A l’occasion du premier grand meeting d’Emmanuel Macron au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, nous avons rencontré Arnaud Mercier, professeur à l’Université Panthéon Assas, spécialiste en communication politique et chercheur associé au Laboratoire Communication et Politique du CNRS. Il est également l’auteur de : Médias et opinion publique (CNRS éditions, mars 2012) et La communication politique (CNRS éditions, septembre 2008).
Pourquoi Emmanuel Macron fascine-t-il les médias ?
Il incarne une figure de renouveau dont les médias sont toujours très friands. Comme il n’est pas un politicien professionnel et qu’il prétend incarner une nouveauté de par son âge, il y a une sorte de tropisme des médias vers ce qui parait étrange et différent. Puis, il y a un phénomène d’opinion et d’intérêt autour d’Emmanuel Macron. Il a une certaine popularité, ce qui ne veut pas dire qu’il est jugé présidentiable et crédible pour tout le monde, mais les médias vont servir à leur public potentiel des sujets sur celui qu’ils ont visiblement envie d’entendre parler. C’est très basique comme démarche.
Justement ne pensez-vous pas que les médias le rendent populaire ?
Bien sûr il y a toujours une forme d’interaction, le fait que les médias traitent un sujet peut créer ou renforcer un phénomène d’opinion. Ceci étant, pour ma part, je ne crois pas à l’idée que les médias créent ex-nihilo un phénomène. Emmanuel Macron possède déjà en lui-même, par ses gestes, par ce qu’il incarne, un certain nombre de caractéristiques qui sont jugés comme étant des qualités aux yeux de l’opinion, et ce indépendamment de la surmédiatisation des médias. Mais à partir du moment où il va véritablement rentrer dans la campagne électorale, une partie des acteurs politiques vont commencer à l’attaquer, des histoires vont sortir et des campagnes politiques susciteront l’intérêt des médias qui ne seront pas en sa faveur. Emmanuel Macron a une position très compliqué. Il n’a pas de parti politique, il s’est donc auto-désigné comme un ennemi pour tout le monde, la campagne va être très dure pour lui.
Comment qualifierez-vous la stratégie médiatique d’Emmanuel Macron ?
Il a un sens du spectacle qui est personnel ou qui est le fruit de ses professionnels de la communication. Il sait très bien instrumentaliser les médias dans des mises en scène qui sont un peu en rupture et qui vont produire des belles images. Je pense notamment à Orléans avec le défilé en hommage à Jeanne d’Arc, au Puy du Fou, dans sa déclaration de candidature, et bien sûr dans sa vie personnelle avec Paris Match. Après avoir complétement préservé son intimité, ils [E.Macron et ses conseillers en communication] ont décidé de faire de ce couple atypique une espèce de success story. A mon avis, Emmanuel Macron va continuer dans ce sens parce qu’il sait très bien qu’il a besoin d’une exposition médiatique pour entretenir sa notoriété.
Emmanuel Macron incarne un homme nouveau, qualifierez-vous sa stratégie de novatrice ?
Je pense qu’en termes de communication il n’est pas novateur. Par exemple, sa déclaration de candidature est de mon point de vue ratée. Il est sur une estrade sur fond bleu et on ne voit pas les jeunes apprentis de banlieues. Le décor a été fait de telle manière que s’il était dans les salons de Matignon nous aurions eu le même effet. Par opposition, la déclaration de Manuel Valls est très étudiée, on remarque bien qu’il était à Evry avec une espèce de panel de la France multiculturelle et intergénérationnelle derrière lui qui marque son immersion parmi le peuple.
En revanche la grande force d’Emmanuel Macron est sa trajectoire politique singulière. Une des critiques très forte d’une partie des français est la professionnalisation excessive du personnel politique avec cette idée de non renouvellement, c’est un atout pour lui. Emmanuel Macron incarne le renouveau, mais pour l’instant il n’incarne rien concrètement au niveau de son programme. Il va falloir transformer cette idée en termes concrets sinon sa popularité risque de s’effondrer, comme Bruno Le Maire qui n’incarnait rien d’autre que l’idée qu’il fallait changer d’homme.
Plus largement, est-ce que les sondages sur la présidentielle ont encore un sens aujourd’hui ?
Les sondages ne sont qu’une photographie à un instant T, ce qui compte le plus c’est de regarder les tendances. Par exemple, je trouve que faire le procès des sondages sur François Fillon me parait une posture un peu excessive parce que personne n’avait vu la profondeur du mouvement de soutien, même pas François Fillon. Dans l’ultime sondage du vendredi publié dans Le Monde, François Fillon était à 30 %, Juppé et Sarkozy 29 %. Les sondages avaient capté la dynamique. Pour les Etats-Unis, il faut prendre avec beaucoup de précaution le mode de scrutin. Au niveau national, les sondages ne se sont pas trompés, Hillary Clinton est bel et bien en tête.
En revanche, oui bien sûr il y a un problème avec les sondages. On s’aperçoit qu’un certain nombre d’électeurs n’osent pas avouer leurs positions sur des sujets controversés à enjeux moraux comme Trump, Le Pen, la position sur le Brexit, ou encore le référendum contre les minarets en Suisse. Il y a également un vrai travail de réflexion à mener sur l’échantillonnage des instituts de sondage. Aujourd’hui, il y a une recomposition des catégories sociales, il faut ainsi réfléchir à comment être mieux représentatif à l’intérieur d’une même catégorie. Les différentes façons de vivre les statuts d’ouvriers, employés etc. peuvent parfaitement justifier des votes différents.
Que pensez-vous de l’influence des médias sur la participation des citoyens ?
« On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ». Si les gens s’en désintéressent, ils s’en désintéresseront. Nous avons plusieurs exemples d’élections, comme le Brexit et les Etats-Unis, dans lesquelles le matraquage n’a pas produit le résultat escompté. Chez certains la forte mobilisation des médias peut produire l’effet inverse. Certaines populations ont l’impression d’être contre « le système », une sorte de classe « politico médiatique » dans laquelle les médias seraient un des éléments du système de domination qu’ils subissent. Il y a donc un vote de revanche sociale et de rejet massif du système.