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On débriefe pour vous… Self Made, d’après la vie de Madame C.J. Walker

Tirée d’une histoire vraie, Self Made raconte le parcours de cette afro-américaine, devenue la première millionnaire autodidacte des États-Unis. 

C’est quoi, Self Made ? A la fin du XIXème siècle, Sarah Breedlove (Octavia Spencer) est une afro-américaine  qui gagne difficilement sa vie en tant que blanchisseuse et qui perd peu à peu ses cheveux à cause du stress.  Jusqu’au jour où elle rencontre Addie Munroe (Carmen Ejogo), qui vend un fortifiant capillaire miraculeux. Avec ses cheveux, Sarah retrouve confiance en elle et décide de créer sa propre ligne de produits. Sous le nom de son second mari C.J. Walker (Blair Underwood), elle va alors fonder son entreprise et faire fortune, malgré une rivalité féroce avec Addie, les préjugés d’une société raciste et machiste et les nombreuses embûches qui vont se dresser sur son chemin.

Icône de la culture afro-américaine, Madame C.J Walker est aussi la première personnalité des États-Unis devenue millionnaire par elle-même. C’est son parcours que retrace la mini-série de Netflix (coproduite entre autres par le basketteur Lebron James et par l’actrice principale Octavia Spencer). Toutefois, le titre dit clairement les choses : « inspirée» de la vie de Madame C.J. Wallker, la série est tirée du livre de son arrière-petite-fille A’Lelia Bundlesrie mais comporte aussi une large part de fiction.  

La vie de Madame C.J. Walker contient pourtant tous les ingrédients des histoires où la réalité dépasse la fiction : c’est une self-made woman qui s’est battue contre les préjugés, a surmonté tous les obstacles dressés sur son chemin, a sacrifié son couple à son rêve de succès. Une battante qui,  magnifiquement interprétée par Octavia Spencer, apparaît dans la série comme une femme forte, ambitieuse et rusée, mais aussi fragile et vulnérable. 

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas eu une vie facile : née en 1867 juste après l’abolition de l’esclavage, elle a perdu ses parents très jeune, a travaillé dans des champs de coton, a été battue par son premier mari, s’est retrouvée veuve avec un enfant à 20 ans. Son travail de blanchisseuse lui permet à peine de vivre, et elle perd ses cheveux à cause du stress ; sans aucune confiance en elle, elle s’observe dans le miroir avec cruauté. Mais grâce au fortifiant capillaire de Addie Munroe, Sarah retrouve ses cheveux, son estime d’elle-même et propose de vendre le produit miraculeux. Addie refuse sèchement :Sarah a la peau trop foncée, elle est trop âgée et elle ne correspond pas aux standards de beauté.  Qu’à cela ne tienne : notre héroïne va fabriquer ses propres produits, créer sa marque et son entreprise avec son mari et sa fille Sarah (Tiffany Haddish). 

Son parcours sera semé d’embûches. Femme noire et pauvre dans une société marquée par le racisme et dominée par le patriarcat, elle se heurte aux investisseurs blancs qui ne voient pas l’intérêt de vendre des produits pour les noires , et aux investisseurs afro-américains qui considèrent qu’une femme ne peut pas diriger une entreprise et ferait mieux de rester à la maison… S’y ajoutent la haine implacable que lui voue Addie, les disputes avec un époux qui souffre d’être « le mari de Madame C.J. Walker », les tensions incessantes avec sa fille qui craint de la décevoir, de multiples trahisons au sein même du cercle familial. Pourtant, à force de persévérance et d’ambition, Madame C.J. Walker va entrer dans l’histoire, en devenant non seulement une femme indépendante financièrement mais aussi une source  d’inspiration pour de nombreuses afro-américaines. 

Avec une forme très classique, Self Made raconte ce parcours hors-normes même si, avec seulement quatre épisodes d’une quarantaine de minutes, le récit est plein de zones d’ombre (le passé de Sarah, par exemple, est résumé en une poignée de courts flash-back) et d’ellipses  Et si la série reconstitue admirablement l’époque, avec les costumes et les décors, elle a aussi tendance à jouer sur le mélodrame et les stéréotypes (les personnages d’Addie et de C.J. Walker semblent sortis d’un soap opera) et opère des choix pour le moins curieux. La bande-son anachronique s’intègre mal à l’histoire (entendre « Harlem Shake » est même assez déstabilisant), des séquences métaphoriques plaçant Sarah et Addie sur un ring au cours d’une match de boxe dans le premier épisode sont aussi incongrues qu’inutiles.

Madame C.J. Walker, une femme forte et indépendante

Si Self Made s’avère passionnante, c’est grâce aux thèmes sous-jacents qu’elle aborde : le racisme, le sexisme, les standards de beauté ou l’homosexualité (Sarah acceptant mal la relation amoureuse de sa fille avec une femme). Le point essentiel reste l’émancipation des afro-américaines dans une société qui les discrimine – en tant  que femmes et en tant que noires. Devenue plus tard une philanthrope finançant de nombreux projets, Sarah se bat tout au long de la série pour s’imposer et prendre le contrôle de sa vie. Et elle veut offrir la même opportunité à toutes les femmes noires. 

Si cette émancipation passe par quelque chose d’apparemment aussi frivole que les cheveux, c’est parce que la chevelure est un symbole d’identité ethnique. Et un moyen d’exister dehors des canons esthétiques représentés par Addie, métisse mince à la peau claire et aux cheveux lissés. Et aujourd’hui, les mouvements Black lives matter ou nappy montrent que Self Made a des choses importantes à dire, en résonance avec notre époque. 

Malgré ses défauts et sa forme convenue, Self Made raconte une histoire puissante : celle de Sarah Breedlove – alias Madame C.J. Walker – une femme qui a bâti un empire à force de volonté et de ténacité,  qui a bouleversé le monde de la beauté afro-américaine et l’image des femmes noires. Self Made aborde des questions prégnantes et essentielles, parfois maladroitement mais avec conviction et sincérité. Divertissante et inspirante, elle donne aussi à réfléchir sur des sujets actuels et universels, même au-delà du racisme et du sexisme, comme l’image que l’on a de soit et celle que l’on renvoie. 

Self Made (Netflix)
4 épisodes de 45′ environ. 

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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