Devant le tribunal correctionnel de Lyon, le Cardinal Barbarin s’est exprimé sur sa gestion de l’affaire Preynat. Des réponses précises mais préparées pour ne pas rompre l’équilibre périlleux entre la conscience et les exigences du code pénal.
Dans cette première journée d’audience, le sentiment est mitigé. Ce lundi, « monsieur Barbarin » est appelé à la barre. Comme tous ceux qui comparaissent devant la justice, il se montre très vigilant dans ses réponses. Et fait ressentir le décalage incompressible entre les mots attendus d’un homme d’Eglise, d’un cardinal, sur un sujet aussi lourd que celui de la pédophilie de certains de ses prêtres, et ceux que le prévenu Philippe Barbarin s’autorise à prononcer pour répondre à la p déposée contre lui pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles de mineurs de 15 ans ».
Agir « sans créer de scandale public »
« J’affirme en conscience que je n’ai jamais cherché à cacher les faits. Et jamais, jamais, je ne les ai couverts », déclare le Cardinal Barbarin, en reprenant minutieusement la chronologie de cette affaire Preynat qui a faite vaciller son diocèse. Mgr Barbarin dit avoir été « bouleversé » par l’entretien qu’il a eu avec Alexandre Hezez, l’ancien scout devenu père de famille en novembre 2014. « Je n’avais jamais entendu un tel témoignage. Il m’a dit que les faits étaient prescrits et qu’il s’en voulait terriblement de ne pas les avoir dénoncés plus tôt. Je lui ai dit de ne pas renoncer, je l’ai clairement encouragé à trouver d’autres victimes. Et je lui ai demandé d’écrire son témoignage pour que je puisse l’envoyer à Rome. »
Même s’il reçoit Alexandre Hezez en novembre 2014, ce n’est qu’en septembre 2015 que le prélat décide de retirer toutes ses fonctions pastorales à Bernard Preynat – le prêtre accusé d’avoir agressé sexuellement des dizaines de scouts dans les années 1970 et 1980. Le Primat des Gaules réfute les accusation d’inaction et dit avoir attendu la réponse du Vatican avant d’agir. « Mon autorité, c’est Rome. Dès que j’ai eu une réponse claire, j’ai pris mes responsabilités » déclare-t-il. « Rome », c’est elle qui lui demande « d’agir sans créer de scandale public ». Pour cela, le Cardinal Barbarin attend la rentrée de septembre pour écarter B. Preynat et en informe immédiatement Alexandre Hezez.
Équilibre périlleux entre la conscience et le code pénal
Au cours de son audience qui a duré plus de 3h, Philippe Barbarin admet avoir eu connaissance plus tôt des agissements de l’ancien aumônier scout. En 2011, il reçoit Bernard Preynat pour un entretien avant une nouvelle nomination et raconte : « il m’a dit que les faits [de 1991] étaient vrais mais qu’il n’y avait rien eu depuis. Je l’ai cru » Toute la durée de l’audience, Philippe Barbarin tente de préserver un équilibre périlleux entre les exigences de la conscience et celles du code pénal. Face à la présidente du tribunal qui lui demande s’il plaide la relaxe, Philippe Barbarin déclare : « Je ne vois franchement pas de quoi je suis coupable. »
Mais lors d’une messe à la cathédrale Saint-Jean de Lyon, le 16 novembre 2016, l’homme d’Eglise avait demandé pardon : « pardon pour nos silences. Pardon d’avoir été plus soucieux de l’avenir des prêtres coupables que de la blessure des enfants. Pardon pour mes propres fautes ». Quand Me Jean Boudot, l’un des avocats des plaignants, lui rappelle ses propos d’évêque, le prévenu observe : « J’ai le droit de demander pardon. Cela ne veut pas dire que j’ai commis des fautes personnelles. ».
« Reprocher à l’Eglise ce que vous-même n’aviez pas fait »
Lundi, l’émotion était ailleurs. Elle est arrivée par la voix blanche, la rage contenue avec laquelle l’ancien directeur de cabinet de Mgr Barbarin, Pierre Durieux, a lu sa déposition. « En 1991, je suis scout. Mon père est magistrat et par le hasard des nominations, j’aurais pu être moi aussi un scout du père Preynat », dit-il. C’est lui qui, le premier, reçoit le mail d’Alexandre Hezez. «Votre histoire aurait pu être la mienne. Le scoutisme a construit ma vie, il a détruit la vôtre. » Il poursuit : « Je transmets votre e-mail au cardinal, trente et une minutes après l’avoir reçu. Je vous réponds 1 h 51 minutes après l’avoir lu. »
Pierre Durieux ne comprend pas la plainte qui le vise : « Je tremble à l’idée qu’un prêtre de mon Eglise ait pu détruire votre jeunesse. Mais pourquoi poursuivre ceux qui vous ont donné la force d’agir en justice ? Pourquoi cette chasse à l’homme ? Pourquoi reprocher à l’Eglise de ne pas avoir fait ce que vous-même n’aviez pas fait ? » Depuis l’affaire, Pierre Durieux a quitté Lyon et vit désormais à Nantes. Il oppose son silence aux questions du tribunal « par fidélité » au Cardinal Barbarin.