Pendant quelques heures, la capitale est devenue une zone de non-droit. Après la magnifique victoire de l’Équipe de France (4-2) face à la Croatie lors de la finale de la Coupe du Monde, les supporters se sont déchaînés, faisant de la ville un réel champ de bataille.
Il faut le vivre pour le croire. Rarement Paris avait connu un tel déchaînement. Dix secondes à peine après le dernier coup de sifflet, les Bleus crient victoire, et les supporters soulèvent la capitale. En quelques minutes, le Grand Boulevard est inondé. Ils sortent des bars par dizaines de milliers, pour faire naître une révolution, à la gloire de l’Équipe de France.
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Une marée humaine en direction des Champs-Elysées. Cette foule immense, au pas lent mais déterminé, prend la direction de l’Arc de Triomphe. Sur le chemin, aucun policier n’ose intervenir, alors que nombreux se font caillasser par des jets de bouteilles en verre. Les premiers fumigènes sont allumés. Une couleur rougeâtre domine les airs, mélangée à l’odeur de poudre des bombes artisanales.
Tant d’explosions qui nous plongent dans un décor incroyable, digne d’un Printemps arabe. Le peuple français ne fait qu’un. Au lendemain de la Fête nationale du 14 juillet, le patriotisme est à son apogée. Les drapeaux tricolores voguent dans les airs, bercés par la douce mélodie de la Marseillaise. “Vive la France”, ressent-on fièrement, tous unis dans ce bref instant fédérateur.
Revoyez les buts de cette finale de Coupe du Monde
La folie gagne la jeunesse. Les bouteilles de bière sont jetés dans les airs, et explosent à quelques centimètres de nos têtes. Les acrobates prennent l’assaut des arrêts de bus, dont les toits commencent à fléchir. D’autres sautent sur les toits de voitures, roulant à toute allure, facilement repérées par les bruits de klaxons incessants. Torse nu, l’un d’entre eux s’accroche désespérément au pare-brise pour ne pas tomber.
Une jeune femme, dont la victoire des Bleus n’a pas dû être la priorité, se fait secouer sa Peugeot, les mains accrochées au volant, le regard apeuré. Certains lâchent prise pour grimper sur des toits de bus. Du haut du véhicule imposant, les premiers feux d’artifice sont projetés. A chaque détonation, la foule provoque une nouvelle huée.
La veille, les forces armées françaises défilaient sur les Champs. Aujourd’hui, c’est au tour du peuple. Tout Paris se retrouve Place de la Concorde, où le boucan des vuvuzelas se fait entendre. La marche continue, direction l’Arc de Triomphe. 2 km de cortège supplémentaire. Pour mieux voir, certains grimpent en haut des feux rouges, d’autres les détruisent, les arrachant du sol, avant de sauter dessus, les yeux remplis de folie.
Au loin, on remarque l’immense drapeau bleu blanc rouge qui pend sous l’Arc. Pour mieux le percevoir, des supporters gravissent les toits des magasins, des kiosques à journaux, ou des panneaux publicitaires tournants. Ces derniers se retrouvent à tourbillonner à une vitesse folle, poussés par les autres citoyens. Sur le toit de l’Arc de Triomphe, un inconnu lance un “claping”, imité par des milliers de personnes. Les applaudissements résonnent sur la plus belle avenue du monde.
Les CRS, bien casqués et bombes lacrymogènes en main, sont rués de baisers par les supportrices. Ici, selfies et câlins remplacent les traditionnels jetés de pierres. Aucune intervention. La police semble impuissante face aux centaines de milliers de personnes présentes ce soir-là.
Aux alentours de 22h, une trentaine de jeunes pillent le drugstore Publicis. Vols de bouteilles de vin et de champagne sont alors constatés par les forces de l’ordre, rapidement intervenues sur place. Au moins deux autres supérettes ont été dévalisées.
Dans les rues adjacentes, le Code de la route n’existe plus. A contresens, sans casque, et parfois à trois sur un même scooter, ils défilent en roue arrière. Les plus téméraires ont sorti les motos cross et les quads de leur cité pour faire régner la loi. Les camionnettes de gendarmerie passent devant sans rien dire, sirènes allumées, comme celles des nombreux camions de pompiers qui ont dû intervenir toute la nuit.
“C’était n’importe quoi hier soir, ils ont retourné tout le quartier.”
Au petit matin, en face du Fouquet’s, on retrouve ce kiosque, brûlé par les casseurs. Les journaux sont étalés par terre, tous carbonisés. Selon la préfecture, lors de cette soirée follement agitée, 102 personnes ont été interpellées, dont 90 placées en garde à vue.
Alors que l’on découvre au soleil levant les nombreuses vitres de magasins brisés, et les capots de voitures pliés, le ministre de l’Intérieur, Frédéric de Lanouvelle, annonce que 45 policiers et gendarmes ont été blessés.
“On dirait qu’il y a eu la guerre ici, commente un Francilien, c’était n’importe quoi hier soir, ils ont retourné tout le quartier.” Par terre, dans les rues de Paris, une quantité astronomique de canettes de bières, de verres cassés et autres déchets de lendemain de fête. “Je n’ai jamais vu Paris aussi dégueulasse. Bon courage à la mairie et à tous les éboueurs” soutient une autre passante, avant de se rendre au travail. Signe d’une fin de week-end frénétique.