Antonin André et Karim Rissouli, deux journalistes à Europe 1 et France 5, ont recueilli pendant 4 ans les confessions de Francois Hollande. Leur livre, « Conversations privées avec le Président » (Albin Michel), retrace de l’intérieur le quinquennat du président. Les deux auteurs ont rencontré Hollande 32 fois, entre le 17 février 2012 et le 24 mai 2016 et analysent dans leur ouvrage les moments forts qui ont marqué le mandat d’Hollande : attentats de Charlie Hebdo, affaire Léonarda, guerre au Mali, crise grecque, inversion (ratée) de la courbe du chômage, Sarkozy, Macron, Valls, tout y passe. Durant ces entretiens, Francois Hollande y exprime sa vérité, ses hésitations et ses doutes. A travers de longs monologues, le chef de l’Etat apparait comme étant balloté voir presque écrasé par la fonction qui lui incombe. Obnubilé par son désir de laisser sa trace dans l’histoire, il confie « C’est dur, bien sûr que c’est dur. C’est beaucoup plus dur que ce que j’avais imaginé », mais se tourne dans un même temps vers la présidentielle de 2017.
Le chômage
Francois Hollande comprend très tôt dans son mandat qu’il lui sera très difficile de pouvoir tenir sa promesse d’inverser la courbe du chômage, en hausse depuis la crise financière de 2008. En octobre 2013, il apprend que le nombre de chômeurs a reculé de 20.000 personnes. « C’est bien! Mais pour l’inversion je me dis: « c’est la plus mauvaise chose qui puisse arriver. » Parce que ce chiffre est trop bon, trop tôt ! Je m’attendais à une hausse en novembre, j’imaginais dix mille chômeurs de plus (…). Finalement, c’est 20.000 de moins. C’est la plus mauvaise chronique ». Il reconnaitra d’ailleurs au cours d’un de ces entretiens que cette promesse de campagne sur l’inversion du chômage était quelque peu maladroite : « J’ai fait cette annonce de l’inversion de la courbe du chômage parce que je croyais encore que la croissance serait de 0,7-0,8, elle sera finalement de 0,1 ou de 0,2. Puis je répète cet engagement lors des voeux le 31 décembre 2012. J’ai eu tort! Je n’ai pas eu de bol! En même temps j’aurais pu gagner. »
Charlie Hebdo : le moment où il est « devenu président dans le regard de beaucoup de gens »
Les attaques terroristes de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher, en janvier 2015, marquent un tournant dans son quinquennat puisque selon ses propres mots, « C’est la semaine, celle des attentats, où je suis devenu président dans le regard de beaucoup de gens. J’ai été élu, mais dans le regard de beaucoup de Français, je ne l’étais pas devenu. » Cet événement permettra au président de la République de faire un bond de près de 20 points dans les sondages, alors qu’il était au plus bas : « C’est une séquence pendant laquelle j’ai eu les bons gestes », assure François Hollande, persuadé que « 2017 se jouera sur ces valeurs aussi ».
Des négociations sur l’avenir de la Grèce menées depuis la maison de Line Renaud
Le samedi 11 juillet 2015, alors que le sort de la Grèce est en train d’être décidé à Bruxelles, Francois Hollande dîne chez Line Renaud en compagnie de Jean-Yves Le Drian et Emmanuel Macron. Il suit néanmoins avec beaucoup d’attention les événements dans la capitale Belge, par l’intermédiaire de Michel Sapin, son ministre des Finances et des Comptes Publics présent sur place : « Vers 2 heures du matin, il m’appelle une dernière fois, il est très pessimiste. Certains ministres européens sont à la limite d’insulter les Grecs. C’est très dur. (…) Lorsque j’arrive au Conseil à Bruxelles (le lendemain) à 16 heures, l’atmosphère est meilleure. Michel Sapin me fait passer des messages plus rassurants. Les Allemands sont moins virulents ». Le lendemain de ce dîner, un accord sera signé.
Macron, le « garçon gentil », aurait divisé son salaire par dix
Alors que les deux hommes sont présentés comme étant en froid, notamment depuis que le ministre de l’Economie a créé son mouvement « En Marche », le président assure le contraire en dressant un portrait plutôt élogieux à égard de l’ancien banquier. « Macron est un garçon gentil. Un garçon simple. Et il m’est totalement fidèle. Il m’a rejoint en 2010, il a fait la campagne à mes côtés avec Sapin. Il s’occupait des chiffrages. Il a accepté de diviser son salaire par dix en venant travailler à l’Elysée avec moi ! Quand il est parti, il n’a pas sauté dans le premier wagon pour aller chercher dans le privé une rémunération exceptionnelle. Il envisageait plutôt de se tourner vers l’enseignement et de monter sa boîte de conseil ». Cependant il juge que les sorties médiatiques du ministre « ça ne va pas », en arguant le fait que Macron n’a « aucune expérience politique ».
Affaire Léonarda : médias et PS fauteurs de troubles
« L’affaire Léonarda » est un épisode qui a profondément miné la première partie du quinquennat de François Hollande. Rappel des faits : le 9 octobre 2013 une collégienne est arrêtée en pleine sortie scolaire afin d’être renvoyée au Kosovo avec sa famille. Les réactions fusent et le sort de la jeune Léonarda deviens un sujet polémique national. Le 19 octobre, le président prend la parole à la télévision et annonce que la collégienne expulsée vers le Kosovo pourra revenir en France terminer ses études si elle le souhaite mais sans sa famille, chose refusée par Léonarda durant les nombreuses interviews des médias au Kosovo. Cette séquence laisse un goût très amer au chef de l’Etat : « J’assiste à cette folie qui s’empare des chaînes d’information, qui multiplient les interviews de cette gamine avec une complaisance inouïe ! On sait maintenant que Libé a payé 50 euros pour l’interviewer ! Ça en dit long sur notre système d’information! Peut-être que les chaînes d’info l’ont aussi payée ?! Qui sait ? « . Il accuse également son parti qu’il accuse de l’avoir « lâché » en demandant le retour de toute la famille. « Dans cette affaire, le PS a fait une faute politique » assure-t-il.
Hollande à propos de Nicolas Sarkozy : « C’est lui que j’affronterai »
L’entente en l’actuel président et son prédécesseur n’a toujours été que cordiale. Au lendemain des attentats qui ont ensanglantés la France le 13 novembre 2015, Francois Hollande reçoit à l’Elysée le chef des Républicains au cours d’un entretien qui décrit comme « pénible ». « Il a commencé à taper sur Christiane Taubira en expliquant que je devais la virer », raconte le chef de l’Etat. « J’ai eu droit au chapitre sur l’emprisonnement des fichés S… C’était vraiment pénible ». Il juge que l’ancien président est toujours le même, qu’il n’a pas changé depuis sa défaite de 2012, il n’en a pas tiré les leçons : « On pouvait penser qu’il y aurait une mue, mais quand je l’ai retrouvé dans le stade en Afrique du Sud [lors de la cérémonie d’hommage à Nelson Mandela], c’est comme si je venais de le quitter. Le même, avec les mêmes histoires, les mêmes façons de parler, me disant des choses qu’il ne devrait pas dire. Dire du mal de Fillon, de Copé, de tous… Il ne devrait pas me dire ça à moi ! Je suis son adversaire ! » cependant dans le combat féroce qui s’annonce pour les primaires de la droite, Francois Hollande ne voit pas d’autre vainqueur que Sarkozy. « Je pense que s’il ne lui arrive rien, c’est lui que j’affronterai. Je ne vois pas bien comment ils pourront l’en empêcher ». Par ailleurs, il reconnaît que si l’ancien ministre de l’Intérieur est celui qui a le « plus de qualités », il est dans un même temps celui ayant le « plus de défauts aussi ».
2017, dernier combat pour Francois Hollande
Francois Hollande le confie aux deux journalistes : oui, il veut être son propre successeur au plus haut sommet de l’Etat. « L’envie, je l’ai. C’est mon inclination personnelle. » affirme-t-il. Mais lâché par sa propre majorité et par l’opinion publique, le président est conscient que ce sera difficile. « Je ne ferai pas de choix de candidature », prévient-il, « si, d’évidence, elle ne pouvait pas se traduire par une possibilité de victoire ». Mais pour lui, la chose la plus importante est de marquer l’Histoire. C’est d’ailleurs « pour la postérité » qu’il a accepté de se livrer au jeu d’Antonin André et Karim Rissouli. « Ce qui est terrible, c’est de faire un mandat présidentiel dont il ne reste rien. Moi, j’ai réglé cette question : le Mali, la réponse aux attentats de janvier, le mariage pour tous, la loi Macron… » C’est pourquoi s’il devait laisser sa place, il s’en remettrait facilement : « Ce n’est pas un drame si ça s’arrête. (…) C’est vrai que ça pourrait être une sorte de libération de ne plus être là ». S’il n’est pas réélu, il confie vouloir se retirer de la politique : « Si je perds la présidentielle, j’en ‘prendrai pour cinq ans’. J’aurais 67 ans en 2022, donc, si je perds, j’arrête la politique ».
Manuel Valls comme digne successeur
Dans le cas où Francois Hollande devrait abandonner la course à 2017 ou tout simplement échouer, il lui faudrait un successeur puisque comme annoncé plus haut, il prendrait sa retraite politique. Et celui-ci a déjà en tête la personne concernée. Pour le chef de l’Etat, exit Benoit Hamon ou Arnaud Montebourg. Non pour lui c’est son premier ministre Manuel Valls qui serait le plus à même de prendre cette fonction de président de la République. « Franchement, Valls aura démontré, quel que soit le résultat de la présidentielle, qu’il a été à la hauteur pendant trois ans. Il est celui qui a la plus grande expérience politique. Je ne sais pas ce que seront leurs vies dans les prochaines années (en parlant des différents prétendants socialistes à la présidentielles), mais ils ne seront pas sur le même espace ». Francois Hollande voit donc en Manuel Valls celui qui peut prendre le relais, même s’il ne manque pas de souligner que ce dernier a commis « une erreur majeure de communication » lors du débat sur la loi Travail si chère au gouvernement.
Crédit photo Une : Stéphane Mortagne/Albin Michel – Photomontage La Voix