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La SNCM, le naufrage d’une compagnie

La SNCM, en souffrance depuis une vingtaine d’années, si ce n’est plus, est sur le point de voir le bout de sa longue agonie.

La SNCM, une compagnie maritime connue de tous pour ses trajets à destination de la Sardaigne, la Tunisie, l’Algérie et surtout de l’Ile de beauté, est proche de la fermeture alors qu’elle sentait venir un dépôt de bilan depuis plusieurs années déjà. Retour sur les dessous d’une affaire polémique, mal comprise des Français comme les revendications des marins marseillais que beaucoup critiquent, rejettent, leur attirant l’inimitié de toute une part de la population française, parmi lesquels les Corses qui voient leur économie menacée et le début de dures pénuries.

Retour sur la descente aux enfers d’une entreprise pleine d’espoirs

L'emmergence de la Corsica Ferries a été synonyme de la fin du monopole méditerranéen que détenait la SNCM

L’emmergence de la Corsica Ferries a été synonyme de la fin du monopole méditerranéen que détenait la SNCM

La SNCM voie le jour en 1969 sous le nom de CGTM (Compagnie Générale TransMéditerranéenne) pour rassembler sous une seule enseigne l’ensemble des lignes méditerranéennes du pays. C’est en 1976, qu’elle prend le nom de SNCM (Société Nationale Maritime de Corse) et voit une partie importante de son capital passer sous le contrôle de l’Etat. En 1986, dans une volonté de décentralisation, c’est désormais l’Assemblée de Corse qui gère les subventions à attribuer à la compagnie. Mais dès le début des années 2000, la SNCM voit se dresser au dessus d’elle une épée de Damoclès, avec notamment la monté fulgurante de sa concurrente directe : la Corsica Ferries, qui en 2002 devient leader sur le marché. C’est cette nouvelle situation concurrentielle qui pousse l’Etat français, en novembre 2003, à procéder à une augmentation de capital pour sauver l’entreprise en déficit. En 2010, la SNCM n’a déjà plus que 27% des parts de marché alors que la compagnie à la tête de maure en possède 63%. En effet, cette dernière séduit de nombreux touristes potentiels qui ne pouvaient pas payer un voyage en Corse auparavant, en fonctionnant sur le modèle d’une société low cost : des tarifs bas permis par des prestations inférieures, une gestion standardisée avec des impératifs de temps et un personnel étranger qui coûte moins cher. Bien que les salaires soient proches, si ce n’est égaux à ce de la SNCM, comme l’affirme Pierre Mattei, directeur générale de la Corsica Ferries : « tous sont soumis aux mêmes règles sociales que les marins français pour un salaire minimum de 2.500€ ». Cependant, comme la compagnie a aussi un siège social en Italie, elle profite d’un statut qui offre l’exonération totale des charges sociales de l’employeur et des salariés. Reste que la SNCM, qui emploie exclusivement des Français, souffre autant des grèves à répétition, que d’une flotte peu adaptée aux besoins d’aujourd’hui.

Des grèves répétées qui minent l’entreprise

Alors que la Corsica Ferries prône un fonctionnement ultralibéral, la SNCM a connu depuis le début des années 2000, des grèves à répétition de la part de ses employés, menaçant sa productivité, pourtant déjà mauvaise. Et si les grèves se succèdent depuis les débuts de la Société Nationale Maritime de Corse, la première d’entre elles à marquer les esprits fut bien différente de celles qui ont suivi. Cette foi-ci le Syndicats des Travailleurs Corses (STC) lance un mouvement de grève sur deux semaines en 2004, pour une « corsisation » des emplois. En effet, seuls 800 employés sur 2.400 étaient des insulaires. Mais cette grève reste circonscrite à la compagnie, avec qui le Syndicat trouve rapidement un accord. Le second tournant a lieu en septembre 2005 quand la CGT, qui trouve écho d’avantage auprès des marins marseillais, lance un mouvement de grève de grande ampleur pour empêcher la privatisation totale de la SNCM, bientôt rejoint par le STC. Cette grève est la première du genre, puisque elle s’accompagne de plusieurs occupations et de détournements de navires. La grève prend fin non sur un accord, mais sur la menace de la compagnie de déposer le bilan. En revanche, le plan de reprise a tout de même couté aux contribuables, 113 millions d’euros et 7 millions pour la recapitalisation. En octobre de la même année, c’est Le Parisien qui choisissait de dévoiler les malversations à l’origine desquelles se trouvaient des marins qui, selon le journal, se partageaient les bénéfices des boissons. L’attention du journaliste à l’origine de l’article a été attirée sur le fait que la SNCM ne faisait presque pas de bénéfices sur les boissons contrairement à la Corsica Ferries, pour qui les bénéfices des boissons correspondaient à un tiers des recettes. Les syndicats ont démenti ces accusations avec véhémences et aucune suite n’a été donnée à l’affaire. Néanmoins, cet article annonce la couleur pour les années à venir : une hostilité des médias envers les grévistes de la SNCM. Après cette date de 2005, les grèves se multiplient et se radicalisent jusqu’à aujourd’hui : plus d’une semaine de grève en 2008 pour 33 traversées supprimées, deux semaines en 2009 et 2010, un record en 2011 avec 47 jours de grève et près de 250 traversées supprimées, 11 jours en 2012, seulement 4 en 2013 mais sans compter le blocage d’un navire une vingtaine de jours. L’épisode de grève de 2014 n’est peut-être que l’épilogue de la série.

La productivité catastrophique de la SNCM

Si les grèves constituent un facteur non négligeable, de la déchéance de l’ancien magnat des transports méditerranéens, il ne faut pas s’arrêter à cette analyse superficielle. Le  malaise en réalité, est bien plus profond. La SNCM souffre de problèmes structurels qui ont longtemps été ignorés. Depuis l’entrée dans le XXIe siècle, la compagnie n’a pas fait de bénéfices, si ce n’est en 2008. Les pertes cumulées s’élèves depuis 2001, à 190 M€ selon les chiffres officiels. En 2004, la SNCM connait une baisse sans précédent de son activité sur plusieurs lignes : -11% pour les lignes de Tunisie et -14% pour les lignes de Corse, ces dernières constituent 61% du chiffre d’affaire de la compagnie. Cette baisse brutale du chiffre d’affaire est liée à l’émergence de sa concurrente au pavillon jaune, qui a entrainé une baisse de la productivité. En effet, comme le pointait du doigt Pierre Mattei la même année, la SNCM à transporté 642 passagers par employé, contre 2000 pour la Corsica Ferries, alors même que le coût du travail est supérieur. Quelles sont

Devant le plan de départ proposé par l'ex dirigeant général de la SNCM, des marines demandent sa démission

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alors les raisons pour lesquelles la chute a continué ? Selon Le Parisien, « les recettes ne paient même plus le fioul du bateau. », affirmation qui n’a pas été démentie par les actionnaires. Cela est dû à une baisse presque constante sur une période de vingt ans, alors qu’aujourd’hui la Corsica Ferries transporte en moyenne 2,5 millions de passagers, la SNCM n’en transporte qu’un million. Le problème se trouve donc dans les recettes, puisqu’elles ne suffisent plus à amortir les dépenses. Pour une productivité individuelle mince, la masse salariale est élevée. Les salaires mensuels semblent importants par rapport aux qualifications requises : de 2.288 € pour un serveur à 3.700 € pour un assistant mécanicien. Enfin, en temps de travail cumulé, ses employés ne travailleraient que cinq mois dans l’année sur douze. En raison de ces conditions favorables, le plan de départs proposé par l’ancien président, Marc Dufour, s’est avéré être un échec, sur les 160 départs espérés, seul 90 se sont avérés. Du fait des raisons sus-cités, même les années où la compagnie a connu une certaine amélioration en termes de productivité, comme en 2011, où le nombre de passagers à progressé, les comptes pour l’exercice de l’année ne montrent pas de répercussions sensibles sur les résultats de l’entreprise. Un signe que les problèmes sont d’avantages structurels que dynamiques, et pourraient certainement être imputé à des subventions trop importantes. Celles-ci n’auraient pas incité les différents dirigeants à revoir les choses en profondeurs.

Les démêlés judiciaires entre les deux concurrents

Après que la Corsica Ferries ait porté plainte contre la compagnie, au début de l’année, la Commission européenne a récemment condamné la compagnie à 440 M€ d’amende pour « aides publiques injustifiées, car de nature à fausser la concurrence ou ne visant qu’à soutenir artificiellement une entreprise inefficace, ce qu’un investisseur avisé n’aurait pas fait ». En réponse, la SNCM a porté plainte pour « concurrence déloyale ». Selon le conseiller de la compagnie, Me Sébastien Mabile : « Corsica Ferries, en dévoyant le système  de l’aide sociale aux passagers, a touché illégalement 180 M€ d’aides depuis 2002 ». L’aide visée relève du cadre de la continuité territoriale pour que les Corses qui souhaitent rejoindre la France continentale, mais aussi pour que les familles, les handicapés, etc, puissent bénéficier d’un coût moindre que les autres passagers. Me Mabile demande que la Corsica Ferries prouve que ces aides ont bien été destinées aux personnes relevant de ces catégories, sinon cela serait synonyme d’aides d’Etat, et condamnable par les institutions européennes. La SNCM souhaite donc faire tomber son principal concurrent, pour les mêmes raisons qui ont précipité sa propre chute. Cependant, les montants dont on parle ne sont pas comparables.

Un redressement judiciaire pour la SNCM ?

Cela faisait deux semaines que les marins étaient en grèves. C’est la première fois qu’une grève en saison estivale prend une telle ampleur, alors même que le STC y est opposé.Hier, après 14 jours de grève, les syndicats de la SNCM ne voulaient pas changer de position. La CGT exigeait que l’hypothèse d’un redressement judiciaire soit écartée pour pouvoir commencer les négociations. Aujourd’hui, devant la proposition de l’Etat de mettre en place un moratoire, quatre mois sans qu’un redressement judiciaire soit possible, la coalition syndicale a accepté de commencer les négociations avec un médiateur nommé par le Secrétaire d’Etat aux Transports, Frédéric Cuvillier. Si des syndicats comme la CFTC sembles satisfaits par la tournure que prennent les négociations, Yann Pantel, de la CGT-Marin à affirmé que tout espoir de reprise est inenvisageable « tant qu’il n’y aura pas la garantie qu’il n’y aura pas tribunal de commerce. […] On ne va pas faire la saison tranquillement pour se faire manger à la rentrée. »

Une situation non-consensuelle

Après l'évacuation musclée qu'ont mené les forces de police, des personnes présentes à la manifestation porte plainte

Après l’évacuation musclée qu’ont mené les forces de police, des personnes présentes à la manifestation porte plainte

L’ampleur de la grève entraine un début d’asphyxie de la Corse. Car, l’île, qui vit en grande parti du tourisme, voit sont activité ralentie par les problèmes de liaisons. D’autre part, elle est due aux nombreuses pénuries qui sont de plus en plus ressenties par la population locale, puisque si les marins de la SNCM sont en grève, ils bloquent aussi le Kallisté, seul navire de la Méridionale pouvant assurer la relève. Et c’est cette deuxième raison qui est la plus inquiétante. Si les compagnies concurrentes peuvent, en partie assumer la totalité des flux de passager vers la Corse, elles ne peuvent prendre en charge le fret. Les Corses sont d’ailleurs en grande majorité contre cette grève, que même le STC ne soutient pas. Ces animosités ont conduit à des épisodes d’affrontement contre les marins grévistes, comme à Porto-Vecchio le 3 juillet, où les habitants ont forcé le navire Jean Nicoli, qui blocait le port depuis une semaine, à partir, brulant ainsi les amarres arrières. Il y a eu aussi une manifestation contre la grève à la préfecture de Bastia, menée par des représentants d’organisations professionnelles, menacés au niveau économique, qui a tourné à l’affrontement avec les forces de l’ordre.

La mairie de Marseille accuse l’Etat

Roland Blum, adjoint au maire UMP, délégué aux Finances Budget et Port

Roland Blum, adjoint au maire UMP, délégué aux Finances Budget et Port

Roland Blum, l’adjoint au maire UMP, délégué aux Finances Budget et Port, a accusé l’Etat de faire échouer volontairement les négociations avec la SNCM, alors que celui-ci en est actionnaire à 25%. Selon l’élu, frédéric Cuvillier a tord de ne pas admettre que ce dossier pourrait être réglé avec un repreneur. Il lui reproche aussi, son refus que l’Etat « accorde une garantie de passif correspondant à la condamnation de Bruxelles sur les aides à restructurations (220 M€, ndlr) » ce qui, il l’affirme, coûterait moins cher que le licenciement de 2.500 employés. Cependant, il ne tient pas compte du fait qu’il sera difficile de trouver un successeur à Transdev, actionnaire majoritaire de la compagnie, qui détient 66% du capital, et qui a annoncé son désir de vendre ses parts.

La question d’une refonte durable de la compagnie, ou de tout autre plan de sauvetage, ne semble pas être une option. Si le destin de la SNCM semble avoir déjà été plus où moins décidé par les circonstances, il reste encore à parler de celui des 2.500 employés qui est loin d’être assuré pour l’instant.

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