L’article précédent abordait les conditions de travail des mineurs ainsi que l’histoire de Potosi, en Bolivie . Celui–ci est une suite logique qui traite des dieux faisant partie de la vie minière et des hypothèses d’avenir de la ville. Voici le premier article :
Les maîtres du destin
En plus des conditions de travail extrêmement difficiles, un autre aspect particulier du travail minier, c’est sa masculinité. Cette division genrée du travail ne fait même pas sourciller les Potosinos, celle-ci étant d’origine séculaire. Pour mieux appréhender ces traditions, il faut comprendre ce que sont la Pachamama et El Tío, deux croyances très enracinées sur les flancs du Cerro Rico. La Pachamama, la Terre-Mère, est une croyance très répandue dans toute la région andine de l’Amérique du Sud. Déesse de la fertilité, protectrice de la terre, de la nature, on lui fait des offrandes en août au moment de semer pour l’année suivante. À Potosi, on lui fait aussi une offrande à chaque entrée dans la mine. Le mineur demande à la déesse de les protéger, lui et ses compagnons en plein travail. Il lui offre quelques feuilles de coca et une lampée de cet alcool de canne à sucre à 96°.
Si la Pachamama est protectrice, elle est aussi jalouse: seuls les hommes entrent en son sein. Les femmes se doivent de rester à l’extérieur ; ce sont les « guardas« , celles qui récoltent des morceaux de roche à l’extérieur pour en extraire les restes de minerai et qui en même temps surveillent les entrées des mines. Car, même si les ressources se font de plus en plus rares, les trésors du Cerro Rico font encore miroiter des voleurs. Les « jucus« , ceux qui viennent voler du minerai, une entreprise plus que risquée, les mineurs étant promptes à faire justice eux-mêmes, c’est à dire lyncher le coupable si la police n’arrive pas assez vite.
La mine comme territoire sacré
La deuxième croyance, spécifique au Cerro Rico, est celle du Tio. Au XVIe siècle, âge d’or de l’Inquisition espagnole, l’un des aspects les plus importants de la colonisation a été la conversion des indigènes au catholicisme. Les églises de Potosi en témoignent toujours. Ainsi, les indigènes apprennent que la figure du diable, dieu souterrain implanté par les Espagnols, est là pour les punir s’ils ne travaillent pas suffisamment.
Cependant les mineurs vont s’approprier cette figure qui au fil du temps deviendra el Tio. Si la Pachamama est la Terre-Mère, la mine est le territoire du Tio. Le sort des mineurs dépend de son bon vouloir. Ceci explique le nombre important de statues à son effigie dans les mines. Quand ils passent devant ou lorsqu’ils font une pauses, les mineurs viennent s’y recueillir. Les offrandes sont les mêmes que pour la Pachamama, alcool et coca. Ils en disposent sur ses mains et ses pieds, qui sont les principaux outils de travail des mineurs; mais aussi sur son sexe en érection, symbole de fertilité. Car, selon les mineurs, c’est de la fertilité de ces deux divinités, de leur union sacré que naît le minerai au plus profond de la montagne. Ne pas leur faire d’offrande, c’est courir le risque de s’attirer leurs foudres, et donc une mort certaine.
Portes de sortie
Mais si l’on se tourne vers l’avenir, difficile d’apercevoir des jours plus radieux. Depuis le début de l’exploitation minière, les mineurs ont gagné des lampes électroniques et de la dynamite. À part cela pas grand chose n’a changé. Encore aujourd’hui, débarquent à Potosi des jeunes gens, sans éducation, sans diplôme, pour travailler quotidiennement comme journaliers dans les mines. Sans amélioration des conditions de travail, le taux de mortalité des mineurs restera vertigineux. Sans investissement, notamment dans l’éducation, les choses ne pourront pas changer. Le travail dans les mines ne demande aucune formation, la force physique suffit. Sans réorientation économique, Potosi restera cette ville pauvre, cette ville minière qui ressasse sa gloire passée. Toutes ces nécessités ont un dénominateur commun: l’Etat Bolivien, c’est l’acteur qui potentiellement peut investir le plus, faire la différence, peut-être même faire changer les choses pour de bon. Il faut cependant modérer son enthousiasme et comprendre que si changement il y a, il prendra plusieurs années, ce n’est pas quelque chose qui se fera du jour au lendemain.
Une question politique
Mais cette dynamique de changement, il est dur de voir d’où elle pourrait venir. Depuis 2006, date à laquelle Evo Morales devient président, très peu de choses ont été faites pour les mineurs. À part des nationalisations, qui ne changent pas grand chose pour les mineurs, aucune amélioration notable. Le désir du président de se représenter pour un quatrième mandat, sans respecter l’avis du peuple qui s’était exprimé contre la possibilité d’un quatrième mandat lors d’un référendum en 2016, ne présage donc rien de bon; sachant qu’il est très probable qu’il soit réélu. Pourquoi Morales ferait-il maintenant ce qu’il n’a pas fait lors de ses trois mandats précédents ? Difficile à dire. C’est une élection sans intérêts pour la mine, car les autres candidats ne sont pas plus portés sur le sujet. Peut-être que la fin de cette ancienne richesse serait finalement la solution pour enfin passer à autre chose. Mais pour le moment, le jour où les mineurs pourront enfin regarder plus loin que le bout de leur pioche, plus loin que le fond de la mine et son dieu souterrain, est encore mirage, un Eldorado lointain.
Sources et pour aller plus loin
Sur la Pachamama, article plutôt long et complet qui relate une enquête sur le sujet en Equateur :
https://www.monde-diplomatique.fr/2018/03/MARIETTE/58464
À lire pour se faire une idée plus précise du contexte latino-américain et pour mieux comprendre d’où vient cette pauvreté :
« Les Veines ouvertes de l’Amérique latine » d’Edardo Galeano
Crédits photos
Evo Morales avec les mineurs :
http://www.comunicacion.gob.bo/?q=20140620/15848
El Tio au fond de la mine:
http://archivoexvotos.revista-sanssoleil.com/el-tio-de-la-mina/