Rythmée, anxiogène, palpitante… La série française de Éric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon revient avec fracas dans une troisième saison de haute voltige. Après les deux premières qui l’ont érigées au rang de série française incontournable, Baron Noir offre à nouveau un spectacle à la hauteur de sa réputation, truffé de rebondissements. Entre trahisons, coups d’éclats et scénario prophétique, bienvenue dans le monde du Baron Noir, acte III.
Come back
La série politique phare de Canal + nous avait quitté sur un final époustouflant : la Présidente de la République, Amélie Dorendeu, acculée par un début de guerre civil provoqué par une bavure policière, parvenait à se sortir miraculeusement de cette impasse par un coup de poker à faire rougir Patrick Bruel : une dissolution de l’Assemblée Nationale, et la formation d’un nouveau gouvernement. Pari réussi, l’ancienne poulaine du Baron noir étant porté par un triomphe aux élections législatives. Une présidente triomphante, un Philippe Rickwaert menacé de tous parts, et un Michel Vidal en pleine forme : cocktail détonant pour futur incertain. Ajouté à cela une dernière image intrigante, celle d’un dessin de Salomé Rickwaert, croquant son père en président de la République, et il n’en fallait pas moins pour que les férues de la série politique trépignent d’impatience pour la saison 3.
Teasing
Le troisième opus s’ouvre sur un Philippe Rickwaert déboussolé, dont les pas lourds s’enfoncent dans la neige. Cette saison, sans surprises, est celle de son retour. Après avoir subi une condamnation exemplaire et s’être fait abandonner de tous (une fois n’est pas coutume) lors de la dernière saison, celui qu’on surnomme le Baron Noir veut ressusciter. Rickwaert a perdu sa fille, son parti et ses amis. Mais cette fois , plus question de rouler pour d’autre. Son heure a sonné. L’homme de l’ombre veut connaître la lumière, et pas n’importe laquelle : celle de l’Élysée. La quête solitaire d’un loup qui a tout sacrifié pour ses valeurs, ses convictions, mais que la meute a abandonné. Sur fond de manipulations, coups de théâtre et populisme, la course folle du Baron Noir vers la présidence promet d’être pavé d’embûches.
Même recette
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est à la hauteur. Une recette « miracle », toujours aussi fonctionnelle, qui garantie le succès de cette troisième saison.
- La bande originale, signée par les frères Galperine (Evgueni et Sacha), sert toujours à merveille le rythme endiablé imposé par les créateurs.
- La réalisation intense, ne laissant pas le moindre répit au spectateur, accroché sans harnais de sécurité au périple homérique de Rickwaert, ne nous laisse pas souffler. Tant mieux : pas le temps de respirer, l’histoire s’écrit sous nos yeux dans cette fiction politique étonnamment réaliste (voir plus bas).
- Les acteurs, choisis sur mesure, continuent de porter avec panache et réalisme leur personnage à l’écran.
Un François Morel époustouflant dans son rôle de Michel Vidal, chef de file de la gauche de la gauche (difficile de ne pas y voir Jean-Luc Mélenchon, dont on s’étonnerait presque désormais qu’il ne porte pas le visage de Morel, plus vrai que nature). Le dirigeant de Debout le Peuple, orateur grandiose, mégalomane certain, populiste confirmé, brille dans cette saison 3 qui le met sur le devant de la scène.
Anna Mouglalis, fidèle à elle-même, continue d’incarner à la perfection une présidente froide et ambitieuse, confrontée à l’exercice du pouvoir. Pourtant, derrière ce masque de fer impénétrable, la douceur d’une femme ne pourra que toucher le spectateur.
Kad Merad, enfin, plus étincelant que jamais, qui n’a rien perdu de sa superbe ni de son cynisme, celui-la même qui lui a donné son surnom du Baron Noir. Avec, enfin, un adversaire à sa hauteur. Pire : un adversaire contre lequel on ne peut pas lutter. Restez sur vos gardes….
… Nouveaux ingrédients
Ce qui a changé, en revanche, c’est le contexte. Depuis le « Dorendisme », et l’union des libéraux (qui n’est pas sans faire penser au Macronisme), on assiste à la disparition du clivage gauche-droite. Place à un échiquier politique en 3 blocs : la gauche de Vidal, la droite de Chalon (président du RN), et le centrisme libéral de Dorendeu. Avec, au milieu de tout ça, un Parti Socialiste qui tente tant bien que mal, plus mal que bien, de renaître de ses cendres, porté par le revenant Rickwaert, et un parti des Républicains qui oscille entre rejoindre les libéraux ou intégrer les rangs du Rassemblement National. Un peu plus, et on croirait observer à s’y méprendre la situation politique actuelle de la France.
Car c’est bien là tout l’art de cette fiction politique qui n’en est pas vraiment une : réussir à nous faire croire que nous entrons dans les véritables coulisses de la politique, avec des personnages identifiables instantanément, une situation politique reconnaissable entre mille, et des événements nouveaux auxquels chacun pouvait s’attendre.
Alors qu’on pouvait croire que lors des deux premières saisons, le Baron Noir s’inspirait largement de la politique française, il va désormais plus loin. Désormais, le Baron Noir prédit l’avenir, sans le dire. Pour le découvrir, il faudra se plonger dans la saison haletante de 8 épisodes, moins d’une heure chacun. Une chose est sûre : il est aussi sombre que le nom de la série qui le porte à l’écran. Comme une mise en garde ?
La surprise : Cyril Balsan (Hugo Becker), socialisme militant et ami félon de Rickwaert, nous avait déjà fait vibrer lors de son discours contre le communautarisme, dans les derniers épisodes de la saison 2, quand il avait repris les mots de Mitterand au congrès d’Épinay (1971). Bis repetita : devant tous les micros venus assister à une grande annonce de sa part, l’ancien louveteau de Rickwaert parvient une nouvelle fois à toucher le spectateur. Des mots que l’on pourrai se répéter en boucle.
La déception : un Lionel Chalon (Patrick Mille) trop souvent oublié, alors que son rôle était tout aussi central que Dorendeu ou Vidal. Certes de droite dans une série évoquant d’abord la gauche française, on aurait aimé voir et avoir d’avantage de ce personnage, dont l’importance est si cruciale, dans la fiction comme dans la réalité, pour ceux qui auront établi le parallèle.
Disparition des clivages, place des femmes en politique, union des gauches, harcèlement sexuel, condamnations judiciaires, batailles d’égo, écologie, Vème République en danger… La série Baron Noir passe en revue avec brio tous les sujets politiques d’actualité (ou presque), dans une fiction captivante qui se mange sans faim. Hormis celle d’un tournage d’une saison 4 qui est sur toutes les bouches, une seule question se pose : après avoir été dépassé par la fiction, est-ce bientôt la réalité qui la dépassera ?