« Quand on a la foi, on peut se passer de vérité » (Nietzche). La série The OA diffusée sur Netflix est un vrai objet sériel sur lequel on revient aujourd’hui.
The OA, une série mystique qui flirte avec la mort et l’abolition de toute dimension spatio-temporelle. Diffusée dès le 16 décembre 2016 sur Netflix, elle ne s’est pas embarrassée d’annonce ou de promotion quel qu’elle soit. Les 8 épisodes de la saison 1 sont réalisés par Batmanglij et Marling qui interprète le rôle principal, Prairie, baptisée aussi The OA ou encore Nina. Lors de l’épisode 1, Prairie s’introduit plutôt cavalièrement en sautant d’un pont. On apprend que l’évanescente jeune fille était aveugle et a été retenue captive pendant 7 ans. Désormais elle peut voir. Peu à peu elle se réhabitue à une existence ordinaire. La réminiscence hachée de son passé nous donne au fur et à mesure les pièces d’un puzzle complexe.
Attention SPOILERS !!!!
On plonge avec délice dans un univers protéiforme, imprimé de surnaturel. Le thème principal est celui de la mort imminente, l’univers onirique du show se déploie doucement autour.
The OA semble s’inscrire dans la lignée de Stranger Things ou de Sense8, présentant un univers fantastique émancipé de tout loup-garou, zombis et autres dadas habituels.
Que signifie The OA ? Là encore le mystère plane. Peut-être est-ce l’homonymie de « away », ou finalement les lettres de the Original Angel ou peut être juste la traduction du bruit produit par un de ses 5 mouvements fantasmagoriques.
Certes l’intrigue met du temps à se mettre en place. On navigue en aveugle, à l’aune de Prairie, entre les pistes et indices que nous prodigue au compte-goutte la série et son brillant scénario, perdus entre présent et flashbacks.
The OA joue sur tous les fronts, se révèle au fur et à mesure, dévoilant au moyen de petites éclaircies l’histoire abracadabrante de Prairie. Incapable à classer dans ce qu’elle regroupe divers genre télévisuel, The OA cabote sur de multiples problématiques, consacrant ces nouveaux genres de show promettant un rêve d’unité, une communion identitaire tranchant nette avec notre dystopie moderne. L’enjeux est de trouver cette insaisissable identité à travers des rituels salvateurs et originaux.
Prairie, alias The OA, s’entoure de 5 disciples « souple » afin de l’aider à exécuter 5 mouvements destinés à ouvrir un portail spatio-temporelle, draguant de multiple dimension, se dédouanant alors de la réalité. Entre mort et vie, la frontière s’efface progressivement. Ces fameux mouvements, une sorte de danse, permettent de ressusciter les morts, de guérir et d’ouvrir cette obscure autre dimension. Ils sont présentés comme la clef de la série. Un peu ridicule peut-être à première vue, la performance que nous livre les acteurs est bouleversante. Pas d’effet spéciaux, juste l’effort des corps à l’unisson, mécanique inlassable. Sur leurs traits rien n’a plus d’importance, plus de pudeur ou de retenu, c’est leur entière personne qu’ils offrent à Prairie. The OA propose une nouvelle communion asexuée rompant avec Sense8. Prairie est prude, frustrée, misanthrope, farouche. Ce n’est pas le désir, le contact fusionnel qui unit. On n’arrive pas à saisir son intimité ainsi tout vecteur de ce genre serait vidé de sa substance.
Dans leur lycée, les amis/ disciples de The OA arrêtent un adolescent-tueur, offrant une imitation endiablée de ses 5 mouvements. Quelques élèves rient sur le coup, rien de plus naturel. C’est le rire stupide, compulsif. C’est aussi la démarcation entre le eux et le nous. Ces personnages ont chacun une histoire difficile, un fardeau trop lourd à porter, écrasés par leur existence médiocre ; ils veulent croire. Situation familiale houleuses, deuil, problèmes identitaire…ce sont les laissés pour compte, des fantômes trop influençables dans leur reddition au sens de l’existence.
Qui est Prairie ? Osons-nous la croire lorsqu’elle-même semble en douter ? Cette beauté angélique prend tous les visages. Elle est un alien, une captive, un gourou, une mythomane compulsive, une simple adolescente déprimée, l’héritière d’un oligarque russe… elle est peut-être tout à la fois. On a juste envie de la croire, lui faire confiance dans son captivant rôle de messie, de découvrir nous aussi cette réalité sous-jacente, exploitée avec une originalité galvanisante. On fait preuve d’insubordination avec elle et ses apprentis. Mais le vénéneux fumet du mensonge nous rattrape, brisant le rêve.
Prairie perd la vue enfant lors d’un accident de voiture avec son père adoré. Leur voiture tombe du pont. Elle réalise sa première expérience de mort imminente. Elle en ressort aveugle. Sa cécité a une signification fondamentale. Elle ne peut plus voir le monde, ce monde honni qui lui a arraché son père. Elle ne pourra plus voir sa laideur, sa déchéance. Ses yeux se tournent alors vers l’intérieur, seule source de puissance, réceptacle de la juste richesse des corps. C’est de là que naît la puissance. La voilà donc en vierge salvatrice, sorte d’immaculée conception loin des brisures et des difformités latentes de l’humanité. Elle est impénétrable dans sa tour d’argent. Seulement c’est avant tout un ange torturé, tiraillé au sein même de sa conscience, draguant la mort et la vie. Le show s’intéresse à la frontière entre le plusieurs et l’unité. La véritable conscience est finalement celle du corps, qui doit se surpasser afin de s’élever. Les Original Angels sont là pour ouvrir cette voie. Le scientifique, Dr Hunter Hap (Jason Isaacs, Lucius Malfoy dans Harry Potter), désire pathologiquement capturer ce mouvement. Ce sixième mouvement finalement, celui qui naît de l’union des 5, là où réside l’unique magie. Il devient fou de sa maladive ambition de saisir la mort ou bien la vie, le fruit interdit.
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Prairie promet un ailleurs, un « away », en endroit alternatif dédouané de toute la crasse du monde. Le thème transversal de la mort imminente indique que ce n’est pas une fin mais un passage. Depuis toujours, cette expérience de l’homme à la mort suscite des foules de tourments, d’explication mystiques, de sectes toutes plus mortelles et extatiques les unes que les autres. C’est un jeu. The OA mêle habilement science, fantastique, violence. Ce trio gagnant est réaliste et poignant. On ne s’ennuie jamais, priant pour que nos conjectures se réalisent. Le show pose sa propre mythologie, invente complètement une séduisante mystique autour de la problématique nébuleuse de la mort. Finalement, Prairie ne construirait-elle pas une secte ? Elle alimente une rupture sociale, la domination d’un gourou, des rites propres, une adhésion, un dévouement, une foi sans condition…
Ici vaincre la mort ne signifie pas du tout devenir immortel. Le show rompt avec les schémas classiques. La puissance ne réside pas là, c’est une malédiction plus qu’un rêve. La fin nous confirme que ce fameux ailleurs n’existe pas, à travers la mort ou la vie, il n’y a pas d’échappatoire. De la même manière, les fameux anges originels – comme The OA aime bien les désigner – n’ont rien de biblique ni de traditionnel. Ils ne sont pas asexués, soumis à leurs passions, leurs démons, leurs passés… Ce n’est pas une réalité transcendante, non, ils ont été érigés en idole.
Ce n’est que la foi béate de ses disciples qui confère à la jeune fille ce statut de divinité déchue. En effet, la Prairie réelle et bien humaine est là avant tout parce qu’elle a besoin de ces-derniers pour retrouver Homère (Emory Cohen), son amour perdu. Son but est égoïste, ses disciples ses outils.
Ses 5 compagnons rassemblent tant bien que mal des preuves de son passé en Russie. Ils en ont besoin pour continuer le voyage qu’elle propose. Cette partie de sa vie est un vrai conte de fée, tranchant net avec l’atmosphère de la série. Finalement la beauté est à l’image de la vie, rance. Son petit conte de fée met en abyme la vacuité du présent. Prairie lutte pour donner du sens, entraînant ses compagnons, tout aussi avide de trouver une grandiose échappatoire à leur vie médiocre.
Enfin, le mythe éclate en morceaux – il n’aurait pu en être autrement. Dans le dernier épisode de la série, French découvre des livres chez Prairie. Ils lui ont servi à composer de toute pièce son histoire. C’était donc une fable, un inéluctable mensonge. Et elle, une imposture. On en reste atterré, refusant d’y croire mais, à l’instar de Nietzsche, dans le fond, peut-on considérer que cela change réellement quelque chose ?