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La Tour infernale : un monument du film catastrophe

Les années 1970 ont connu l’apogée d’un genre cinématographique qui pour avoir été populaire n’en fut pas moins discret : le film catastrophe. C’est en 1970 que la mode est lancée avec Airport de George Seaton. Viennent ensuite deux grands classiques du cinéma : L’Aventure du Poséidon (1972) de Ronald Neame, odyssée d’un paquebot retourné en pleine traversée par une lame de fond ; et surtout, La Tour infernale de John Guillermin, sorti en 1974.

Leur succès engendre la production d’une dizaine de films catastrophe sur la fin de la décennie, mais ils s’avèrent être des échecs et la lassitude du public annonce l’extinction d’un genre surexploité. Le film catastrophe ne retrouvera son éclat que dans les années 1990 grâce aux énormes progrès des effets spéciaux. Les incontournables de cette époque sont Independance Day (1996) de Roland Emmerich, Armageddon (1998) de Michael Bay et bien sûr Titanic (1997) de James Cameron qui se distingue par son association de drame historique, de romance et d’allure poétique. Revenons à présent sur l’un des plus grands succès du box-office américain, œuvre maîtresse du cinéma à grand spectacle : La Tour infernale (The Towering Inferno).

Douglas Roberts (Paul Newman) revient à San Francisco pour la soirée d’inauguration du plus grand gratte-ciel du monde – une tour gigantesque atteignant la hauteur irrationnelle de 550 m – qu’il a lui-même conçu et dont les travaux ont été supervisés par James Duncan (William Holden). Suite à un court-circuit provoqué par une installation défaillante, un incendie se déclare et se propage dans le reste du building alors que la fête bat son plein au 135e étage. Michael O’Hallorhan (Steve McQueen), capitaine des pompiers, et toute sa brigade, tentent de venir en aide aux invités piégés par les flammes.

La Tour infernale est considéré par de nombreux critiques comme le plus grand film catastrophe des années 1970 et peut-être comme l’un des meilleurs du genre. Il bénéficie d’un casting extraordinairement prestigieux, réunissant en tête d’affiche quatre grandes stars de l’époque, Steve McQueen, Paul Newman, William Holden et Faye Dunaway, soutenues par pas moins de douze vedettes dont Richard Chamberlain, Robert Wagner, Robert Vaughn et Susan Blakely. D’autre part, Fred Astaire et Jennifer Jones, deux stars de l’âge d’or d’Hollywood y font leur dernière apparition remarquée au cinéma. Réalisé avec un budget de plus de 14 millions de dollars, il fut à l’origine de l’association exceptionnelle de deux studios hollywoodiens majeurs – Warner Bros et Twientieth Century Fox –, une première dans l’histoire du 7e art, et rapporta 139 700 000 $ de recettes au box-office. Il fut également nominé pour huit Oscars dont celui de meilleur film, mais n’en remporta que trois : meilleure photographie, meilleur montage et meilleur chanson originale pour We May Never Love Like This Again, interprétée par Maureen McGovern.

Le film doit en grande partie son succès au réalisme des effets spéciaux, et bien qu’ils aient un peu vieillis pour un public de 2014, hormis quelques trucages flagrants, le film ne présente rien de visuellement choquant. Le suspense monte crescendo et tient le spectateur en haleine sur la totalité du film, qui a le mérite d’évoluer sans aucun temps mort. Pendant environ deux heures et demi, La Tour infernale n’a de cesse de nous en mettre plein la vue. La recette de ce long-métrage s’établit à partir d’ingrédients spectaculaires : charivari de flammes, crash d’hélicoptère, accident d’ascenseur causant la chute d’une pauvre femme… tout cela sans oublier les multiples explosions qui rythment l’histoire et une inondation salvatrice marquant dans un déluge de flots, l’extinction du terrible incendie. La simplicité du synopsis façonne une œuvre cohérente et accessible à tous. En résulte, une galerie de personnages plus ou moins stéréotypés, emblématiques de la vision manichéenne des gentils et des méchants. Ainsi nous avons le pompier au grand cœur, l’architecte culpabilisant, le constructeur désabusé, le vieil escroc sympathique, la garde d’enfant bienveillante, l’ingénieur malhonnête et les personnalités politiques douteuses. En outre, le film baigne dans un charme authentique, spécifique aux long-métrages de l’époque. La soirée d’inauguration est un condensé de classe et d’élégance ; on retiendra un passage attendrissant où Fred Astaire et Jennifer Jones, main dans la main, entament quelques pas de danse. Sans oublier la scène d’illumination de la tour, frissonnante et émouvante à souhait.

La Tour infernale traduit un malaise sociologique patent. Le scénario, basé sur les romans The Tower, de Richard Martin Stern et The Glass Inferno, de Thomas N. Scortia et Frank M. Robinson, dénonce clairement la démesure du progrès technique et du développement de l’architecture. Au cœur de cette épopée urbaine, résonneraient presque la métaphore biblique de la tour de Babel et le mythe grec d’Icare : « À trop vouloir toucher le soleil, on finit par se brûler les ailes. » L’architecte se retrouve confronté aux défaillances de son métier ; cet épisode navrant remet fatalement en cause ses compétences et le bien-fondé de sa vocation. Dans le feu de l’action de la catastrophe – c’est le cas de le dire – les personnages malhonnêtes se réveillent et se livrent à des actes immoraux et à des accès de violence ; telle la scène de panique où des convives se jettent une fragile nacelle de sauvetage et sont précipités dans le vide. Le personnage interprété par Richard Chamberlain incarne l’homme indigne par excellence. Tricheur, égoïste et déloyal, il utilise des matériaux au rabais et donc logiquement de moins bonne qualité pour faire des bénéfices et accélérer la construction du gratte-ciel. Sa culpabilité dans l’incendie est indéniable. Dans une telle situation, personne n’est à l’abri d’un accident ; le fatalisme est ainsi l’un des éléments fondateurs de La Tour infernale, comme l’illustre l’ultime tirade de Steve McQueen, qui conclue cette aventure sur une note moralisatrice mais incontestablement rationnelle :

« You know, we were lucky tonight. Body count’s less than 200. One of these days, they’ll kill 10,000 in one of those firetraps. And I’ll keep eating smoke and bringing out bodies until somebody asks us how to build them. »

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