Certains le voient comme un danger mais il n’est toujours pas candidat. Eric Zemmour, ovni politique, s’immisce doucement mais sûrement dans la course à l’Élysée.
S’il est un candidat comme un autre sur le papier, Eric Zemmour n’en est en réalité pas un. Entre Emmanuel Macron, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, il fait office d’épouvantail dans le paysage des présidentiables. Un candidat non issu du « système », au sens où il a fait ses classes en dehors du milieu politique (milieux intellectuel et médiatique).
C’est son grand avantage, et il en joue car la défiance à l’encontre du système politique français est grandissante. En effet, aucun président n’a été réélu depuis 2002, François Hollande refusant même de candidater à sa propre succession. Quant aux autres élections, elles intéressent beaucoup moins les Français : les records d’abstention aux législatives, régionales et municipales ont été dernièrement battus, voire pulvérisés. Plus que cela, ce sont les rapports déliquescents d’énormément de Français avec leurs représentants qui sont symptomatiques de cette crise. On en a eu un aperçu durant ces dernières semaines, avec pour point d’orgue la gifle infligée au Président. Bref, on traverse une grande crise politique, et Zemmour n’en a que trop bien conscience.
Autre facteur tout aussi important : Eric Zemmour est un homme très médiatisé. Il bénéficie d’une tribune quotidienne dans « Face à l’Info » (CNEWS), émission qui bat des records d’audience depuis sa venue. Outre sa casquette de journaliste, Eric Zemmour est un écrivain très lu. Il est l’un des rares essayistes français à avoir dépassé les 500 000 ventes pour un livre, « Le suicide Français ». Il n’y a qu’un pas entre journalisme et politique : dès lors sa candidature devenue un secret de polichinelle, son éditeur Albin Michel s’en est séparé. Son hypermédiatisation pourrait se retourner aussi contre lui. « Il va vivre les huit mois les plus dures de sa vie », confie son entourage au Parisien, qui ne croit pas si bien dire. Outre ses déclarations polémiques (400 saisines du CSA contre son discours durant la convention de la droite en 2019), Eric Zemmour a déjà été condamné par la justice à plusieurs reprises : pour provocations à la discrimination raciale en 2011 et à la haine envers les musulmans en 2018 et 2020. Il est aussi traîné devant les tribunaux pour plusieurs accusations d’agression sexuelle. Ce fardeau va donc lui peser lourd ces prochains mois. Le contexte de sa candidature étant posé, il est maintenant judicieux de s’intéresser sa nature : pourquoi ? Et pour se placer où dans le spectre des présidentiables ?
Zemmour à la recherche de la droite anti-système
A quelques mois de l’échéance présidentielle, Eric Zemmour a conscience qu’il doit faire vite pour instiller le doute. Son plan est clair : s’immiscer entre la droite républicaine, qui le juge trop extrême, et l’extrême droite, qui le juge trop critique à son égard. S’il a participé à la convention de la droite en 2019, il est désormais un concurrent en vue de 2022. Marine Le Pen est jugée trop laxiste sur de nombreux sujets au goût de la droite républicaine… et du polémiste, qui sait où mettre les coups, l’accusant de s’être «recentrée» pour séduire plus d’électeurs. Même le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin y est allé de son commentaire lors d’un débat l’opposant à cette dernière : « vous êtes trop molle », « Madame Le Pen ne nomme pas l’ennemi », « vous êtes plus molle l’islamisme que nous (LREM) pouvons l’être »… (France 2, Vous avez la Parole, 11 février 2021).
A droite, les Républicains, déjà enlisés dans une primaire compliquée, ne souhaitent pas avoir un nouveau candidat à la présidentielle. Avec environ sept candidats, sans compter Xavier Bertrand qui fait cavalier seul, il serait un égo de plus à gérer. Si bien que lorsque la nouvelle est tombée au sein de la rédaction du Figaro, positionné à droite, les réactions ont été significatives : « Il va se présenter et ça va être un bazar sans nom pour nous », « nous étions tous consternés, mais nous n’osions rien dire », rapporte un témoin au Parisien. Son bureau dans les locaux du Figaro est même désormais installé a un étage différent de celui de la rédaction. Décidé, il a même tenté de s’acheter les services de Patrick Stefanini, ancien directeur de campagne de Jacques Chirac ou François Fillon, et désormais de Valérie Pécresse. Mais celui-ci a décliné son offre. Eric Zemmour est donc loin de faire l’unanimité à droite, où le camp républicain considère qu’il « est un danger plus qu’une solution », selon les mots de Damien Abad, président du groupe LR à l’Assemblée nationale.
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Du côté de l’extrême droite, la rancune est encore plus tenace contre Eric Zemmour. Les idées véhiculées par la présidente du RN ont entraîné certains gros départs du parti (Philippot, Messiha, Marion Maréchal…). Autant dire qu’elle ne fait plus l’unanimité dans son propre camp, ce qui laisse une fenêtre de tir pour Zemmour. C’est aussi pourquoi il se montre très critique contre le parti de Marine Le Pen, notamment après son naufrage aux régionales : « On a entendu des cadres du RN invectiver leurs électeurs, Marine Le Pen en tête c’était assez sidérant », « On avait l’impression de rentiers qui réclament leur dividende », « S’il y a énormément d’abstentionnistes (…) c’est qu’il y a un problème d’offre », rappelant que 73 % de ses électeurs s’étaient abstenus. S’il se montre aussi critique envers ce parti « normalisé », dont il pointe un « triple problème de structure, d’incarnation et de campagne », c’est donc parce qu’il sait cet électorat majoritairement acquis à sa cause. Il tentera donc de s’attirer les votes de la droite dite « hors les murs ». Et même s’il n’a pas officialisé sa candidature, il fait campagne médiatiquement, et ses relais locaux commencent déjà à s’activer.
En campagne avant l’heure
A peine les régionales terminées que déjà certaines affiches à son nom recouvraient celles des candidats aux régionales. La machine est lancée, Eric Zemmour a déjà mis le pied à l’étrier pour 2022. Selon Le Parisien, il aurait déjà rencontré du beau monde en vue de 2022 : pas moins de 200 industriels, militants numériques, et contributeurs, et 1800 membres de Génération Z (collectif de jeunes pro Zemmour). Autant dire que sa campagne est lancée en toute discrétion, comme pour surprendre. S’il décide de se présenter à la prochaine présidentielle, quelles sont ses chances ?
S’il est très médiatisé et parfois populaire, c’est surtout la défiance qui règne à son encontre dans l’opinion publique. Ses chances pour la Présidentielle de 2022 ? Elles sont minimes à l’heure actuelle. D’après un sondage réalisé par l’IFOP (pour Le Point), il ne devrait vraisemblablement pas rafler plus de 5% des scrutins. Plus récemment, un sondage Ipsos du 27 août commandé par l’équipe de Valérie Pécresse le crédite à 7%, soit une montée assez poussive. Un résultat insuffisant pour se qualifier au second tour mais loin d’être anodin, car potentiellement fauteur de troubles : Eric Zemmour pourrait effectivement semer la zizanie chez ses concurrents de droite et d’extrême droite, qui risquent gros dans huit mois, s’il se présente.