Mykola Azarov, le premier ministre ukrainien, a présenté mardi sa démission et celle de son gouvernement. Dans la foulée, le Parlement a voté un assouplissement des lois contre les manifestants. Le début d’un nouveau tournant dans la crise qui secoue le pays ?
«Aujourd’hui, la chose la plus importante est de préserver l’unité et l’intégrité de l’Ukraine». C’est sur ces mots que le premier ministre ukrainien Mykola Azarov a quitté ses fonctions mardi. Sa démission a été acceptée par le président Viktor Ianoukovitch. Elle a été suivie par l’ouverture d’une session extraordinaire au Parlement, lors de laquelle a été votée l’abrogation des lois controversées du 16 janvier restreignant le droit à la manifestation. Celles-ci punissaient sévèrement toute forme de rassemblement, prévoyant jusqu’à cinq ans de prison ferme pour le blocage des bâtiments publics et des amendes ou une détention administrative pour les manifestants portant des masques ou des casques, comme c’est le cas de beaucoup de contestataires. Quelques heures plus tard, une loi d’amnistie des manifestants arrêtés ces dernières semaines a été votée.
Cette décision marque peut-être une étape importante dans l’évolution de la situation du pays, en proie à une grave crise politique depuis plus de deux mois et le refus de Viktor Ianoukovitch de signer un accord d’association avec l’Union Européenne. Un refus vécu par les opposants comme une volonté du pouvoir de se rapprocher de la Russie, qui lui proposait un prêt de 15 milliards de dollars et des baisses de tarifs sur le gaz.
Un régime qui tend vers la modération ?
Un tournant pourrait en effet avoir été franchi. D’abord parce que Mykola Azarov était un des tenants de la ligne dure du régime. Principale cibles des manifestants après le tabassage de l’un d’eux fin novembre, il avait qualifié ces derniers de « terroristes » commettant des «coups d’Etats». Son départ pourrait donc être le signe d’un assouplissement du régime. D’autant que quelques jours auparavant, Viktor Ianoukovitch avait tendu une main en proposant le poste de premier ministre au leader de l’opposition, Arseni Iatseniouk, qui a refusé.
Nombreuses réactions internationales
La démission de Mykola Azarov et la séance exceptionnelle au Parlement intervenaient aussi en même temps que le sommet UE-Russie, qui porte officiellement sur «l’intégration régionale», dont celle en Ukraine. Or, l’évolution de la situation à Kiev pourrait bien influer sur les discussions entre Bruxelles et Moscou. Mais de quelle manière ? Les relations russo-européennes sont très tendues, chacun accusant l’autre d’ingérence dans les affaires ukrainiennes. Il est probable que ce sommet soit un énième sommet inutile. D’ailleurs, sa durée a été réduite à moins de trois heures, contre un jour et demi les années précédentes. Le choix de son raccourcissement s’explique officiellement par la volonté de «clarifier» et «mettre à plat les relations». Résignation des dirigeants européens ou détermination de ces derniers à aller enfin «droit au but» ?
Car les puissances internationales peuvent peser sur les événements. Certaines l’ont d’ailleurs déjà fait : le Canada a interdit l’entrée sur son territoire aux dirigeants ukrainiens impliqués dans la répression des manifestants. Les Etats-Unis, eux, ont révoqué les visas de «plusieurs Ukrainiens, liés aux violences». Pas sûr que cal suffise à dissuader Kiev. Les réactions des dirigeants du monde entier ont en tout cas été nombreuses suite à la démission du gouvernement, et surtout à l’abrogation des lois anti-manifestants. Le vice-président américain Joe Biden a salué les «progrès» effectués en Ukraine ces dernières heures et a appelé Viktor Ianoukovitch en l’exhortant à œuvrer en faveur de l’unité du pays. Laurent Fabius réagi de la même manière face à l’abrogation de «lois qui restreignaient de façon inacceptable les libertés publiques», ajoutant que «cette décision positive, de même que l’annonce par le Premier ministre de sa démission, doivent rouvrir la voie du dialogue». Il a également appelé à «un règlement politique et pacifique » de la situation.
« Nous n’avons pas encore tout réglé. Il nous faut changer non seulement le gouvernement mais aussi les règles du jeu »
Reste surtout à savoir comment les manifestants accueilleront ce lâcher de lest. Si les discussions au Parlement et les mains tendues du régime à l’opposition peuvent en contenter certains, bon nombre d’entre eux jugent ces positions insuffisantes. Ils n’en démordent pas et veulent le départ du président Viktor Ianoukovitch et/ou l’organisation d’élections anticipées, ainsi que la reprise des discussions avec l’UE. D’autant que la mort de cinq manifestants la semaine dernière (dont quatre ont été tués par balles) a accentué la colère de la rue.
L’ex-boxeur Vitali Klitschko, une des figures de la contestation, a d’ailleurs caractérisé les dernières mesures du régime de «petit pas pour éviter une confrontation » mais a assuré que la lutte allait continuer. « Nous n’avons pas encore tout réglé. Il nous faut changer non seulement le gouvernement mais aussi les règles du jeu », a-t-il martelé.
Les activistes les plus radicaux l’affirment haut et fort : hors de question de céder. «Nos camarades continuent d’être enlevés et torturés (…). Quelle confiance peut-on avoir dans les manœuvres de Ianoukovitch ?!», a rapporté l’un d’entre eux dans les colonnes du Monde.
Alors, assiste-t-on à un tournant ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais c’est en tout cas une victoire importante pour les centaines de milliers de protestataires qui, depuis plus de deux mois, bravent le froid et la répression pour offrir un avenir meilleur à leur pays.