Comédie délicieuse et moins frivole qu’il n’y parait, Jane The Virgin s’est achevée cette année avec une cinquième saison, bientôt disponible sur Netflix.
C’est quoi, Jane The Virgin ? Jane Gloriana Villanueva (Gina Rodriguez) est une jeune femme de 24 ans d’origine vénézuélienne, qui rêve d’écrire des romans d’amour. Fille de Rogelio de la Vega (Jaime Camil), célèbre acteur de telenovela dont elle ignore au départ l’identité, Jane a été élevée par sa mère Xiomara (Andrea Navedo) et sa grand-mère Alba (Ivonne Coll). En vertu de son éducation catholique, la jeune femme entend rester vierge jusqu’à son mariage avec son petit ami, Michael (Brett Dier). Mais suite à une visite de routine chez sa gynécologue, Jane se retrouve enceinte : elle a été inséminée « accidentellement » avec le sperme de Rafael (Justin Baldoni), directeur de l’hôtel ou elle travaille en tant que serveuse…
Avouons-le : en 2014, le pitch improbable de Jane The Virgin nous a laissés perplexes. Le projet, adaptation d’une telenovela vénézuélienne (Juana la virgen) a pourtant séduit la CW et, contre toute attente, la série s’est imposée comme une comédie drôle et originale, mais aussi plus complexe et intelligente que ce qu’on pourrait croire au premier abord. Elle s’est terminée au bout de cinq saisons, sur un centième épisode dont nous ne dévoilerons rien, mais qui conclut l’histoire comme sa créatrice Jenny Snyder Urman l’avait imaginé depuis le début.
Bien qu’adaptée d’une telenovela, Jane The Virgin n’en est pas vraiment une ; elle ne renie pas pour autant ses origines. Au contraire, elle les revendique et s’empare de toutes les caractéristiques et mécanismes du genre pour faire non pas une parodie ironique et condescendante, mais un hommage espiègle à ces feuilletons souvent méprisés et pourtant extrêmement populaires dans de nombreux pays (notamment en Amérique latine). Entre références, mise en abyme, premier et second degrés et auto-dérision, Jane The Virgin exploite et détourne tous les clichés.
On y trouve des jumelles diaboliques, des méchants perfides, des morts qui ressuscitent, des enlèvements, des changements d’identité, des amnésies, un triangle amoureux… Mais il y a plus: les trois femmes de la famille Villanueva sont accro aux telenovelas ; le père de Jane, Rogelio, est une vedette du genre qu’on accompagne sur les tournages de feuilletons plus délirants les uns que les autres ; il rêve d’adapter pour la télévision américaine Les passions de Santos, son plus grands succès ; cerise sur le gâteau, l’acteur qui l’interprète n’est autre que Jaime Camil, qui a joué dans La fea más bella, version mexicaine de Ugly Betty !
Parfaitement lucide quant à l’existence de ces ressorts narratifs, Jane The Virgin construit en grande partie son identité autour de cette prise de conscience. En particulier grâce à une brillante trouvaille : la voix off d’un narrateur omniscient et omniprésent (Anthony Mendez en V.O., Benoît Allemane en VF) dont on découvrira l’identité à la fin de la série et qui, de sa voix chaude de latin lover, commente chaque scène et chaque rebondissement comme s’il était assis à côté du spectateur, exprimant sa surprise ou son incrédulité.
La série s’empare aussi de stéréotypes qu’elle bat en brèche pour construire petit à petit des personnages complexes et profonds, impossibles à classer dans des catégories prédéfinies. Par exemple Xiomara, femme indépendante et intelligente, loin de l’image de bimbo latina ; la grand-mère Alba, parangon de vertu catholique capable de se remettre en question et même de s’intéresser au sexe ; Petra, l’épouse ambitieuse et vénale de Rafael, « méchante » perverse et manipulatrice qui devient plus humaine et même amie avec Jane. Du côté des hommes, Michael, le garçon lisse et idéal, révèle aussi des côtés plus sombres ; Rafael, le playboy latino sans scrupule, dévoile des faiblesses et apparaît comme un homme amoureux et un père attentionné ; Rogelio, au premier abord un macho vaniteux et imbu de lui-même, assume et revendique sa vulnérabilité et sa sensibilité.
Jane The Virgin est également une comédie romantique basée sur le triangle amoureux Jane / Micheal / Rafael. Jane n’est pas insensible à leurs charmes respectifs : ses doutes et hésitations entre les deux hommes de sa vie sont l’un des principaux moteurs du récit, la situation et les sentiments des trois personnages variant au gré des péripéties. Tandis que le public se divise en #TeamMichael et #TeamRafael, la romcom se teinte à l’écran de ce que les scénaristes définissent comme du « réalisme magique », en référence au courant littéraire latino-américain : des effets visuels montrent le cœur des protagonistes qui irradie ou se brise littéralement, il neige des fleurs blanches sur les amoureux, les licornes parlent et les personnages des romans de Jane prennent vie.
Et Jane The Virgin, c’est aussi et surtout l’histoire d’une jeune femme fleur bleue et naïve, qui se construit en tant que mère célibataire et écrivaine face aux épreuves et aux déconvenues, sans rien perdre de son idéalisme et de sa fraîcheur. Et ce, notamment grâce à l’amour et au soutien inconditionnels de sa mère et sa grand-mère. Les relations pleines de tendresse de ces trois générations de femmes sont toujours incroyablement touchantes et réjouissantes ; les trois actrices sont du reste formidables, même si l’on se focalise surtout sur une Gina Rodriguez magnifique qui rend Jane si charmante, drôle et attachante.
Enfin, la série aborde une multitude de thématiques plus sérieuses : l’immigration clandestine et la naturalisation, le cancer, la parentalité, la religion, le multiculturalisme, le féminisme, la dépression, le deuil, l’avortement, la sexualité…. Elle le fait avec fluidité, presque sans en avoir l’air, grâce au mélange permanent de deux tons complètement différents : des moments de délire telenovelesques poussés à leur paroxysme et des séquences tendres ou dramatiques plus réalistes et terre-à-terre. C’est aussi ce qui fait de Jane The Virgin , comédie drôle et malicieuse, une série plus importante et signifiante qu’il n’y paraît au premier abord.
On pourrait être tenté de cataloguer un peu vite Jane the Virgin comme une une petite comédie frivole et sans importance. Pourtant, derrière le pitch improbable, les situations excentriques et les références espiègles aux telenovelas, le récit se révèle beaucoup plus ambitieux au fil des saisons, avec des problématiques complexes, une déconstruction des stéréotypes et des personnages riches en nuances. Si la série n’est pas parfaite, elle s’est imposée au cours de ses cinq saisons comme une fiction drôle, touchante et intelligente. Bénie soit Jane The Virgin !