Michel Bouquet est mort ce mercredi 13 avril à l’âge de 96 ans. C’est un grand comédien qui s’en va, laissant derrière lui planches et plateaux sur lesquels il a longtemps brillé.
Monstre du théâtre et du cinéma français, Michel Bouquet a passé 75 ans de sa vie à jouer. Une carrière qui lui a valu deux Césars et deux Molières. Mais surtout l’admiration du monde du septième art, symbolisé par une remise du Molière d’honneur en 2014 ou encore par la Légion d’honneur qu’il avait reçue en 2018.
L’enfance : ses années sombres
Né le 6 novembre 1925, cadet d’une famille de 4 fils, son enfance n’est pas des plus gaies. Son père, poilu rongé par l’expérience des tranchées ne parlait pas. Il avait confié à l‘antenne de Charles Berling en 2001 : « Mon père était usé par la guerre de 14-18. Il ne parlait pour ainsi dire jamais. Il commençait à devenir merveilleux à partir du moment où il retrouvait un vieux copain de régiment, où ils se mettaient à évoquer cette « foutue guerre de 14 » avec, tout à coup, des anecdotes curieuses, des franches rigolades, et ils se mettaient à boire un coup tous ensemble. Là, il devenait vivant. Mais tout de suite, en revenant à la vie normale, il redevenait ce mur impénétrable. (…) Il en avait tellement vu de toutes les couleurs qu’il n’en était même plus vivant. » Son père repart pour la guerre de 1939-1945 et est fait prisonnier. Il en revient plus absent encore.
De ses 7 à 14 ans, Michel Bouquet est envoyé en pension au Nord de Paris. La vie là-bas est « très dure ». Perpétuellement perdu dans un autre monde, il est mauvais élève et est souvent puni. Il en sort en 1939, et la guerre est déclarée. Il suit l’exode avec sa mère et ses frères, mais ils reviennent dans la capitale quelques semaines plus tard.
Rencontre avec le destin
Sa mère, modiste, est passionnée de théâtre et l’emmène dans les grandes salles parisiennes. Michel Bouquet commençait un boulot de pâtissier, lorsqu’il voit en 1942 Maurice Escande à la Comédie Française. Quelques mois plus tard, alors que sa mère le croit à la messe, le jeune homme frappe à la porte de l’acteur et lui déclame « La nuit de décembre » de Musset. C’est ainsi que tout commence. Escande lui ouvre et l’invite à suivre ses cours. Dans le théâtre, Bouquet trouve un refuge, il vit.
« Je ne me trouve pas intéressant. Mais terne, banal, plat. Ce sont les rôles qui me donnent de l’épaisseur »
Michel Bouquet
Tout s’enchaîne alors. Il entre au conservatoire, joue son premier rôle en 1944… Il fait des rencontres marquantes : celles de Camus et Anouilh qui vont profondément changer sa vie et le monde du théâtre. Camus ne voit personne d’autre pour Calligula, une pièce qu’il n’a même pas encore écrite quand il la propose à Bouquet : « Je sortais de l’Odéon, et sur le parvis du théâtre, Camus était là. Il a dit : « Écoutez, si vous êtes libre, on va créer « Caligula » ; jouez donc cette pièce ! » . Il joue aussi dans Les Justes en 1949, et Les Possédés, en 1959. Pour Anouilh, il joue dans Roméo et Jeannette (1946), L’Invitation au château (1947) et Pauvre Bitos ou le Dîner de têtes, oans lequel son rôle (un personnage se livrant à de sinistres épurations au nom de la Résistance) fait scandale. Parmi les 80 pièces qu’il a interprété dans sa carrière : Le Neveu de Rameau de Diderot, L’Avare de Molière ou encore Le roi se meurt d’Eugène Ionesco.
Il fait aussi la connaissance Jean Villars, qui le conquit par sa vision du théâtre. Il collabore donc avec son Théâtre Nationale et Populaire (TNP) qui a pour but de rendre le théâtre accessible à toutes les franges de la société. Cela correspond avec ses idées « d’anarchiste doux », comme il se décrit lui-même. Il claque toutefois la porte du TNP suite à un désaccord avec le metteur en scène sur le personnage d’Hamlet. « Pour moi, un comédien n’est intéressant que s’il défend sa propre conception du personnage ». Il refuse plusieurs fois d’entrer à la Comédie-Française. Un grand acteur, avec un gros caractère donc, ce qui lui a permis d’aller aussi loin.
Des planches au plateau… aux planches
Il a toujours dit préférer le théâtre au cinéma, mais il commence à jouer sous les caméras dans les années 1970. C’est un succès. Il fait la réplique aux plus grands : Belmondo, Jeanne Moreau, Alain Delon… Il tourne 60 films au total. Deux Césars du meilleur acteurs et deux Molières du meilleur comédien en poche, il quitte peu à peu le cinéma. Il reçoit le Molière d’honneur en 2014 pour l’ensemble de sa carrière et le Globe de cristal du meilleur comédien en 2018 pour Tartuffe.
Michel Bouquet avait annoncé en 2019, à 93 ans qu’il prenait sa retraite. Après 75 ans de carrière, sa dernière représentation est un hommage à Jean de la Fontaine. En 2020, il monte toutefois la pièce Je ne suis pas Michel Bouquet, dans laquelle Maxime d’Aboville joue le jeune Michel. Il s’éteint deux ans plus tard dans un hôpital parisien.