Le premier film réalisé par Emmanuel Courcol, Cessez-le feu sort le 19 avril. Céline Sallette et le réalisateur nous parlent de ce film puissant. Rencontre.
Dans un grand hôtel parisien, journée presse pour la sortie de Cessez-le-feu, le premier long métrage réalisé par Emmanuel Courcol (scénariste entre autres de Welcome et Toutes nos envies de Philippe Lioret) qui réunit une magnifique distribution : Romain Duris, Céline Sallette, Grégory Gadebois, Julie-Marie Parmentier. Rencontre avec une Céline Sallette radieuse et avec un Emmanuel Courcol que l’on sent totalement habité par son sujet.
Mais c’est quoi déjà… Cessez-le-feu ? 1923. Georges, héros de 14 fuyant son passé, mène depuis quatre ans une vie nomade et aventureuse en Afrique lorsqu’il décide de rentrer en France. Il y retrouve sa mère et son frère Marcel, invalide de guerre muré dans le silence. Peinant à retrouver une place dans cet Après-guerre où la vie a continué sans lui, il fait la rencontre d’Hélène, professeure de langue des signes avec qui il noue une relation tourmentée…
Céline Sallette : « Ma partition c’est plutôt une partition de lumière… »
Comment définiriez-vous votre personnage dans Cessez-le-feu et qu’est-ce qui vous a fait dire oui à ce projet ?
D’abord le projet est très beau. Il a une envergure épique et romanesque qui est très rare à lire aujourd’hui. Évidemment le personnage d‘Hélène qui pour moi incarne l’émancipation, c’est à dire une femme qui bien sûr est dans le soin, est dans la réparation mais est d’abord dans le souci de la réparation d’elle même par l’attention qu’elle porte aux autres et qui à un moment ne transigera pas avec le besoin qu’elle a d’être en paix. C’est une femme autonome et c’est un très beau portrait de femme.
Vous vous êtes documenté sur la période à laquelle se déroule le film ou vous vous êtes laissé portée par le scénario?
Je me suis un peu documenté mais pas tant que ça. Ma partition c’est plutôt une partition de lumière. En revanche j’ai beaucoup travaillé sur la langue des signes, cette façon d’appréhender poétiquement par le corps la période. C’est un film sur comment sortir de l’emmurement, de la prison. On peut lire autant de livres qu’on veut sur la guerre, on ne l’aura jamais vécue et ce n’est pas en lisant 30 livres sur la guerre que je vais l’appréhender de façon plus puissante. En revanche, l’expérience que j’avais dans le rapport au travail avec Grégory Gadebois par exemple qui ne parlait pas, qui était fermé et moi je devais à ma façon essayer de l’intéresser à la vie ou à sortir de cette bulle par cette langue que j’avais apprise pour le film et par notre mode de communication, ça ça m’a passionné.
Est-ce que vous avez pris part au choix des costumes de votre personnage? Comme dans tout film qui se passe dans un contexte historique il doit y avoir un grand plaisir à se « déguiser » pour une comédienne?
C’est vrai, je ne pourrais pas parler de déguisement mais il y a un plaisir de l’époque clairement. Il y a un plaisir du chapeau, du cheveu et en même temps c’est quelque chose qui est lourd pour un cinéaste et aussi pour les acteurs, il y a un décor, il y a une époque et il faut qu’elle soit dans un film et il faut qu’elle reste invisible. Souvent les décors sont des pièges pour les cinéastes, c’est le grand danger de l’époque c’est qu’elle peut couper la vie. On peut faire attention à un mèche de cheveux ou à une coiffure plus qu’au sens d’une situation et ça c’est le danger.
Emmanuel Courcol dit justement que tout ce qui fait référence à l’époque est dans le cadre mais que ce n’est jamais surligné. Vous avez ressenti ça vous aussi?
Oui bien sûr. Il faut que tout soit là de façon parfaite mais que ce soit très léger. Le problème c’est que ça demande beaucoup de moyens en terme d’investissement et de travail mais c’est impossible de faire un plan comme pour dire « Regardez tout le temps qu’on a mis pour faire cette belle décoration ». Si il y a ce plan là dans le film, ça tue le film.
Quel genre de réalisateur est Emmanuel Courcol ?
Il est assez étonnant. C’est un jeune et pas si jeune réalisateur, alors oui c’est son premier film mais il a écrit tellement de scénarios, il a été un peu acteur, il connait très bien les acteurs. C’était très agréable de tourner avec lui, ce n’est pas quelqu’un qui a peur des acteurs, il est en lien direct avec son histoire, avec ce qu’il a envie de raconter. C’est quelqu’un d’assez simple dans sa façon d’appréhender le travail, il n’y a pas de problèmes pour rien. Donc en général c’était plutôt très harmonieux et assez joyeux d’être sur le tournage.
Est-ce que selon vous Cessez-le-feu est un film sur les multiples traumatismes que la guerre peut occasionner mais pas que la guerre?
Oui bien sûr. Nous par exemple je ne sais pas si on peut dire que nous sommes en guerre. Je pense que certaines des personnes qui étaient à Paris aux endroits des attentats peuvent dire « oui nous sommes en guerre » parce qu’il y a cette fracture entre ces parisiens-là et nous qui n’avons pas vécus les attentats, cette fracture qui existe, il y a ceux qui y étaient et ceux qui n’y étaient pas. On n’a pas vécu la même chose et on n’a pas le même chemin à faire pour en sortir. C’est un film qui parle vraiment de ça.
Est-ce que vous diriez qu’Hélène permet à Georges de surmonter son traumatisme de la guerre?
Non mais je dirais qu’Hélène lui ouvre une voie c’est à dire que ce qui est beau dans le personnage d’Hélène c’est qu’il n’y a pas d’acharnement même à cette histoire d’amour ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas lieu. C’est un personnage qui a confiance dans le temps et dans le travail que peut faire le temps. Moi je pense que la décision du personnage d’Hélène apporte à Georges mais parce que lui il veut bien le comprendre.
Le hasard du calendrier fait que vous avez deux films qui sortent sur les écrans à quinze jours d’intervalle (Corporate en salles depuis le 05 avril) . Est-ce que pour vous en tant que comédienne c »est bien parce que ça met en valeur votre travail dans des rôles diamétralement opposés ou au contraire vous avez peur que ça brouille les cartes vis-à-vis du public?
Ça m’est un peu égal, je n’ai aucune prise là-dessus. J’ai fait ces films assez loin l’un de l’autre, il n’y a pas de prouesse, ce n’est pas comme si j’étais passée d’un rôle à l’autre à la vitesse de l’éclair (Rires) Ce sont des rôles que j’ai joué à des périodes de ma vie assez différentes d’ailleurs, il n’y a pas de prouesse à faire ça puis ça, c’est vraiment le hasard du calendrier. Je ne sais pas si ça sert les films ou si ça les dessert, mais en tout cas la seule chose qui m’importe c’est que ça puisse servir aux films.
Comment s’est passé votre travail avec Romain Duris?
Hyper bien ! Romain c’est un acteur tellement généreux, tellement léger c’est très très très jubilatoire de travailler avec lui. C’est quelqu’un qui libère beaucoup d’énergie et c’est très important. J’étais tellement heureuse de le rencontrer, c’est un mec génial, je l’adore.
Quelles sont les comédiennes qui vous ont donné envie de faire ce métier?
Il n’y a aucune comédienne qui m’a vraiment donné envie de faire ce métier en revanche il y a des comédiennes que j’adore aujourd’hui, que j’aime passionnément comme Tilda Swinton, je suis aussi vraiment très admirative du travail de Marion Cotillard et sinon j’adore des actrices comme Bette Davis ou Barbara Stanwyck.
A ce stade de votre carrière quelles sont vos envies en tant qu’actrice et y’a t-il des réalisateurs avec qui vous rêveriez de retravailler?
J’aimerais déjà retravailler avec tous les metteurs en scène avec qui j’ai déjà travaillé et ça fait déjà un beau paquet (Rires) Sinon c’est toujours un peu bizarre de faire sa liste au Père Noël, c’est toujours un peu intimidant de citer des réalisateurs comme ça.
Est-ce que vous aimeriez faire de la comédie et surtout est-ce qu’on vous en propose?
Il y a Laurence Ferreira Barbosa qui m’a proposé une comédie qui n’est pas encore datée avec Catherine Deneuve normalement et j’espère que ça se fera. Mais oui j’adorerais faire de la comédie et je sais que ça viendra.
Quels sont vos projets? Vous êtes vraiment sur une grosse année là?
Et pourtant je pense que c’est l’année où je vais le moins travailler (Rires). Il y a trois films qui sortent, je vais travailler avec Pierre Schoeller cet été sur la Révolution, je mijote des trucs au théâtre, j’adorerais reprendre Molly Bloom par exemple, je mijote une comédie musicale qui va s’appeler Disco Texas avec un de mes potes qui est un projet un peu fou, atypique et je vais travailler avec Simon Stone un metteur en scène de 32 ans absolument génial qui a fait déjà à Vienne une adaptation des Trois sœurs de Tchekhov dans une mise en scène démente qu’on va reprendre avec une traduction française évidemment à l’Odéon à l’automne avec Valeria Bruni-Tedeschi et Eric Caravaca.
Qu’est-ce que vous pouvez nous dire du film d’André Téchiné?
André je t’ame (Rires) André est un génie. Pierre Deladonchamps va être extraordinaire dans le film. C’est un film cubiste et baroque et je pense que franchement… j’aime tout mais j’ai peur de gâcher en en disant trop (Rires)
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Comment vous est venu l’idée du film?
C’est l’histoire familiale parce que j’ai un grand-père qui a fait cette guerre et que je n’ai pas connu mais voilà ça fait partie de mon histoire. Il parlait peu de sa guerre mais ça a été transmis par ma grand-mère et par mon père et sa présence était un truc familier à mon enfance dans la maison de ma grand-mère. Finalement c’est un personnage de mon enfance et plus tard je me suis intéressé à cette période, au fond c’était savoir d’où je venais, comment cet homme avait pu surmonter ça. Et quand j’ai lu des romans sur cette guerre, des témoignages et c’est tellement hallucinant ce qu’on lit qu’on se demande comment ils s’en sont sortis vivants et comment ils ont pu se reconstruire ce qu’a fait cet homme-là mais je savais qu’il était resté très très marqué par ça. C’est ça l’origine de mon intérêt.
L’envie de passer derrière la caméra pour un long métrage c’est quelque chose qui vous titillait depuis longtemps?
Ça a commencé à me titiller sur le tard mais je me souviens avoir eu il y a une quinzaine d’années un projet à l’époque où j’étais scénariste de Philippe (Lioret) et j’étais allé voir le producteur Christophe Rossignon et je lui avais parlé de ce projet de comédie. Il m’avait demandé qui je voyais le réaliser et devant mon incapacité à lui donner un nom, il m’a dit qu’il préférait que je lui dise que ce serait moi. Il m’a dit qu’avec mon bagage comme acteur et scénariste en m’entourant avec les bons techniciens, je pouvais très bien le faire. Ca a été le premier élément déclencheur mais bon ça a pris du temps mais ça s’est vraiment concrétisé il y a quatre, cinq ans avec la rencontre avec mon producteur Christophe Mazodier. J’ai fait un court-métrage (Géraldine je t’aime NDLR) avec Grégory Gadebois et Julie-Marie Parmentier et je me suis aperçu que j’étais très à l’aise, que je me sentais bien sur un plateau et j’ai retrouvé ces sensations-là avec plus d’ampleur sur Cessez-le-feu. Mais c’est drôle d’avoir le sentiment de trouver sa place et la forme d’insatisfaction que je pouvais parfois ressentir comme acteur ou comme scénariste, je ne le ressens plus du tout comme réalisateur. Je ressens comme une sorte de plénitude et il y a tellement de choses à faire que je n’ai pas le temps d’être insatisfait (Rires)
Pour un premier film c’est un film très ambitieux. Vous n’avez pas hésité une seconde avant de vous lancer dans ce film-là pour votre premier film?
Je ne sais pas pourquoi mais non, je pense que c’est quelque chose qui était assez profond en moi et d’assez personnel. Et j’avais déjà écrit une pièce sur ce sujet qui n’a jamais été jouée mais qui m’a servi de base pour le scénario. Je n’ai pas eu peur, je me suis retrouvé dans le Sahel pour le premier jour de tournage avec Tom Stern (directeur de la photographie NDLR) et Romain Duris. J’avais l’impression de vivre un rêve. Je me voyais faire mais je n’avais pas peur.
Le film traite plutôt de l’après-guerre que de la guerre en elle-même. Quel travail a été fait sur les décors, les costumes et la reconstitution historique en elle-même?
Ça a été un gros travail de recherche à travers les archives, les documents. Évidemment ça a été un travail partagé avec le chef déco, la costumière Edith Vesperini et ils avaient ce sens-là de chercher la vérité mais jamais le tape à l’œil. L’idée de faire un film d’époque m’emmerdait, j’ai filmé dans l’époque mais je n’ai pas filmé l’époque. J’ai filmé ça comme je filmerais un film contemporain. C’est dans le cadre mais c’est derrière. Il y a un travail de reconstitution très précis, très léché mais ce n’est jamais appuyé. Ce n’est que de l’arrière plan. Quand on ne montre pas les choses ça parait évident.
C’est un film qui est plutôt sombre mais avec de nombreuses respirations et il y a surtout une photo qui est très lumineuse. Est-ce que c’était pour jouer des contrastes et quelles étaient vos intentions formelles?
C’est un film avec une certaine lenteur dans lequel il faut rentrer, se lâcher et dans l’image j’ai cherché une grande variété chromatique déjà par les décors. J’avais du coup envie que ce soit un film assez chatoyant, vivant. Il y a pas mal d’ellipses, un peu cut. C’est un faux classicisme. Je crois que ça me ressemble. C’est à la fois classique et moderne dans la narration, dans la façon d’avancer dans l’histoire. Je fais vraiment confiance au spectateur.
Effectivement il y a des coupes parfois abruptes qui laissent penser qu’il y aurait une version longue…
J’avais la matière pour faire un film de trois heures c’est sûr, mais il y avait trop. C’est déjà un film dans lequel il y a beaucoup de choses et je ne pouvais pas m’étaler encore plus et comme en plus je ne néglige pas les personnages autour parce que je n’ai pas envie qu’il y ait d’utilités dedans, c’est un peu foisonnant. Pour moi un petit rôle c’est le personnage principal d’un autre film.
Mais du coup il existe un director’s cut?
J’ai coupé tout ce qui n’était pas utile mais je n’ai rien coupé qui n’était pas bien. Je faisais même un petit rôle dedans mais ça ralentissait le récit comme d’autres petites séquences. On a envie parfois que ça avance donc on coupe et c’est mieux. Je préfère que de temps en temps on me dise « des fois c’est un peu raide » et bien tant pis (Rires)
Pour la séquence d’ouverture, en restant circonscrite à la tranchée elle parvient à être quand même très spectaculaire et très intense. Ça a été compliqué à tourner?
Ça a été techniquement assez compliqué. Il y a eu un gros travail de déco évidemment. Je voulais une tranchée qui ressemble à ça comme je les imaginais en lisant les romans plutôt que comme celles que j’avais vues au cinéma. Je voulais qu’on reste dans la tranchée avec une image très fluide, sans caméra à l’épaule, qui nous mette en position de spectateur. Tout a été fait à la grue. On a répété et après on a tourné ça en deux jours.
Comment s’est passé le travail avec vos acteurs?
J’ai eu des supers acteurs même si ça je le savais déjà avant de les choisir. Des acteurs très agréables dans le travail, très bosseurs, qui refont, qui ne se vexent pas, qui sont vraiment très à l’écoute. Romain me disait « quand tu vois que je fais du Duris surtout dis le moi ». Quand on est avec des acteurs comme ça, qui n’ont pas de caprices de stars c’est vraiment agréable.
Quels sont vos projets et est-ce que vous souhaitez poursuivre dans la réalisation?
Oui oui, je suis en train de finir mon scénario suivant. C’est avec une autre prod, un projet totalement différent, actuel qui se passe en partie en prison. Ce sera plus dans l’esprit d’une comédie à l’anglaise.
Propos recueillis par Fred Teper
Un immense merci à Marie Queysanne et Charly Destombes.