Auteur d’une prestation jugée insuffisante contre la Bulgarie puis buteur quelques jours plus tard contre les Pays-Bas, Paul Pogba a encore une fois été le centre de toutes les attentions. Un air de déjà vu… Car depuis ses premières capes en bleus les performances du neo-mancunien rythment régulièrement les débats d’après match, faisant alterner les vagues d’éloges passionnées aux réserves des plus septiques. Est-il à la hauteur ? Peut-il faire gagner la France ? Est-ce un génie ? Les interrogations ont naturellement pris une nouvelle ampleur depuis son transfert en Angleterre pour 120 millions d’euros.
Mais si son statut de « joueur le plus cher de l’histoire », avec tout le story-telling marketing qui l’accompagne, peuvent expliquer l’enthousiasme des uns et les crispations des autres, la situation de Pogba revêt, en France, une tout autre importance. Bien au-delà de la vente de maillots ou de la mode virale du « dab » c’est un autre titre qui se joue pour le joueur de 23 ans : celui de « leader technique de l’équipe de France. », et par la même occasion celui de guide sacré du jeu français.
Le sauveur, héritage de la France qui gagne
12 juillet 1998, et un, et deux et trois zéro… La France est championne du monde ! Un titre qui aura si longtemps échappé aux bleus. Si cette victoire a une date, et un adversaire, elle a surtout un visage, ancré dans nos mémoires. Auteur d’un doublé, Zinedine Zidane symbolise le génie technique, d’une équipe d’abord solide défensivement et dont la disposition permettait alors au virtuose de faire pleinement état de son art. Cette formule gagnante de l’école Aimé Jacquet nous permettra d’atteindre, 8 ans plus tard, une nouvelle finale de coupe du monde. Sans chef d’orchestre, la France ne pouvait triompher.
Depuis l’ère Zidane, ce trône est donc laissé vacant, et l’inconscient collectif s’est laissé convaincre, de la nécessité d’un visage à poser sur le jeu de l’Equipe de France. Inutile d’énumérer la liste des innombrables « nouveaux Zidane » qui échouèrent à assurer la succession du mythe. Si les nouvelles tendances du football moderne et la disparition du poste de « numéro 10 à l’ancienne », qu’occupait Zidane, semblaient avoir freiné le fantasme du meneur/sauveur, la personnification du jeu français autour d’un homme clé, perdure, avec son lot de répercussions négatives sur les premiers concernés.
Toutes les attentes se sont d’abord portées sur Benzema avant que ses difficultés à briller en bleu et ses ennuis judiciaires ne viennent le déchoir. Antoine Griezmann, meilleur buteur de l’euro 2016, a quant à lui vu son profil de jeu évoluer, et porte bien plus la responsabilité du buteur plutôt que celle du « créateur ». Son nom est désormais associé à celui de Gameiro, son compère d’attaque. Reste Paul Pogba. Star précoce, facile techniquement et dont le style atypique ne laisse pas le public indifférent. Il serait donc, de fait, le nouveau visage des bleus. Celui qui allait perpétuer la tradition. Un héritage qui relève plutôt de la malédiction.
Paul Pogba, un joueur de transition
Que faut-il donc attendre de Paul Pogba ? Sa réussite à la Juve nous donne un indice. Déchargé du poids de la création par Andréa Pirlo, suppléé par Vidal à la récupération c’est dans ces conditions de jeu qu’il s’est le mieux exprimé.
Apprécier le jeu de Pogba, c’est admettre de ne pas lui faire porter le poids de l’animation, tout en se refusant de le cantonner à des tâches purement défensives. Le Français se distingue alors par la qualité de ses dribbles et de ses passes souvent délicieuses. C’est aussi l’envisager, non pas comme un héros salvateur mais plutôt comme un joueur de grande qualité, certes, mais dépendant de ses coéquipiers et créateurs de liens.
En France, l’attention s’est souvent portée sur la relation Griezmann-Pogba, comme une manière de reconstruire cette tradition du meneur de jeu qui sert l’attaquant. Même Mourinho, son coach en club, s’est d’abord laissé tenté à confier un rôle de meneur à Pogba, au service de Zlatan. Sans succès… En réalité, l’équipe de France dépend autant de Pogba, qu’elle dépend de Griezmann, de Gameiro, ou même de Koscielny. C’est avant tout par l’ensemble des connexions, l’alchimie des qualités que les titres se remportent. Parle-t-on de « l’Allemagne de Toni Kroos », ou de « l’Espagne de Busquets ? » Pourquoi devrait-on parler de la France de Pogba ?
La logique de groupe, prônée par tous, devrait nous défaire de ce mythe du sauveur, générateur de fantasmes et de frustrations. Abandonnons cette épée d’Escalibur, plantée dans la roche d’un héritage national trop lourd à porter. Pour que les pieds de Pogba, et non le bras, nous honorent.