À la uneCinéma

On était pour vous… à la Masterclass de Claude Lelouch pour Chacun sa vie

Pour la sortie de Chacun sa vie le 15 mars Claude Lelouch s’est prêté à une session de questions réponses dans sa salle de projection du Club 13. Nous y étions.

Crédit: Fred Teper

Le 15 mars, le 46ème film de Claude Lelouch, Chacun sa vie, sortira sur les écrans. Le réalisateur a réuni pour l’occasion un casting exceptionnel de Jean Dujardin à Johnny Hallyday en passant par Elsa Zylberstein, Christophe Lambert, Gérard Darmon, Béatrice Dalle ou le célèbre avocat Eric Dupond-Moretti. Fidèle à son cinéma avec ce film choral qui recèle comme toujours de magnifiques scènes, Claude Lelouch, interrogé par le journaliste Bruce Toussaint, s’est expliqué devant la presse web sur ce qui avait motivé son envie de faire ce film. Et comme à son habitude, il s’est épanché sur son amour du cinéma dans un échange passionné et passionnant. Compte rendu.

Chacun sa vie, c’est un film très actuel ?

Claude Lelouch : J’ai fait 46 films et 46 fois j’ai essayé de partager, parfois avec le plus grand nombre, parfois avec le plus petit nombre, mes observations. Je ne suis rien d’autre qu’un reporter. J’aime la vie avec tous ses défauts et je dirais même que ses défauts sont encore plus photogéniques que ses qualités et cette vie, elle me fascine de plus en plus et à chaque fois que j’ai fait un film j’ai essayé de transmettre mes observations, mes émotions, ce que je ressentais et en ce moment j’ai le sentiment qu’on est en train de vivre dans un chaos colossal et comme je crois à l’incroyable fertilité du chaos, je me suis dit qu’il fallait que je fasse un film qui montre que ce chaos est positif. J’avais envie de faire un film positif sur une période qui semble à tout le monde négative. Toutes les périodes chaotiques de ma vie ont débouchées sur des grands moments. Le chaos a été l’inventeur de ma vie. Tout ce que j’ai réussi dans la vie je l’ai d’abord raté et je sais à quel point l’échec et la souffrance préparent le ciel bleu. Tout a un prix et la monnaie la plus importante c’est la souffrance, qu’elle soit physique ou psychologique. Et c’est de cette souffrance que le monde s’est composé, s’est créé. Alors je ne suis pas assez savant pour vous dire d’où l’on vient et où l’on va mais je suis assez malin pour utiliser le présent. J’aime le présent, je crois à l’extase du présent et le thème principal de ce film c’était de montrer qu’on a tous les qualités de nos défauts, tous, qu’on a tous des casseroles, surtout au pays de la grande bouffe, on a tous des jardins secrets et que celui qui est dans le box des accusés, ce n’est peut-être pas celui qui est le plus coupable. J’ai assisté un jour à une audience avec Dupond-Moretti et c’est pendant cette audience que j’ai eu l’idée de ce film en me disant que tous ces gens qui jugent cet homme qui est dans le box des accusés, est-ce qu’ils n’ont pas des choses à se reprocher.

Pourquoi le tournage a t-il eu lieu à Beaune ?

Claude Lelouch : On a créé à Beaune une petite cité du cinéma avec des studios, des salles de montage, des salles de projection, un auditorium… Le maire de Beaune, quand je lui ai parlé de mon projet était enthousiaste et il m’a dit si tu as envie un jour de faire cette cité viens la faire ici et c’est vrai que cette ville de Beaune est magique. Dans toutes les rues de Beaune on se croirait dans un studio, c’est un décor, c’est la France profonde, c’est la France moyenne. J’avais envie de faire un film sur la France profonde. La province ce n’est pas rien, tout le monde se connait sans se connaitre à l’inverse de Paris où on ne se connait pas. Et donc quand j’ai découvert cette ville de Beaune, je me suis dit que je devais y tourner Chacun sa vie et donc on a créé des ateliers de cinéma pour étudier les possibilités du cinéma d’aujourd’hui et surtout les possibilités du cinéma de demain puisque les nouvelles technologies cinématographiques sont impressionnantes, c’est tous les jours qu’il arrive des choses incroyables et que c’est vrai qu’aujourd’hui on peut tout filmer, absolument tout. Il y a 7 milliards de gens sur terre qui filment avec leurs portables, on est tous devenus des cinéastes donc j’ai dit on va créer un atelier de cinéma à Beaune pour que les plus doués d’entre nous puissent en faire leur métier et puis surtout comme j’ai la chance d’avoir parmi mes copains les plus grands metteurs en scène du monde, quand je leur ai parlé de ce projet ils m’ont dit on va tous venir à Beaune, venir faire des Masterclass, passer huit jours avec les élèves, être filmés par les élèves et tous ces films si tout va bien, passeront sur une chaine de télé pour que tout le monde puisse en profiter. Ce n’est pas simplement un laboratoire. On a réussi à faire ce film en quatre semaines grâce à ces ateliers puisque j’avais sous la main les caméras, toute la technologie, les projecteurs, tout était à portée de main et il fallait en plus avec tout ce casting compresser tout ça parce qu’ils ont tous beaucoup de talent mais aussi beaucoup de projets et ils n’auraient pas pu être libres pendant plus d’un certain temps donc ce film a été un film de compression qu’on a réussi à faire en un mois grâce à ces ateliers et c’est vrai qu’aujourd’hui ces ateliers je vais les proposer à tous les metteurs en scène qui voudraient venir faire un film d’une façon confortable, car c’est vrai qu’aujourd’hui tourner à Paris c’est très, très compliqué, la moindre autorisation, la moindre rue oblige à des détournements de circulation. Donc avec cette petite cité du cinéma qu’on a créé à Beaune, on a chaque année treize élèves, car on ne peut pas en prendre plus, parce qu’on ne peut pas mettre plus de treize personnes sur un film. Ces élèves ont été sélectionnés avec un examen de passage qui était de faire un film avec leur portable sur un sujet bien précis et cette année le sujet qui a été demandé c’est un film de six minutes sur le crime parfait et on a déjà reçu 150 films et les meilleurs feront partie de la prochaine promotion. Voilà aussi pourquoi ce film était passionnant à faire parce que les treize élèves ont assistés en même temps à toutes les étapes du film et il suffit d’assister à un tournage d’un film de A à Z pour apprendre ce métier, c’est la meilleure école du monde. Moi j’ai eu la chance en 1957 d’être stagiaire pendant trois semaines sur un film de Léo Joannon avec Pierre Fresnay et Annie Girardot et c’est pendant ces trois semaines que j’ai compris que c’était le métier que je voulais faire. J’ai essayé de refaire à Beaune la Cité du cinéma que j’aurais aimé rencontrer quand j’avais 17, 18 ans.

Pourquoi avoir choisi un Rubik’s Cube pour l’affiche du film ?

Claude Lelouch : Parce que la vie ressemble à ce jeu, selon que l’on est d’un côté ou de l’autre, d’une couleur ou de l’autre. J’ai pensé que cette affiche était une très jolie métaphore de ce qu’est le film. Selon que l’on va à droite ou à gauche on ne fait pas les mêmes choses et selon que l’on dit oui ou non on ne va pas au même endroit.

A lire aussi : Bande-annonce pour Chacun sa vie le nouveau film de Claude Lelouch

Chacun sa vie c’est un vrai mélange de genres ?

Claude Lelouch : La vie est un mélange de genres. Tous mes films sont un mélange des genres. Le matin vous avez du mal à vous réveiller, vous faites un film psychologique. Vous allez dans la rue, on vous vole votre portefeuille, c’est un polar. A midi, vous déjeunez, il y a une jolie femme à une table c’est une histoire d’amour… On change de genre toute la journée et c’est ce que j’ai essayé de faire avec ce film… On s’est dits que si on fait un film sur notre époque on est obligés de parler de la justice donc c’est pour ça que tous ces personnages se retrouvent dans cette cour d’assises où le hasard les a conduits et où leur intelligence ne les aurait pas emmenés.

Eric Dupond-Moretti qui est un des plus grands avocats pénalistes, il a dit oui tout de suite ?

Claude Lelouch : Oui il a dit oui tout de suite et deux secondes après il s’est dit j’ai peut-être fait la connerie de ma vie, on ne va plus me prendre au sérieux dans les prétoires et puis après quand il a découvert le rôle il a été très excité et enthousiaste. Il m’a aussi dit que lui quand il faisait une plaidoirie il n’avait pas le droit de faire deux prises, que si il se gourait le mec pouvait prendre 30 ans de taule. Alors que sur mon plateau, si la prise est ratée on coupe et on la refait.

Comment faites vous pour que des acteurs de premier plan acceptent sans cesse de tourner avec vous alors qu’ils ont parfois des petits rôles ?

Claude Lelouch : Je crois que c’est une question de confiance. Quand j’invite un comédien je ne l’invite pas pour rien, j’aime bien lui donner un joli rôle. Je crois que dans ce film ils ont tous des partitions agréables à défendre. Je ne suis pas un directeur d’acteurs, je suis un coach. Pour moi les acteurs sont des athlètes de très haut niveau et je suis là pour qu’ils courent un peu plus vite que d’habitude ou sauter un peu plus haut que d’habitude. Pour moi c’est du sport. Je ne demande jamais à un acteur qui fait le 100 mètres de courir le marathon. Je n’aime pas trop les rôles de composition, là tous les rôles qu’ils interprètent dans ce film sont des rôles qui sont proches de leurs personnalités, de ce qu’ils aiment faire, de ce qu’ils savent faire. Ils savent que quand ils vont venir sur mon plateau je vais leur permettre de battre un petit record, d’être encore plus à l’aise que d’habitude, j’aime les acteurs, je les connais et puis la direction d’acteurs, même si je n’aime pas le mot, repose sur l’amitié, sur des relations qui ont lieu en dehors du plateau. Quand on connait bien quelqu’un c’est à ce moment là qu’on peut lui demander certaines choses. Tous les acteurs qui sont dans ce film sont des gens avec qui j’ai envie de déjeuner, de diner, que j’ai envie d’avoir comme amis et donc il y a une confiance qui fait qu’ils savent très bien que si la scène n’est pas réussie elle sera coupée, ils prennent avec moi des risques qu’ils ne prendraient pas forcément ailleurs.

Crédit : Fred Teper

Quel acteur aimeriez vous faire tourner dans votre prochain film ?

Claude Lelouch : Vous savez j’ai surtout des regrets. J’aurais aimé tourner avec Gabin, De Funès ou Bourvil. J’ai raté quelques comédiens parce qu’on n’était pas de la même époque mais aujourd’hui j’ai encore envie de tourner avec Dujardin parce que je pense qu’on est vraiment faits l’un pour l’autre, je me suis beaucoup amusé avec Johnny Hallyday qui est à la fois un fabuleux chanteur mais aussi un fabuleux comédien et c’est ce que je voulais montrer dans ce film, à quel point il est au sommet de son art dans ces deux domaines qui sont tellement différents.

Est-ce que les dialogues sont écrits où est-ce qu’il y a une part d’improvisation chez vos acteurs ?

Claude Lelouch : Tout est très écrit mais au moment du tournage j’aime bien tout réécrire parce qu’on s’aperçoit à ce moment-là que tout ce qu’on a écrit est démodé. Je me sers de ce qui a été écrit mais je remets mon film en question au moment du tournage grâce aux acteurs qui sont aussi des auteurs quelque part. Au moment du tournage on est dans la spontanéité, alors que dans l’écriture on est dans la réflexion. J’aimerais rester le metteur en scène de la spontanéité. La spontanéité est à mi-chemin entre le mensonge et la vérité. On a perdu le côté animal, le côté instinctif, et c’est ce que j’aime dans certaines scènes de mes films c’est qu’à un moment donné  l’instinct est plus fort que la réflexion ou l’intelligence d’où mon rapport difficile avec la critique qui elle préfère le contraire.

Vous avez raconté un jour que vous donniez parfois à chacun des deux acteurs son texte sans donner le texte de l’autre ? Avez-vous utilisé souvent cette méthode ?

Claude Lelouch : Il n’y a pas de règle. C’est vrai que dans une scène il y a celui qui parle et celui qui écoute. Celui qui reçoit l’information est plus important que celui qui la donne souvent. Celui qui reçoit l’information est touché par l’information que vous lui donnez. Très souvent, les dialogues importants, forts, les acteurs les découvrent pendant le tournage. Je souffle à l’acteur qui dit la scène le texte, souvent avec une oreillette pour ne pas que l’autre entende, et quand il lui donne l’information, il ne l’a pas lu dans un scénario, comme dans la vie. L’étonnement est un grand moment d’émotion. C’est votre instinct qui est touché, c’est ce qu’il y a de plus précieux chez vous qui fait que d’un seul coup vous avez envie de rire ou de pleurer et si l’information est colossale, vous avez la chair de poule. Au cinéma c’est difficile de reconstituer ça donc j’ai essayé depuis Un homme et une femme pour des scènes très importantes de protéger ces surprises. Quand Anouk Aimée arrive sur le quai de la gare dans Un homme et une femme, elle ne savait pas que Trintignant allait venir la chercher. Je lui avais dit avant qu’elle allait se retrouver sur un quai de gare et que j’allais filmer une femme seule sur un quai de gare. Et là d’un seul coup je lui balance Trintignant. Et ce regard, cet étonnement a fait le tour du monde. Elle n’a pas fait semblant d’être étonnée. Au cinéma, on fait semblant tout le temps et quand de temps en temps je peux éviter aux acteurs de faire semblant alors là la magie a vraiment lieu.

Merci à Bruce Toussaint et aux participants dont les questions ont été reprises ici.

Un immense merci à Zvi David Fajol de Mensch Agency

 

 

 

About author

Journaliste pôle séries et La Loi des Séries, d'Amicalement Vôtre à Côte Ouest, de Hill Street Blues à Ray Donovan en passant par New york Unité Spéciale, Engrenages, Une famille formidable ou 24, la passion n'a pas d'âge! Liste non exhaustive, disponible sur demande!
Related posts
À la uneMédias

Koh-Lanta renouvelée pour deux saisons supplémentaires

À la uneSéries Tv

Plus belle la vie : pourquoi tout le monde va douter de Kilian ?

À la uneSéries Tv

Est-ce que Barbara Pravi va vraiment jouer dans une série pour France 2 ?

À la uneMédias

"C'est tout, enfin pour moi" : La Voix ne sera plus "La Voix" dans Secret Story

Retrouvez VL. sur les réseaux sociaux