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Au-delà de La Casa de Papel : le boom des séries espagnoles

Phénomène médiatique de ces derniers mois, La Casa de Papel est le fer de lance d’une fiction espagnole en plein essor, qui séduit le monde entier avec des séries variées et ambitieuses.

Si les séries américaines dominent encore largement le paysage audiovisuel mondial, voilà plusieurs années qu’arrivent sur nos écrans des productions issues d’autres pays – Scandinavie, Italie, Australie, Canada, Allemagne, Israël… A ce petit jeu, les Espagnols ne sont pas les derniers, avec des fictions qui franchissent les frontières et connaissent un succès grandissant, de Velvet à Sé Quien Eres en passant par Las Chicas del Cable, Derrière les barreaux et bien sûr La Casa de papel. Comment peut-on expliquer cette tendance ?

La casa de Papel, braquage à l’espagnole et phénomène mondial

 

La télévision espagnole, de la censure à l’ouverture sur le monde

Il convient d’abord de resituer l’histoire de la télévision en Espagne, dont l’évolution est liée au contexte politique, marqué par la dictature franquiste. Née en 1956 avec l’apparition de la chaîne nationale TVE (la deuxième chaîne, future RTVE, verra le jour en 1967), la télévision espagnole a longtemps été soumise à la  censure, tous les programmes passant jusqu’en 1966 devant un comité chargé de juger au préalable de leur adéquation à la propagande et l’idéologie du régime. Une politique présente jusqu’à la mort de Franco, malgré une ouverture progressive sous-tendue par la croissance économique, l’arrivée de la publicité à la télévision et l’émergence de mouvements contestataires. Le régime oscille alors entre une certaine tolérance et une répression féroce, comme l’explique le romancier Manuel Vázquez Montalbán (dans El libro gris de Televisión Española), lorsqu’il parle d’une « sorte de despotisme éclairé, à la mesure d’un pays pas encore assez développé pour s’autoriser l’expérience de la démocratie formelle. »

Dans les mois suivant la création de la TVE, les Espagnols découvrent des séries originales, en marge des succès venus des États-Unis (comme Highway Patrol, Bonanza ou RinTinTin). Énumérer des titres serait un exercice vain, la plupart de ces séries étant inconnues chez nous. Citons tout de même celle que l’on considère comme la première série espagnole, Los Tele-Rodriguez (comédie sur une famille de la classe moyenne dont le quotidien est bouleversé par l’arrivée de l’électro-ménager), Curro Jimenez (les aventures romancées d’un bandolero du XIXème siècle) ou la série-culte Historias para no dormir (bijou d’horreur anthologique mélangeant scenarii originaux et adaptations des œuvres de Ray Bradbury ou Edgar Allan Poe. ) dont vous pouvez voir le générique ci-dessous.

Après la mort de Franco, l’Espagne toute entière connaît de multiples bouleversements aux conséquences durables : la fin de la dictature s’accompagne d’une ouverture sur le monde extérieur, avec le soutien de l’état aux exportations, une laïcisation de la société et l’émergence du mouvement culturel de la Movida. A la télévision, la fin de la censure coïncide avec la création de chaînes régionales autonomes produisant leur propre contenu dans leur langue, et surtout avec l’apparition des chaînes privées (Antena 3 ou Telecinco) et payantes (Canal + España.) Un changement déterminant dans l’évolution des séries espagnoles, comme l’explique Javier Méndez de Boomerang TV (appartenant au groupe Lagardère et qui produit notamment Tiempos entre costuras) :  « En Espagne l’apparition de nouvelles chaînes a donné une impulsion qui a permis aux créateurs d’assumer plus de risques quant à leurs personnages et leurs histoires. »

L’inévitable concurrence entre les diffuseurs entraîne une émulation qui les pousse à varier leurs programmes et à se montrer plus audacieux, et les créateurs s’inspirent plus ouvertement des  nombreuses séries américaines diffusées en Espagne.

Le boom des séries espagnoles : exportation, adaptations et « effet Netflix »

Certaines de ces séries commencent à attirer les médias étrangers ; au fil des décennies, elles sont de plus en plus nombreuses à trouver leur place sur les chaînes du monde en entier, et l’attachée commerciale de Boomerang TV, María García-Castrillón, confie : « On ne conçoit pas les séries en terme d’international, et les chaînes agissent en fonction de leur propre public. Cependant, le marché national a ses limites (…), tandis qu’à l’extérieur, il existe un marché auquel elles peuvent offrir leurs services ».

Un, Dos, Tres : la série qui a (peut-être) rythmé vos cours d’Espagnol LV2…

 

Ainsi, Médico de familia conquiert une vingtaine de pays ; Aguila Roja séduit une partie de l’Asie du Sud-Est ; plus récemment, le thriller carcéral Derrière les barreaux (diffusé sur Teva depuis le 22 Juillet) intéresse les Britanniques sur Channel 4 ; Los Serrano a été diffusée dans plusieurs pays (dont la France). Chez nous, justement,  ce sont surtout les chaînes du groupe M6 qui se sont mises à l’heure espagnole avec l’excellente Genesis, Gran Hotel, Un Dos Tres ou Velvet ; ces derniers mois, on a aussi pu voir sur nos écrans le thriller policier Sé quien eres ou la série post-apocalyptique La Zona.


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En parallèle, plusieurs fictions font l’objet de remakes : Los misterios de Laura (Les Mystères de Laura USA),  El internado (L’internat – France), Gran Hotel (Grand Hotel en Italie, ainsi qu’une version modernisée produite par Eva Longoria, à la rentrée sur NBC), ou la série catalane Polseres Vermelles (The Red Band Society – USA – et Les Bracelets Rouges -France).

Polseres Vermelles, la série originale

 

Toutefois, c’est l’apparition de plate formes de streaming et d’opérateurs mondiaux (Hulu, HBO, Amazon et l’insatiable Netflix) qui a élevé le phénomène à un niveau inimaginable auparavant. «Grâce à ces nouveaux acteurs, nous constatons que nos productions, de qualité mais sans budget astronomique, ont l’opportunité d’être vues dans de nombreux pays», explique Teresa Guitart, responsable des ventes de TV3. Chez Boomerang TV, on ajoute que ces plate formes, qui ont constamment besoin de nouveautés, « sont obligées de rechercher des séries dans le monde entier, ce qui rend  notre contenu accessible. »

La magnifique El ministerio del tiempo est un bon exemple de l’impact de ces réseaux. Récit des voyages temporels de trois personnages chargés d’empêcher les changements historiques dans le passé, la série créée par Javier et Pablo Olivares a été piratée partout dans le monde, adaptée au Portugal, en Chine, en Italie et en Amérique latine (sans même mentionner Timeless, quasi-plagiat américain) ; elle est désormais disponible légalement dans plus de 190 pays via Netflix. Même chose pour Velvet, diffusée en Afrique et en Asie, ou pour la série catalane Merlí avec son héros prof de philo (Diffusée en France sous le titre #Philo), accessible notamment aux États-Unis.

El Ministerio del Tiempo, malheureusement inédite en France

 

Ces derniers mois, c’est sur une autre série espagnole que s’est focalisée toute l’attention : récit d’un braquage qui tourne mal, La casa de Papel est devenue un phénomène mondial inattendu. Lancée en 2017 sur Antena 3 (avec 2,3 millions de spectateurs en moyenne), reprise discrètement par Netflix, la série de Alex Piña a littéralement explosée, devenant en quelques mois la série non-anglophone la plus vue de l’histoire de la plate-forme – au point que celle-ci a commandé une troisième saison, qu’elle diffusera en exclusivité en 2019.

Séries espagnoles, entre particularismes nationaux et ambitions internationales

A ce stade, on peut se demander s’il existe des spécificités propres aux séries espagnoles récentes, ou si l’ambition d’une diffusion à l’étranger a effacé leurs particularismes. La question est simple ; la réponse l’est beaucoup moins.

Signalons d’abord que si de nombreuses fictions espagnoles comportent encore des épisodes de 90 minutes, les scénaristes tendent à se rapprocher des 50 minutes auxquelles nous ont habitués les séries américaines. Notez d’ailleurs que Netflix a redécoupé les épisodes de La Casa de Papel, avec par exemple une saison 1 de 13 X 45 minutes au lieu de 9 X 70 minutes à l’origine. Teva agit de même avec Derrière les Barreaux.

Marquées par le régime franquiste qui entendait mettre l’accent sur la famille et la grandeur de l’Espagne, les séries espagnoles se sont longtemps focalisées sur des fresques ou comédies chorales racontant la vie quotidienne d’une famille, ou sur des fictions historiques. Des thématiques toujours présentes quoique délestées de l’aspect idéologique, et qui côtoient désormais d’autres genres – thriller, polar, drama, fantastique. Une évolution qui traduit d’une part les changements de la société espagnole, et d’autre part le désir des scénaristes de s’adresser à un public plus large avec des thématiques plus variées. Plus ambitieuses en terme d’histoires, les séries espagnoles le sont aussi sur la forme, avec une réalisation soignée et plus audacieuse.

Sur le fond, deux tendances semblent se dessiner. Si certaines fictions conservent d’indéniables caractéristiques lorsqu’elles s’inscrivent dans un contexte social et historique (tensions régionales dans Alli Abajo, Merli ou La Zona ; évocation du franquisme dans Las Chicas del Cable ou Carta a Eva, récit d’événements historiques précis dans El Ministerio del Tiempo ou La Peste); d’autres (Sé Quien Eres, Vis a Vis) pourraient tout aussi bien se dérouler ailleurs. Entre particularismes locaux et histoires plus généralistes, il existe en tous cas un large éventail de séries, susceptibles de séduire un public international.

Leur récent succès n’a du reste pas manqué d’attiser l’intérêt des chaînes ; préparez-vous à une vague de fictions made in Spain pour les prochains mois. Parmi les séries susceptibles d’arriver sur nos écrans, citons entre autres Fugitiva (thriller avec l’actrice Paz Vega), l’excellente Fariña (sorte de Narcos galicien sur le trafic de cocaïne dans les années 1980), Felix (présentée en Cannes Séries, où un homme enquête sur la disparition d’une jeune femme qu’il vient de rencontrer) ou La Peste (En 1597, un ex-soldat est mandaté par l’Inquisition pour traquer un tueur en série pendant une épidémie de peste.) Netflix n’est pas en reste, avec l’acquisition de la fresque historique La catedral del mar, et la production de nouvelles séries espagnoles après Las Chicas del Cable : Élite (un meurtre est commis dans un collège huppé où viennent d’être admis trois étudiants issus d’un milieu modeste), Alta Mar (Série d’époque à la Gran Hotel, où un crime est commis sur un paquebot transatlantique) et Hache (l’histoire vraie d’une trafiquante de drogue en Catalogne dans les années 1960.)  Netflix a par ailleurs signé un contrat avec Alex Piña, showrunner de La Casa de Papel, qui produira dès 2019 Sky Rojo, sa première série exclusive pour la plate-forme.

De son côté, Amazon a conclu un accord avec Atres Media et diffusera Matadero (encore une histoire de trafic de drogue, centrée sur le vétérinaire d’un petit village), les séries historiques Isabel et Carlos Rey Imperador (respectivement sur Isabelle la Catholique et Charles Quint) et Alli Abajo (comédie sur la relation entre un Basque et une Andalouse) ; elle coproduit aussi la comédie romantique Pequeñas Coincidias. Bref, vous l’aurez compris :les séries espagnoles sont en passe de déferler sur nos écrans.

En plein évolution depuis plusieurs décennies, les séries espagnoles semblent aujourd’hui arriver à une certaine maturité : plus ambitieuses et plus généralistes, elles connaissent une expansion internationale inédite, notamment grâce aux plate-formes comme Netflix ou Amazon. Portée par le succès surprise de La Casa de Papel, la fiction espagnole ne compte pas en rester là : à découvrir, próximamente en sus pantallas… Et ce n’est même plus la pleine d’avoir pris Espagnol en LV2.

Propos traduits depuis un article de El Mundo.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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