Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre ont commandé un rapport pour dénoncé des agressions sexuelles et du harcèlement sexuel sur plusieurs femmes, de la part de l’abbé Pierre. Des violences commises de la fin des années 1970 à 2005. Que dit ce rapport ?
Connu pour ses actions de solidarité envers les plus démunis, l’abbé Pierre est accusé de violences sexuelles. Ces accusations interviennent dix-sept ans après sa mort en 2007. Un rapport, commandé au cabinet Egaé par Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre, évoque des violences commises sur au moins sept femmes. Les faits se seraient déroulés sur plus de trente ans.
Les accusations
L’affaire a éclaté ce mardi 17 juillet. Le rapport d’enquête menée par Caroline De Haas, directrice associée du groupe Egaé, met en lumière les accusations de violences sexuelles commises par l’abbé Pierre.
Dans le rapport disponible en ligne, on peut lire les témoignages de 7 personnes. Toutes font état de violences de la part du prêtre catholique sur une période allant de la fin des années 1970 à l’année 2005.
Afin de préserver leur anonymat, le nom des victimes a été remplacé par une lettre. Toutes racontent des expériences similaires. L’abbé a eu des paroles et parfois des gestes inappropriés et non consentis lorsqu’elles se trouvaient seules avec.
À la fin des années 1970, alors qu’elle discute avec lui au pied d’un escalier, dans « un endroit de type sas », l’une d’elles raconte : « Il s’est mis à me tripoter le sein gauche. » « J’étais avec lui dans son bureau (…) Pendant qu’on parle du travail, il pose ses mains sur ma poitrine », témoigne une autre femme, salariée d’Emmaüs International à l’époque, à la fin des années 1980. « Je ne m’attendais pas du tout à ce geste. J’ai juste mis fin à la conversation plus rapidement et je suis partie »,raconte-t-elle. Mais peu après, « en discutant, il a refait la même chose. Je lui ai dit que ça me gênait énormément et que ça ne devait pas recommencer. Ça n’a jamais recommencé », poursuit-elle.
Une autre collaboratrice raconte une agression similaire, bien plus tard, en 2005, deux ans avant sa mort. Le prêtre, nonagénaire, « était alors en fauteuil roulant ». « Lorsque je suis allée le saluer, il m’a touché les deux seins, témoigne-t-elle. Je me souviens que je me cachais lorsqu’il était là, je ne voulais pas du tout être près de lui. »
Le témoignage de A. évoque « plusieurs contacts sur sa poitrine lorsqu’elle était mineure dans la maison familiale dans laquelle l’abbé Pierre était régulièrement invité ». Les années suivantes, elle fait face à des sollicitations inappropriées et à un baiser forcé. « Au moment de lui dire au revoir, il a introduit sa langue dans ma bouche d’une façon brutale et totalement inattendue », se souvient-elle. Ces faits remontent lorsqu’elle avait 16 et 17 ans. Certaines des femmes citées dans le rapport décrivent enfin des sollicitations répétées, correspondant à du harcèlement sexuel. Le plus effrayant dans ces affirmations est la potentielle culpabilité d’Emmaüs.
« On pensait qu’il s’était calmé »
Selon le texte, elles étaient plusieurs a avoir signalé aux responsables de la communauté les actions de l’abbé. Une personne entendue dans le cadre de l’enquête, qui connaît bien le Mouvement a dit : « Toute une génération [celle du début] savait que l’abbé Pierre dérapait ».
En 1992, B. raconte avoir informé des dirigeants de l’époque des comportements de l’abbé Pierre. « Je leur en ai parlé. C’était dans le bureau où l’abbé Pierre avait essayé de me bloquer. Ils m’ont dit « On pensait qu’il s’était calmé ». Ils m’ont dit que je n’étais pas la seule dans les secrétaires d’Emmaüs International. ». Une femme, qui assure qu’il lui a touché la poitrine alors qu’elle travaillait sur un documentaire à son sujet en 1995. Lorsqu’elle les responsables de la communauté la reçoivent, elle se souvient qu' »Ils restaient de marbre. Je m’étais dit : ‘Ils protègent un truc. C’est malsain.' »
« J’ai entendu très tardivement qu’on prévenait les secrétaires de faire attention à l’abbé Pierre », corrobore un témoin entendu par Egaé. L’abbé Pierre « vieillissant », « avait du mal à réfréner ses instincts » et « ne pouvait pas s’empêcher de toucher les seins des femmes », l’avait-on informé. Mais des comportements plus anciens sont toutefois présents dans le rapport. Une personne entendue par le cabinet d’experts s’est ainsi fait l’écho « d’un récit d’une scène dans les années 50 ou 60 », où il aurait « sauté » sur une femme.
Une question se pose alors, pourquoi ces témoignages ne ressortent que maintenant ? Pourquoi aucune actions judiciaires n’a été engagée avant ? La directrice du cabinet Egaé, Caroline De Haas, citée dans La Croix évoque: « J’ai identifié dans presque tous les cas la difficulté à être crue lorsque la personne mise en cause est valorisée, voire adulée, pour son engagement ».
Une mise à jour douloureuse
Le rapport évoque les « émotions fortes » liées à cette enquête et le paradoxe qu’un homme peut porter en lui. « La dissonance entre l’image de l’abbé Pierre, son souhait de justice et d’égalité et son comportement envers les femmes crée une fissure immense chez les personnes qui l’admiraient ou admiraient son engagement », écrit Caroline De Haas.
Un contraste qui piège les victimes, les réduisant alors à l’inaction et au silence. Une des personnes entendues en entretien a confié au groupe Egaé : « J’ai l’habitude de me défendre. Mais là, c’était Dieu. Comment vous faites quand c’est Dieu qui vous fait ça ? » Le groupe Egaé a perçu dans certains des récits une forme d’emprise alimentée par la différence d’âge, le statut de l’abbé Pierre et une forme d’idolâtrie, ou la situation de subordination entre lui et les personnes (proximité familiale, travail).
« Ces révélations bouleversent nos structures, ces agissements changent profondément le regard que nous portons sur un homme connu avant tout pour son combat contre la pauvreté, la misère et l’exclusion », soulignent également Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre tout en reconnaissant la parole des victimes. La Conférence des évêques de France a, elle, exprimé sa « douleur » et sa « honte ».
« Je suis triste, je suis en colère, je lui en veux d’avoir fait souffrir ces femmes », a affirmé Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, mercredi soir sur France 2.« Nous voulons soutenir de toutes nos forces les victimes que nous avons identifiées et celles, peut-être, qui se manifesteront. »