Signant le retour du hérisson au bercail de la Sonic Team, Sonic Forces devait remettre la série sur les bons rails. Quitte à se blesser au front ?
Ces dernières années n’auront pas été tendres avec la mascotte de SEGA. Après des opus Wii dispensables, un épisode Unleashed perfectible et le début d’un regain sur Colors et Generations, Sonic avait cru bon de jouer la carte du reboot avec Sonic Boom, dont on retiendra deux accidents industriels et un dessin animé qui a très vite tourné à l’auto-parodie. Pour couronner le tout Sonic Mania, projet nostalgique confié au grand enfant Christian Whitehead, a ressuscité la ferveur du temps jadis où la Dreamcast n’avait pas encore manqué son rendez-vous avec les joueurs. C’en était trop : la Sonic Team devait rectifier le tir avec un projet ambitieux, à même de relancer la saga pour son quart de siècle.
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« La Résistance Lives On »
C’est la guerre ! Grâce au pouvoir du Rubis Fantôme, l’effroyable Dr. Eggman a pris la tête d’une coalition surprise rassemblant Zavok, Chaos, Metal Sonic, Shadow et un nouveau méchant masqué répondant au nom d’Infinite… Mis en déroute, le hérisson est fait prisonnier dans l’espace à bord du terrible Death Egg et la clique de méchants ne tarde pas à asseoir son joug sur la planète entière. C’était sans compter sur une poignée d’irréductibles bestiaux menés par le commandant Knuckles, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur. Fini de jouer : le sort de la Terre va dépendre de vous.
En effet, Sonic Forces vous permet de créer votre propre avatar animalier. Chaque espèce donne accès à un bonus spécifique : le loup attire les anneaux, le hérisson a plus de temps pour les ramasser après s’être fait toucher, l’oiseau dispose d’un double saut… Couleur des yeux, de la fourrure (ou du plumage), de la peau… Une fois votre personnage défini, vous pourrez le modifier à votre guise tout au long de l’aventure grâce aux vêtements et armements distribués à chaque fin de niveau.
L’avatar suit des stages hybrides entre course, plate-forme et beat-them-up, sans pour autant renouveler les codes bien établis de la série. Tout au plus avons-nous l’expérience à laquelle Sonic nous a habitué mais plus lente, ponctuée par un grappin à visée automatique et des phases de saut assez imprécises. Certains combats en arène mobiliseront l’arme personnalisable que l’avatar porte à son poignet. Son utilisation dépendra des Wisps, petits aliens donnant des pouvoirs temporaires en fonction de l’arme équipée. Si vous avez par exemple choisi le lance-flammes, un Wisp rouge vous conférera des sauts explosifs donnant l’accès à des anneaux rouges. Votre serviteur vous recommandera néanmoins le fouet électrique : son attaque circulaire, très utile, est doublée d’un pouvoir permettant de couper à travers les niveaux en suivant des trainées d’anneaux.
Les furries rôdent
Outre ce nouveau personnage, le jeu vous placera dans la peau non pas d’un, mais de deux hérissons. En effet, outre le Sonic moderne kidnappé et très vite évadé, le Sonic rétro (déjà aperçu dans Generations) reprend du service. En tout, le jeu proposera donc trois types de stages. Le Sonic moderne trace sa route dans des phases de course en 3D ou 2,5D bien connues, tandis que le Sonic rétro conserve son gameplay d’antan. À noter que l’on pourra incarner Shadow dans un DLC payant intitulé « Épisode Shadow », ce qui a le mérite de rassurer sur la capacité de Square Enix à inspirer les grandes évolutions de son industrie.
Certains niveaux permettent enfin d’incarner Sonic et l’avatar en duo, à la manière d’un Sonic Heroes. Le switch entre les personnages sera néanmoins automatique selon la situation : tandis que Sonic court, les phases nécessitant les Wisp seront entre les mains de l’avatar. Ces niveaux sont généralement ponctués d’un « Double Boost », ruée géante et destructrice enclenchée par une pression frénétique sur le bouton Carré.
Atmosphère guerrière oblige, le choix du niveau se fait sur une carte du monde qui reprend ses couleurs au fil de la progression. Si l’on active les fonctionnalités en ligne, il sera possible de remplir des missions annexes aux côtés des avatars d’autres joueurs. La profusion des défis contre la montre ne nous prend pas en traître : avec ses niveaux très courts et ses nombreux raccourcis, Sonic Forces est tout entier adressé à la communauté des speedrunners.
Cette rotation tout au long du jeu témoigne d’une envie de variété, mais ce qui n’est pas vu et revu est implémenté de manière bien trop maladroite pour convaincre. Si le premier combat contre Infinite fait un usage astucieux des illusions et du corps du serpent géant sur lequel se déroule le duel, les autres boss recyclent des schémas trop bien connus. Le jeu est d’une facilité déconcertante : même en mode difficile, ne comptez que quatre petites heures ! Comble du comble, le principal challenge ne tient finalement qu’aux imprécisions d’un gameplay que la Sonic Team ne semble pas avoir cherché à corriger. À ce titre, la gestion des sauts accuse un retour en arrière flagrant, compte tenu d’une inertie aléatoire selon que la vitesse résulte d’un dash, d’un booster ou d’un pouvoir spécial.
Puisqu’il faut bien aborder la technique, Sonic Forces jouit d’une fluidité sans failles au prix de textures parfois grossières plus ou moins habilement masquées par le défilement très rapide de l’action. Si les versions PS4 et Xbox One tournent à 60 images par seconde sans problèmes, la version Switch devra se contenter d’un plafonnement à 30 images par seconde et d’un aliasing hélas très prononcé.
La combine à nanars
Après avoir été loup-garou, pirate et chevalier, Sonic fait de la résistance. Portées par les voix des adaptations animées depuis les années Fox Kids, les conversations au talkie-walkie accusent hélas un sérieux problème de ton : entendre Amy demander des renforts dans l’escalier B tandis que Vector le crocodile sécurise les réfugiés a quelque chose de réjouissant, mais ce parti-pris post-apocalyptique se prend bien trop au sérieux pour que ce choix d’écriture fonctionne.
Arrivé à ce stade, il convient de se demander de quoi Sonic Forces est le nom. Le hérisson bleu est-il condamné à ce cycle interminable fait de promesses de rédemption et d’espoirs déçus ? La question mérite d’être posée tant l’image sur laquelle s’achève ce titre est, malgré elle, symptomatique d’un personnage en déshérence. Seul personnage muet dans une clique très bavarde, le Sonic classique est finalement présenté comme le sauveur de son alter-ego moderne. En filigrane et bien malgré lui, Sonic Forces dresse le portrait d’une saga condamnée à trouver son salut dans les faits d’arme d’un héros du passé. Un constat d’autant plus amer que cet opus devait imposer la patte d’une toute nouvelle équipe de développeurs.
Il devait être un renouveau, Sonic Forces a tout d’une rechute. Challenge presque absent, level design recyclé, caméra et sauts d’un autre âge, écriture croquignolesque… En dépit de quelques notes d’intention, ce nouvel épisode saura malgré tout parler aux amoureux de ce lâcher-prise assez grisant dont les jeux Sonic ont su conserver la magie. Point de salut pour les autres : quatre années de développement n’ayant visiblement pas suffi à remettre à plat les conventions de la franchise, le chemin du hérisson sur le terrain de la 3D semble condamné à répéter les mêmes erreurs. La suite ? L’avenir est un long passé.