Le vendredi 4 juin, la Commission européenne s’est prononcée contre la suspension des brevets des vaccins anti-Covid, qui permettent, depuis plusieurs mois, de freiner significativement l’épidémie. Si la position de Bruxelles a été présentée et assumée devant l’Organisation Mondiale du Commerce, elle est fortement contestée par de nombreux gouvernements.
Le brevet : une notion centrale du droit de la propriété intellectuelle
Selon l’INSEE, un brevet est une qualification juridique permettant la protection d’une innovation technique, un produit, ou un procédé qui apporte une solution technique à un problème donné. C’est une garantie du droit de la propriété intellectuelle dont dispose un inventeur, un scientifique, sur une de ses productions. C’est un régime très encadré, par plusieurs normes nationales et européennes. Ce régime permet ainsi à un inventeur de disposer d’un monopole d’exploitation.
Néanmoins, la réglementation stricte liée à l’attribution d’un brevet peut être contournée, notamment quant il s’agit d’une innovation médicale ou pharmaceutique. Cette flexibilité est rendue possible en France par le Code de la propriété intellectuelle, par l’utilisation du régime de la licence d’office. L’article 613-16 du Code de la propriété intellectuelle dispose que le Ministre chargé de la propriété industrielle est en mesure de soumettre à ce régime de licence un brevet « si l’intérêt de la santé publique l’exige et à défaut d’accord amiable avec le titulaire du brevet ».
Les brevets étant susceptibles d’être soumis à ce régime de licence d’office concernent notamment les brevets délivrés pour « un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe », dont font partie les vaccins. C’est en faveur de ces licences que la Commission européenne s’est prononcée, tout en maintenant une opposition ferme à une suspension des brevets.
Pourtant, l’urgence du contrôle de l’épidémie ont appuyé les arguments en faveur de la suspension totale des brevets des vaccins contre le COVID-19. Joe Biden, le 5 mai 2021, s’était ainsi prononcé pour cette suspension. Il avait par la suite été appuyé par Emmanuel Macron.
Une position qui illustre une divergence internationale autour du transfert de la propriété industrielle
Dès lors, la décision de la Commission européenne semble aller à l’encontre d’une opinion internationale croissante. L’Inde, où l’épidémie a été particulièrement dévastatrice du fait du développement de variants moins contrôlables, réclame également une levée des brevets. Ainsi, les arguments contre cette levée semblent progressivement se fracturer au profit du bien commun.
On retient également que le développement de ces vaccins a été financé, notamment en France, par de l’argent public. Cet élément s’ajoute à la légitimité d’une demande de levée des brevets. Ainsi, la solidarité est l’argument qui tend à primer au niveau planétaire.
Ainsi, quels sont les motifs de la décision de la Commission européenne ?
L’opposition à la levée des vaccins par Bruxelles peut être expliquée en deux temps.
D’une part, elle se situe en faveur du principe général de la protection de la propriété industrielle des laboratoires producteurs des vaccins. Elle a insisté sur la nécessité d’utiliser les outils juridiques des licences, contre les positions en faveur de la levée totale des brevets. Celles-ci critiquaient la demi-mesure et la lenteur de ces outils qui n’aboutiraient pas à l’universalisation de la production des vaccins. En effet, ces licences ne peuvent être utilisées qu’au niveau national, ce qui ne permettrait pas une universalisation de la diffusion du procédé de réalisation des vaccins, et notamment de l’ARN messager.
D’autre part, la Commission européenne s’est appuyée sur les arguments des laboratoires producteurs. Ils mettent en lumière la pénurie de matières premières qu’impliquerait une levée des brevets, donc une libéralisation importante de la production des vaccins dans des pays qui n’en sont pas encore producteurs.
Ainsi, la levée des brevets des vaccins peut constituer une avancée dans la lutte contre l’épidémie, mais il est crucial d’adopter une approche nuancée. En effet, en cas de manque de matières premières et d’effectifs, ce procédé serait inutile et mettrait en péril la production existante. Il faudra donc s’assurer, au niveau mondial, que les laboratoires peuvent disposer de tous les éléments nécessaires à leur réalisation. De plus, les Etats-Unis, qui se sont prononcés en faveur de cette levée, n’ont pas procédé à l’exportation de leurs doses, contrairement à plusieurs pays européens.