film Dead Ringers (Faux-semblants) en 1988. Et c’est aujourd’hui  Alice Birch (dramaturge et auteure de Normal People) qui s’empare du récit pour en livrer une autre version, une mini-série de six épisodes disponible sur Amazon Prime Video. C’est du reste plus une réinvention ou une réinterprétation qu’une adaptation. Dans la réalité, dans le livre et dans le film, on suit deux jumeaux gynécologues (interprétés par Jeremy Irons au cinéma) spécialistes de la fertilité à mesure qu’ils basculent dans la folie ; dans la série, ce sont des jumelles. Le choix de mettre en scène des femmes permet à ce Faux-Semblants de traiter d’autres thématiques à travers un regard féminin.

Comme chez Cronenberg, la relation entre les deux personnages principaux est le moteur de l’histoire, et elle est particulièrement perverse et toxique. Les deux femmes n’hésitent pas à partager voire échanger salles d’opération, patientes, drogues et amants, mais elles sont aussi très différentes : Beverly est timide, douce et maternelle ; Elliot est immature, impulsive et violente. Il suffit de quelques minutes pour qu’on saisisse la personnalité de Beverly et celle de Elliot ou leurs motivations (pour Beverly, le centre est un moyen d’aider les femmes alors que pour Elliot, c’est l’occasion d’avoir son propre laboratoire).

Les six épisodes jouent beaucoup sur le concept de dualité, tant dans l’intrigue que dans les concepts éthiques ou la mise en scène, mais surtout avec les personnages. A dessein (et malgré un artifice maladroit qui consiste à montrer l’une des sœurs les cheveux lâchés et l’autre les cheveux attachés) , Faux-semblants crée une confusion dans l’identité des jumelles, il y a des moments où on ne sait plus vraiment qui est qui.  Malgré des personnages secondaires intéressants, le cœur de la série est indéniablement la relation entre les deux sœurs : une relation complètement dysfonctionnelle de dépendance et d’amour/ haine, qui frôle la folie avant d’y plonger complètement. Et c’est un double rôle dont Rachel Weisz tire magnifiquement partie – au point qu’on se surprend à penser que les actrices (au pluriel) qui incarnent les jumelles sont vraiment excellentes ! 

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Elliot et Beverly, Rachel Weisz à la puissance deux.

Mais c’est donc surtout en termes de thématiques que la série s’éloigne du travail de Cronenberg. Et pour cause : avec deux héroïnes, qui plus est dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique, la série peut aborder des sujets sensibles voire controversés, dans une perspective exclusivement féminine. En l’occurrence, les jumelles (Elliott en particulier) veulent être les pionnières d’une pratique médicale qui frôle l’illégalité, révolutionner la science en franchissant la ligne rouge (et on n’utilise pas l’expression gratuitement, étant donné la prédominance de cette couleur à l’écran), repousser les limites de ce qui est moralement correct afin d’améliorer le processus par lequel les femmes conçoivent et donnent la vie. A partir de là, la série parle des limites de l’éthique en matière de fécondité, des violences médicales que subissent les femmes, de l’ingérence des financements privés dans le domaine de la santé, du désir de maternité, de dépression post-partum, de gestation pour autrui, de PMA, de ménopause ou d’eugénisme. 

Si les sujets traités sont dérangeants, la mise en scène ne l’est pas moins : la série est brutale en termes d’images, explicite voire gore. Elle n’hésite pas à montrer le sang, les césariennes, les accouchements traumatisants et autres procédures médicales ; le premier épisode en particulier s’ouvre sur une succession de scènes sanglantes et choquantes. Citons aussi une séquence-choc qui expose le « travail » de James Marion Sims, le « père de la gynécologie moderne » au XIXème siècle, qui a conduit des expériences sur une esclave de 17 ans et l’a torturée au nom de la science. 

Un jeu de miroirs constant entre les jumelles

Au final, Faux-semblants fourmille d’idées, de sujets de réflexion, de scènes emblématiques et de dialogues enlevés. Peut-être trop, au point qu’on frôle la saturation.  Parfois, la série perd le fil et ajoute des intrigues secondaires dispensables (comme celle centrée sur  la  gouvernante des Mantle) ; lorsqu’elle se recentre sur ses sujets principaux, les dialogues sont parfois si théâtraux qu’elle perd toute subtilité. Tout, dans Faux-Semblants, s’appuie en fait sur les excès, la frénésie furieuse de la relation entre les deux sœurs, les images explicites. Un parti pris qui tombe dans une surexposition évidente de l’histoire et des thèmes abordés mais qui, néanmoins, a le mérite de nous propulser dans une spirale névrotique étourdissante et effrayante.

Adaptation ou réinvention du film éponyme de Cronenberg, Faux-Semblants est loin d’être parfaite, avec une outrance qui frôle parfois le grotesque. Reste que la série propose un regard différent et assumé et aborde des sujets controversés à travers un point de vue féminin intéressant et pertinent – a fortiori dans le contexte de recul des droits des femmes, notamment en termes de droit à disposer de leur corps. Aussi sombre, violente et perverse que le lien qui unit ses deux héroïnes, magistralement incarnées par Rachel Weisz, c’est une mini-série qui ne peut pas laisser indifférent. 

Faux-Semblants
6 épisodes de 55′ environ.
Disponible sur Amazon Prime Video.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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