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On débriefe pour vous… Dracula, sang neuf pour le vampire mythique

Moffat et Gatiss revisitent le mythe du Comte Dracula avec plus ou moins de succès, entre fidélité à l’œuvre littéraire et adaptation au XXIème siècle.

C’est quoi, Dracula ? En 1897, Jonathan Harker (John Heffernan) est enfermé dans un couvent de Budapest. Vieilli, amaigri et affaibli, cet avocat britannique est interrogé par une religieuse, sœur Agatha (Dolly Wells), et lui raconte son histoire. Afin de conclure une transaction immobilière avec le Comte Dracula (Claes Bang), il s’est rendu en Transylvanie dans son sinistre château aux airs de labyrinthe. Sur l’insistance du charmant vieillard, il a accepté de rester quelques temps. Mais très vite, Harker sent monter son anxiété et assiste à des phénomènes étranges… Il est loin de se douter de l’horreur qui l’attend. Et ce n’est que le début, le Comte étant bien décidé à s’installer à Londres au terme d’un parcours sanglant.

Le Comte Dracula : le vampire, le mythe, la légende. Créée en 1897 par l’écrivain irlandais Bram Stoker, cette figure immortelle n’a depuis cessée d’être réinterprétée et revisitée, du Nosferatu de Murnau en 1922 à la parodie déjantée What we do in the shadows (film récemment adapté en série) en passant par le Dracula de Coppola ou Buffy contre les vampires. S’attaquer à ce personnage est donc une entreprise risquée (mais qui nous offre prétexte à plusieurs jeux de mots douteux pour lesquels nous nous excusons par avance.) Au cinéma et à la télévision, certaines fictions ont su injecter du sang neuf à son histoire quand d’autres s’y sont cassé les dents.  Aujourd’hui, c’est le duo formé par Steven Moffat et Mark Gatiss (à qui l’on doit notamment Sherlock) qui soulève le couvercle du cercueil pour ressusciter à nouveau Dracula.

A lire aussi : On débriefe pour vous … le pilote de What we do in the shadows, comédie absurde et mordante

Leur série est divisée en trois épisodes de 90 minutes, clairement différenciés mais qui poursuivent un récit linéaire. Le premier se déroule en Europe de l’Est, d’une part entre les murs d’un couvent hongrois où sœur Agatha interroge Jonathan Harker et d’autre part dans le château du comte Dracula lorsqu’il y est prisonnier. Dans ce long flash-back, nous rencontrons ainsi ce mystérieux noble transylvanien, nous assistons à l’effroyable chute de Harker, nous découvrons l’intérêt du Comte pour l’Angleterre mais aussi son terrifiant secret. Vient enfin le coup de théâtre final, qui donne une nouvelle dimension inattendue au personnage de Sœur Agatha, lorsque le Comte arrive au fameux couvent. 

Jonathan Harker chez Dracula : le dîner est servi…

Le deuxième épisode prend place à bord du Demeter, le navire qui emmène Dracula de sa Transylvanie natale jusqu’en Angleterre, où il souhaite s’installer. Comme dans le roman, sa soif et ses pulsions meurtrières le poussent à s’attaquer aux passagers et à l’équipage, le vampire se nourrissant de leur sang mais absorbant aussi leurs connaissances et leurs compétences. Jusqu’à ce que Sœur Agatha réapparaisse et que l’histoire prenne encore une autre tournure : grâce à la religieuse, Dracula est vaincu…Du moins en apparence  

Dans le dernier épisode, nous le retrouvons à Londres en 2020, soit 123 ans plus tard. Dracula débarque au XXIème siècle, découvre les téléphones portables, le wi-fi, le féminisme, la télévision et les réfrigérateurs, mais aussi la descendante de sœur Agatha, une fondation scientifique créée en mémoire de Harker et les personnages secondaires traditionnels du roman dont il s’est extirpé comme l’avocat Renfield (joué par Mark Gatiss lui-même) et surtout la jeune Lucy (Lydia West) qui va réveiller son appétit.

Deux éléments font à peu près consensus dans cette version : l’interprétation d’un Claes Bang qui lorgne plus du côté de Louis Jourdan que de Christopher Lee et le personnage audacieux et charismatique de Sœur Agatha (Dolly Wells est fantastique). Pour le reste, ce Dracula est loin de faire l’unanimité – que l’on soit réticent devant les variations apportées à l’histoire, dégoûté par les scènes trash, désarçonné par l’humour omniprésent, perplexe devant la modernisation du dernier épisode, déçu par une conclusion précipitée bien que convaincante et astucieuse, ou encore lassé par des épisodes où l’on prend parfois conscience que 90 minutes, c’est quand même long…

Dracula face à sœur Agatha, la meilleure trouvaille de la série

Il faut dire aussi que la série est difficile à appréhender, elle oscille entre mise en œuvre classique et modernisation, fidélité au roman et modification de l’histoire, innovation et emprunts à plusieurs adaptations antérieures, ambiance gothique et gore, horreur et humour. On est en pleine terreur classique et scènes d’horreur, en particulier dans le premier épisode avec son sinistre château ; puis dans une sorte de Cluedo (le vampire, dans la bibliothèque, avec le chandelier…) dans le huis-clos du deuxième épisode, à bord du Demeter ; enfin le troisième bascule dans une actualisation de Dracula à notre époque. 

Quelles que soient ces variations, on retrouve toujours un humour pince sans-rire avec des répliques souvent lourdes mais parfois délicieuses (lorsque Dracula rétorque à Harker qui le qualifie de monstre : « Vous êtes avocat, personne n’est parfait. »), le sens du coup de théâtre et du cliffhangher, et une réappropriation de toute la mythologie vampirique. Certaines caractéristiques sont présentes dans le roman (l’attrait irrépressible du sang, la métamorphose animale, la subjugation, les épouses du vampire, la transgression religieuse), d’autres proviennent d’adaptations ultérieures (la sexualité trouble, l’absence de reflet ou les effets de la lumière du jour, la métaphore de la maladie, le questionnement sur la Foi, la solitude du mort-vivant…)  Il y a donc de nombreux ingrédients, dans le Dracula de Gatiss et Moffat ; qu’on aime ou pas le cocktail qu’ils nous ont concocté, celui-ci est détonnant et surprenant.

Avec cette série très attendue, on est à la fois séduit et convaincu par certains éléments mais dérouté voire déçu par d’autres. Sans doute parce que Dracula s’empare du personnage pour le ré-imaginer en jouant aussi bien avec l’histoire originale qu’avec l’évolution du mythe.  Cette nouvelle version de la légende ne fait pas l’unanimité; malgré les réserves qu’on peut émettre, elle est pleine d’intelligence, de malice et de mordant. Elle reste à voir, pour le (vam)pire ou le meilleur. 

Dracula (Netflix / BBC)
3 épisodes de 90′

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Rédacteur en chef du pôle séries, animateur de La loi des séries et spécialiste de la fiction française
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