La guerre mafieuse pour le contrôle de Rome reprend de plus belle, dans une deuxième saison de Suburra encore plus impitoyable.
C’est quoi, Suburra (saison 2) ? Trois mois après les événements de la saison précédente, Aureliano (Alessandro Borghi) ne se remet pas du drame qui l’a frappé et traque sa sœur Livia pour se venger. Spadino (Giacomo Ferrara) tente de prendre le contrôle du clan familial, contre sa mère mais avec le soutien de sa femme Angélica. Promu inspecteur adjoint, un Lele (Eduardo Valdarnini) en porte-à-faux est obligé de choisir son camp. Tous les trois se préparent à affronter le Samouraï (Francesco Acquaroli), déterminé à s’emparer des terres d’Ostie . Il compte notamment peser sur les élections municipales imminentes et faire de Cinaglia (Filippo Nigro), candidat dont il finance en sous-main la campagne, le prochain maire de Rome. Pour se faire élire, celui-ci exploite la peur et la colère provoquées par l’afflux de migrants, dont l’arrivée est gérée par Sara (Claudia Gerini) en collaboration avec le Vatican.
Nous revoilà plongés au cœur de la pègre mafieuse de Rome, dans la deuxième saison de Suburra. Rappelons que cette production originale de Netflix est un prequel du film du même nom réalisé par Stefano Sollima, lui-même inspiré du roman de Carlo Bonini et Giancarlo De Cataldo. Huit nouveaux épisodes dans la lignée de la saison précédente, avec de nombreuses qualités qui contrebalancent autant de défauts.
Le grand point négatif tient certainement à la répétitivité du scénario. Mêmes ressorts et rebondissements, mêmes scènes violentes, mêmes objectifs pour les personnages : la guerre pour le contrôle du Lazio repose toujours sur un nœud de trahisons, meurtres, changements d’alliances et corruption. Cohérente dans son développement, condensée en huit épisodes au lieu de dix, efficace dans la réalisation et toujours portée par une bande-son de rap italien particulièrement réussie, l’histoire en elle-même n’apporte toutefois pas grand-chose par rapport à la saison précédente, ni même par rapport aux autres fictions du même genre. On pense notamment aux premières saisons de Gomorra : le cadre change (Rome au lieu de Naples) mais le fond reste très similaire.
Rome, justement, demeure un personnage à part entière dans Suburra. La formule peut sembler galvaudée, elle n’en est pas moins pertinente ici. Cette saison s’ouvre sur une sublime vue panoramique du Colisée avant de s’étendre à l’ensemble de la ville; la série nous rappelle vite que, derrière sa magnificence et sa beauté, la capitale cache la peur et la mort, que la pègre propage comme une maladie. La mafia submerge tout, corrompt tout : les familles, la police, la politique, l’Église.
En dépit d’une situation géographique marquée et du contexte local, le récit prend aussi une dimension plus générale. Cette saison, Suburra plaque sur le drama criminel toute une série de problématiques actuelles, qui résonnent au-delà des frontières italiennes. Se déroulant juste avant et juste après l’élection du maire de Rome, le récit se sert de la campagne pour aborder des sujets brûlants : relations malsaines entre politique et crime organisé, programme ultra-sécuritaire, corruption, afflux des migrants, ambiguïté de certaines ONG, influence des médias, racisme, résurgence des mouvements d’extrême-droite… Si ces questions restent intéressantes, elles n’ont toutefois qu’un impact modéré. Le regard est dénué de toute portée sociologique, voire superficiel ou naïf. Et même un peu artificiel, dans la mesure où l’on a parfois l’impression d’un objectif déclaré : les auteurs avaient l’intention d’aborder ces sujets, quitte à infléchir l’intrigue pour y parvenir.
Malgré tout, Suburra compense ces travers grâce au traitement de ses personnages, auxquels elle donne plus de profondeur en accordant une large place à leur évolution et leurs états d’âme. A commencer par Aureliano, Spadino et Lele. Ils ont changé, se sont affranchis chacun à leur manière d’une imposante figure paternelle et ont gagné en maturité. Mais ils sont seuls. Impitoyables, mais traversés par un sentiment de culpabilité, des émotions refoulées et des scrupules. Dans une succession de trahisons et d’alliances de fortune, ils ne peuvent compter que sur l’amitié qui les unit. Tous les trois veulent le pouvoir et sont prêts à tout pour l’obtenir mais, étrangement, ils s’entendent pour se partager la domination de Rome et renverser la Samouraï. Leur ambition a toutefois un prix : celui du sang. Et cette saison est bien plus violente que la première : on meurt beaucoup, dans Suburra…
Si l’on retrouve aussi Sara , le Samouraï (toujours magnifiquement interprété par Francesco Acquaroli) ou Francesca (personnage qui prend une importance inattendue) et que d’autres protagonistes viennent s’ajouter à eux (comme Cinaglia, ou Nadia, la fille d’un petit chef mafieux), le récit reste avant tout centré sur le trio. Encore plus sombre et désespérée que la précédente,cette saison est pleine de scènes (des flash-back sur l’enfance des héros, la confrontation entre Aureliano et sa sœur Livia ou l’ultime séquence) qu’on croirait sorties d’une tragédie antique. Il y a un sentiment d’inéluctabilité, dans le parcours de ces trois-là. Un fatum, un destin déjà écrit dont Aureliano, Spadino et Lele sont les victimes impuissantes. La lutte pour le contrôle de Rome est une guerre dont il est impossible de sortir vainqueur. Tout juste peut-on espérer rester vivant, au prix de cruels sacrifices et de la perte de son innocence.
L’un dans l’autre, Suburra reste convaincante et accrocheuse. Plus sombre et plus violente que la précédente, cette deuxième saison souffre un peu des faiblesses d’un scénario répétitif mais gagne pourtant en intensité. Parce qu’au-delà d’une énième histoire de mafia, Suburra exploite à merveille ses personnages, et en particulier Aureliano, Spadino et Lele. Loin de tout manichéisme ou stéréotype, ces trois-là sont incroyablement attachants. Le moteur de Suburra, c’est moins une succession de fusillades ou de règlements de compte que le silence d’Aureliano face à la mer, la danse endiablée de Spadino ou le regard désespéré de Lele dans le dernier épisode. Le formidable générique de Piotta nous avait prévenus : Roma ama ma non perdona…
Suburra (Netflix)
Saison 2 – 8 épisodes de 45′ environ.
Disponible depuis le 23 Février.