La « pigeon-phobie » ne cesse de prendre de l’ampleur dans la société française. Le phénomène atteint même un niveau inquiétant. Pour preuve, selon un récent sondage, 79% des Français déclarent avoir peur des pigeons. Retour sur ce fléau.
Des faits divers qui inquiètent
Autrefois discrets et civilisés, les pigeons manifestent aujourd’hui leur présence dans l’espace public de manière ostentatoire. Le constat est d’autant plus saisissant dans les parcs et les jardins. Se déplaçant souvent en petit groupe, ils n’hésitent plus à harceler les promeneurs. Sans doute dans l’espoir de récupérer quelques miettes d’un sandwich ou d’un gâteau. Patrick, 51 ans, est cadre dans une grande entreprise de prêt-à-porter. Ayant pour habitude de prendre sa pause « casse-croûte » au jardin du Luxembourg, en plein Paris, il témoigne : « Il y a quelques années, je pouvais manger mon sandwich en paix. Mais maintenant c’est plus difficile. Les pigeons me regardent avec insistance et me suivent. La semaine dernière, je me suis senti menacé… » [Il s’interrompt, visiblement très choqué] « … je suis tombé sur une bande de 8 et j’ai dû changer plusieurs fois de banc. Pour finir, sans doute par vengeance, ils m’ont chié dessus du haut d’un arbre ! ». Le cas de Patrick n’est malheureusement pas isolé et les agressions se multiplient. Lundi 27 octobre, Hubert, 15 ans, décide de faire une halte afin de se restaurer. Il déguste tranquillement son cheeseburger sur la terrasse du McDonald de Châtelet-les-Halles. Soudain, deux pigeons surgissent du ciel pour tenter de lui dérober son sandwich. Hubert hurle et se débat tout en se cramponnant à son burger. Dans la confusion, ses agresseurs prendront finalement la fuite. S’en tirant avec un coup de bec au niveau du thorax, l’adolescent confiera aux enquêteurs : « J’ai entendu un bruissement d’ailes juste avant de perdre connaissance ». Ces témoignages mettent en lumière un phénomène majeur qui parcourt l’opinion publique française. Le sentiment d’insécurité à l’égard des pigeons, perçu comme agressifs, est ressenti par un nombre croissant de compatriotes. L’idée selon laquelle le pigeon du XXIème siècle serait devenu sans gêne et décomplexé fait son chemin. Qu’en disent les spécialistes ?
Les comportements des pigeons évoluent
Robert Lafarge, professeur à Sciences Po Paris et ethnologue, estime que les évènements de mai 68 marquent un réel tournant. « Pour le pigeon, en tant qu’être social doué d’une conscience et d’une raison, cette période est une formidable opportunité de s’affirmer. Leur visibilité dans l’espace public, avec certes des déviances, ne sont que la concrétisation d’un processus d’émancipation impulsé il y a plus de 30 ans. Si le pigeon des années 50 était discret, le pigeon des années 2000 est bien plus véhément ». Pour Jean-Edouard de Rochefort, économiste et auteur de « Pigeons, briser l’omerta », le son de cloche est radicalement différent. Il estime en effet que le comportement des pigeons a basculé à la fin des années 90 avec la persistance de la crise économique. « Incontestablement, le pigeon est frappé de plein fouet par la précarité. Son comportement, parfois violent, n’est que le symptôme d’un mal-être directement lié à ses conditions matérielles de subsistance » décrypte-t-il. Toutefois, le spécialiste admet des disparités d’ordre géographique : « Evidemment, le pigeon de Neuilly-sur-Seine, bien nourri et dodu, n’est pas le pigeon de Gare du Nord ou de Barbès, souvent chétif et agressif. Il ne faut pas stigmatiser certains pigeons, mais des différences incontestables existent. Si certains pigeons tombent dans la délinquance, c’est avant tout lié à des causes économiques et sociales ». Plus précisément, les chiffres officiels montrent une explosion inquiétante de la délinquance des pigeons entre 2007 et 2014. Alors que les vols de nourriture progressaient de 20%, les attaques aériennes à base d’excréments augmentaient elles de plus de 32%. Ces chiffres sont toutefois à nuancer. En effet, de nombreuses victimes ne portent pas plainte, souvent par peur de se ridiculiser auprès des services de police. D’autre part, les regards de travers et les tentatives d’intimidation des volatiles ne sont pas pris en compte dans les statistiques officielles.
Que faire face à la « pigeon-phobie » ?
Le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur. La « pigeon-phobie » serait même aujourd’hui devenue la seconde préoccupation des Français derrière la lutte contre le chômage. Pour la classe politique, ce thème est aussi une opportunité de gagner de nouveaux électeurs. Géraldine Le Maine, présidente du Rassemblement Bleu Turquoise, propose des mesures drastiques : « Chaque année, il entre sur le territoire national, entre 600 000 et 700 000 pigeons. Nos concitoyens ne supportent plus leurs yeux globuleux. Je propose une fermeture des frontières aériennes ». Le collectif « Stop à la pigeon-phobie » s’en insurge. Son représentant Edouard Merle tempête : « Comme à son habitude, Madame Le Maine joue sur les peurs de nos compatriotes ! Les pigeons sont une chance pour la France ! Il faut arrêter de les stigmatiser en permanence même si certains se comportent mal ». De nombreuses actions ont par ailleurs récemment vu le jour pour promouvoir l’amitié entre les êtres humains et les pigeons. L’opération « 24 heures dans une volière », installée sur le parvis de l’Hôtel de Ville, propose notamment aux Parisiens qui le souhaitent de passer une journée entière avec des pigeons dans une volière. Pour le moment, force est de reconnaître que le succès est plus que mitigé. Pour Gildas, porte-parole des pigeons d’Île-de-France, la situation est problématique : « La défiance règne entre la communauté des pigeons et les Français. Il y a de nombreux préjugés à notre égard : notre saleté, notre propension à voler, notre plumage sombre et austère…. Nous manquons d’un porte-parole comme peuvent l’avoir les piverts avec Woody-Woodpecker ». En rejetant les pigeons ainsi, les Français font toutefois preuve d’une mémoire sélective. Oubliant que des pigeons voyageurs avaient été utilisés par l’armée française durant la Première guerre mondiale pour communiquer sur le front. Dur dur d’être un pigeon.