
Attendue sur France 2, L’intruse est d’abord présentée en avant première au Festival de Luchon et mérite totalement le détour.
MEILLEURE MINI SÉRIE / MEILLEUR SCÉNARIO / MEILLEURE RÉALISATION
FESTIVAL DES CREATIONS TELEVISUELLES DE LUCHON 2025
L’essentiel
France Télévisions frappe fort en ce moment avec ses mini-séries, s’éloignant des traditionnels polars ou histoires sociétales pour embrasser le genre et réussir totalement l’incursion. Après Rivages et bientôt Anaon ou Surface; France 2 présente en avant première la mini série L’intruse au Festival de Luchon, un face à face diabolique entre Mélanie Doutey et Lucie Fagedet, réalisée par Shirley Monsarrat sur une scénario de Nathalie Saugeon et Nathalie Abdelnour. Pour une efficacité maximale !
Paula, 40 ans, arrive à la fin de son congé maternité. Elle doit reprendre le travail dans quelques jours. Mais elle n’est pas prête. Orso, son petit dernier, l’a épuisée, sans parler de ses deux aînés. Avec son mari Jérôme, elle recrute, Tess, jeune fille au pair. Elle a l’air parfaite. Paula se sent rapidement mal à l’aise avec la jeune fille. Elle est pourtant la seule. Tout le monde adore Tess. Mais elle remarque des changements au sein de son foyer et la multiplication d’incidents domestiques qui la font passer pour une mauvaise mère. Elle sent que quelque chose ne va pas, mais personne ne la croit quand elle affirme que Tess leur veut du mal… C’est son baby blues qui la rend sans doute parano, lui répond-on. A moins que Paula ait elle-même des choses à cacher ? Quant à Tess, elle n’est pas arrivée là par hasard. Que cherche-t-elle en pénétrant dans ce foyer ? Quand une inconnue pénètre dans son intimité, il faut en mesurer les risques et les conséquences. Une famille, c’est souvent fatiguant, éreintant. Pourtant, c’est quand on risque de la perdre qu’on mesure toute son importance.
On aime ?
Dans les années 90, on tombait souvent par hasard à la télévision sur des thrillers dont on avait que peu entendu parler mais qui se révélaient captivants de bout en bout à l’image de Malice, Les nuits avec mon ennemi, JF partagerait appartement ou La main sur le berceau. On découvrait aussi des thrillers psychologiques comme Liaison Fatale ou Les nerfs à vifs et on se prenait de fascination pour la figure diabolique du psychopathe prêt à tout et de la partition remarquée d’un acteur ou d’une actrice. Ces films sans prétentions laissèrent une trace durable dans notre esprit et notre imaginaire. Si la France a peu emprunté ce chemin, on se souvient tout de même de l’excellent Harry un ami qui vous veut du bien dans un style proche, ou Papillon noir sur TF1. L’intruse rejoint ce club fermé des projets sans prétention mais à la forte ambition.

Construits en « miroir », les 4 épisodes de la série fonctionnent par paires et donc par soirée. Dans les deux premiers épisodes, la plongée en quasi apnée dans le cauchemar progressif que Paula subit en huis clos (ou presque) confère un réel sentiment de malaise qui fait du bien (d’un point de vue de spectateur, c’est ce que l’on veut ressentir). La réalisation y est précise, soignée, ultra référencée comme pour mieux convoquer d’illustres modèles que Shirley Monsarrat ne trahit jamais. L’écriture y est fine et maîtrisée que le malaise soit progressif, pesant mais sans jamais qu’une limite ne soit franchie « trop tôt ». Car à la différence d’un film où tout est maîtrisé en 90 minutes, la progression de l’intrigue doit être ici davantage maitrisée car elle fonctionne par palier et on ne peut pas, dans ce type d’histoires, redescendre d’une marche. A la réalisation et l’écriture, il convient d’ajouter le travail sur la lumière et le son tous deux parfaitement soignés donnant à la série son atmosphère si singulière. Quant à la musique signée Owlle, elle se révèle un vibrant hommage aux ambiances hitchcockiennes que l’on apprécie tant.
La seconde soirée est dans un registre différent. Bien que notre préférence se porte davantage sur les deux premiers épisodes, les deux derniers ont également leur moment de grande réussite, en ce qu’ils parviennent à aborder la seconde partie de l’histoire de manière intelligente et intéressante. Ces épisodes sont ceux de la quête de la vérité, savoir pourquoi Tess agit ainsi et pur cette famille. Une vraie gageure pour L’intruse car souvent, dans les histoires du même type, les motivations sont assez basiques, touchant souvent à la vengeance ou la folie pure. Ici, l’écriture parvient à littéralement retourner le public (qui pouvait ne voir en Tess qu’un personnage néfaste) pour qu’il conserve un intérêt massif pour « la méchante ». Si cette dernière part littéralement en vrille et dévoile un aspect encore plus sombre, toute la partie sur les raisons qui l’animent sont elles parfaitement senties. Mieux, elles sont pensées d’une manière humaine et terriblement intelligente. Si la fin semble « un peu expédiée », le voyage qui nous y amène est absolument saisissant. Largement aidée pour ça par la performance de Lucie Fagedet.

L’intruse : une performance d’actrice
Soit ça passe soit ça casse. Jouer un ou une psychopathe, c’est un numéro d’équilibriste dans un film ou une série. Si on en fait trop, on est dans une outrance caricaturale et dans le cas contraire, on ne perçoit pas le danger vécu par les personnages. En revanche, quand la prestation est réussie, c’est un pas de géant franchi par son interprète. A l’image de Glenn Close, incroyable dans Liaison Fatale. Dans L’intruse, Lucie Fagedet délivre une véritable performance. Elle se montre inquiétante quand il le faut, sans jamais basculer dans du « grand guignol » qui ternirait son jeu, en faisant tout passer par son regard d’une intensité folle (à l’image de ce moment de bascule face à son petit ami dans l’épisode 4). Mais elle est aussi capable de nous bouleverser (et donc de retourner le public) avec des scènes ultra-maîtrisées comme celle en début d’épisode 4 (avec une personne qui compte beaucoup pour elle).
Dès ce moment, grâce à son jeu véritablement intelligent, le public ne voit plus la psychopathe mais une personne brisée. Et même si elle commet des actes qui demeurent terrifiants, le bascule est là et l’émotion perdure. Ce type de performance demande en temps normal un vrai bagage à une comédienne, une solide expérience. On ne peut qu’être bluffé par le talent déployé par Lucie Fagedet. Dans certains sports, on dit que pour « bien renvoyer la balle », il faut en face quelqu’un qui délivre de beaux mouvements.
L’intruse marque ainsi le retour en force sur France 2 de Mélanie Doutey qui a toujours ce parfait sens de l’émotion juste qui nous frappe depuis qu’on l’a découverte dans Clara Sheller (il y a tout juste 20 ans). Ce type de rôles plongeant davantage dans une noirceur lui convient aussi très bien sa générosité font pour beaucoup dans la capacité de sa partenaire de délivrer un jeu si remarquable. Un duel de personnages qui devient un duel d’actrices pour le bonheur des spectateurs.