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L’OVNI « DAU » : Objet vain non identifié

Le projet protéiforme du réalisateur russe Ilya Khrzhanovsky, guigné par les férus d’art, promettait la révolution. Il ne sera que malheureuse désillusion.

Ne pas avoir entendu parler de « DAU » relève du miracle, tant l’expérience a suscité l’effervescence dans la capitale. « Révolutionnaire », « unique », « fantastique », une vague de superlatifs a en effet déferlé avant même qu’elle débute. Il faut dire que « DAU » n’a pas fait dans l’économie. En reconstituant un institut scientifique moscovite, dans lequel plusieurs centaines de participants ont été conviés durant deux ans à jouer leur propre rôle (scientifiques, cuisiniers, balayeurs…) affublés d’uniformes de l’époque, Khrzhanovsky a extrait de cette véritable comédie humaine 700 heures de rushs et 13 longs métrages, diffusés dans le cadre d’une exposition immersive au Théâtre du Châtelet et de la Ville. S’adjoint à l’ensemble un casting cinq étoiles, composé entre autres de Marina Abramović et Gérard Depardieu. Vous avez dit complexe ?

Quand le protéiforme devient informe

Quiconque a suivi le lancement de « DAU » a eu vent du fiasco qu’il a essuyé : inauguration reportée, queues interminables et salles fermées, les plus optimistes ont alors parié sur une désorganisation transitoire. Une semaine plus tard, le constat est pourtant là : « DAU » est un gigantesque foutoir. Mais avant de participer à la révolution promise, il est nécessaire d’acquérir un précieux visa (35€ l’accès de 6 heures, 75€ les 24 heures et 150€ la neurasthénie infinie), puis de répondre à un questionnaire en ligne (« avez-vous manipulé des gens dans le but d’arriver à vos fins ? ») afin dit-on de construire un parcours personnalisé. Il n’en sera rien, les organisateurs m’informant que les simili-smartphones censés nous guider ne sont pas disponibles. Couplée à la fermeture du théâtre du Châtelet – depuis accessible – l’annonce a de quoi laisser pantois (l’exposition dure un peu moins de 4 semaines).

A l’intérieur, débarrassés des téléphones (les vrais), les visiteurs déambulent au milieu de « danseurs » en combinaison ou de mannequins en silicone, cherchant tant bien que mal à se repérer dans ce labyrinthe à l’atmosphère déroutante. Il faut dire que le plan elliptique au possible, combiné aux explications tout aussi confuses des organisateurs, n’aident en rien. « Une performance, suivie d’une projection auront lieu dans 5 minutes dans la salle centrale » m’apprend-on. « DAU » va enfin se livrer.

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La spectacularisation du néant

Face à l’écran géant, les oreillettes difficilement en place (les films sont en russe), un homme étrange s’installe contigu à moi. Sa tête s’incline alors dans ma direction : je comprends que la « performance » a débuté, plusieurs visiteurs étant également observés par ces angoissants personnages. Fugace, celle-ci n’ira pas plus loin, et à la surprise de départ se substitue très vite une interrogation quant à la finalité du projet global. Les lumières s’éteignent, le film débute.

Constitué de longs plans séquences, ce dernier – manifestement scénarisé – relate le tiraillement de Dau (du nom du véritable Prix Nobel de physique russe Lev Landau, interprété ici par le chef d’orchestre Teodor Currentzis) entre son âme sœur de jeunesse et sa femme. Un peu moins d’une heure de dialogues assommants – en témoigne les spectateurs clairsemés dans la salle – mais déjà l’envie de fomenter une contre-révolution. Le second film, visionné quelques heures plus tard, confirme malheureusement la vacuité du propos : une scène de coït non simulée, le kidnapping d’un porc et des réflexions indigentes (« les terroristes sont des gens qui réfléchissent ») se succèdent sans grand intérêt.

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© Philippe LOPEZ / AFP

Bienvenue chez DAU

Restent alors deux expériences pour sauver le naufrage que constitue « DAU ». A l’étage intermédiaire sont répartis des confessionnaux, dans lesquels attendent « des gens qui savent écouter » dixit l’organisateur. Ma rencontre avec un prêtre mormon donne l’étrange impression que rien ni personne ne doit égratigner ce projet pharaonique. « Qu’avez-vous pensé des films ? », « c’est une expérience qui vous change », « les médias n’ont critiqué que la forme » enchaîne mon interlocuteur, au demeurant affable.  La suite de la conversation, ponctuée d’anecdotes plus personnelles, permettra heureusement de suspendre un instant la fascination – réelle ou feinte – qu’exerce l’omnipotent « DAU ».

Au dernier étage, un appartement communautaire soviétique où vivent pendant la totalité de l’évènement des « vraies » personnes déconcerte : le visiteur passe ainsi du statut de cobaye à celui de voyeur, pouvant déambuler dans les pièces indépendamment des activités des habitants (l’une d’entre eux lisait imperturbablement un journal russe). Mais au bout de 6 heures passées dans ce vain manège aux faux airs graves, l’envie irrémédiable de m’en extirper a triomphé. C’est peut-être ça au fond « DAU » : le signal que rien n’est plus important que la liberté.

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© Radio France / Julien Baldacchino

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Étudiant en science politique, explore l'Art et joue le dimanche à ses heures perdues.
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