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Christophe Honoré, dernier cri avant que la nuit tombe

Marcel Proust rencontre Sylvie Vartan. Voilà l’expérience anticonformiste dans laquelle s’est lancé le cinéaste, dramaturge et romancier Christophe Honoré. Une adaptation Du Côté des Guermantes, troisième tome de La Recherche du Temps perdu. Métaphore d’une triste actualité.

Ligne 1, arrêt Champs-Elysées-Clémenceau. Le métro de 20h se vide d’une gaîté naïve. Une cinquantaine de personnes se hâtent le pas léger pour se retrouver au cœur du 8ème arrondissement. De la grande place sur laquelle ils arriveront, ils ne retiendront pas grand chose. Préférant éluder la centaine de mètres en direction du Théâtre Marigny par une foulée militaire. Personne ne se doute de rien. Ou au contraire, les gens veulent y échapper.

De petits groupes campent aux pieds du nouvel hébergement de la Comédie-Française. La Salle Richelieu est en travaux. Les acteurs n’ont jamais eu l’occasion de jouer cette pièce dans leurs appartements habituels. Des couples se tiennent la main comme pour résister aux appels des lumières de Marigny. Ils savent que la nuit est déjà tombée et qu’il sera proche de minuit à la fin de l’histoire. Pour vivre la liberté, des centaines de personnes se sont risqués à l’enfermement. Calfeutrées dans une salle, ils ont regardé durant plus de deux heures une pièce qui ne parlait de rien.

Marcel Proust, incarné par Stéphane Varupenne, ouvre la première scène en jouant du Cat Stevens, guitare électrique aux bras. Un anachronisme en fil rouge. Rassurés, nous sommes bien installés pour voir du Christophe Honoré. Après Les Idoles et Nouveau Roman, le metteur en scène affronte un autre mythe : celui du plus grand écrivain. Loin des hommages de ses deux pièces précédentes, Le Côté de Guermantes est une réflexion. Peut-être une juste définition de ce qu’est une adaptation.

Au premier plan (de gauche à droite) : Stéphane Varupenne, Elsa Lepoivre, Florence Viala et Laurent Lafitte. Au second plan (de gauche à droite) : Mickaël Pelissier, Aksel Carrez, Romain Gonzalez (preneur de son en scène) et Camille Seitz. (crédits : Jean-Louis Fernandez)

Les discussions s’enchaînent et se ressemblent parfois. Les salons se font de plus en plus fréquents. Les ruptures sont fortes. Marcel Proust est perdu. Il avait pourtant un rêve. Il se nommait Oriane de Guermantes, joué par Elsa Lepoivre. Mais l’amour se dégrade et l’espoir aristocratique tombe en ruine à seulement une rue de chez lui.

On n’avait jamais lu Proust en tant qu’œuvre politique. Le choix de représenter un entre-soi de la haute société avec son mépris et sa brutalité. Le choix aussi de proposer une géographie de l’ignorance où les militaires discutent d’art quand les princes et ducs ne font que s’approprier de vagues idées de « ce qu’il faut penser ». Une frontière immensément construite pour faire mourir l’amour.

C’est en offrant à ce texte des reflets d’aujourd’hui que nous lui seront le plus fidèle.

Christophe Honoré, dans une lettre adressée à ses comédiens.

Parce que cette pièce est un parti pris. Tourner le dos à la valeur patrimoniale d’une œuvre reconnue pour réaliser une mise en scène dense mêlant jeux d’ombre et séquences filmées. L’écriture est largement remaniée, jusqu’à même parler directement aux spectateurs. Les conventions sont niées. Et les personnages y sont parfois ridicules. L’humour sert la tribune d’un système social fracturé et parfois vide de sens. Terriblement d’actualité.

L’affaire Dreyfus est martelée sans cesse. La question divise. Le sujet est dans les têtes sans pouvoir être totalement intelligibles. « L’Affaire » est un parasite. Métaphore contemporaine. « C’est en offrant à ce texte des reflets d’aujourd’hui que nous lui seront le plus fidèle », écrit Christophe Honoré dans une lettre adressées aux comédiens avec qui il allait travailler en mai 2019.

Il est alors 23h17. Les lumières viennent de se rallumer. Certains spectateurs s’empressent de partir. Les comédiens ne seront pas applaudis plus de 3 fois. On ne verra pas Christophe Honoré sur scène. Puis un grand silence. Les acteurs, en ligne, vont lire quelques mots. « Notre présence nous rappelle combien le théâtre et la culture nous empêchent de mourir ». Ce seront ces lourdes paroles qui clôtureront ce moment hors du temps. Personne ne se retournera pour voir le théâtre s’éteindre. Le monde de la culture est en deuil. Définitivement oublié. Les spectateurs, forcés de redevenir citoyens, prendront le dernier métro autorisé pour rentrer chez eux avant que n’arrive l’heure du couvre-feu. Ligne 1, arrêt Champs-Elysées-Clémenceau, le voyage sera silencieux.

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Journaliste culture, politique et société
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