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On débriefe pour vous… La Mesías, drame familial et fondamentalisme religieux

Dans la série espagnole La Mesías, un homme se confronte à son passé et tente de se libérer des traumatismes familiaux.

C’est quoi, La Mesías ? Enric Puig  (Roger Casamajor), qui travaille comme caméraman, est sous le choc lorsqu’il voit une vidéo de Stella Maris, un groupe de musique religieuse composé de six jeunes filles. Il s’agit en fait de ses demi-sœurs, qu’il n’a plus vues depuis qu’il a fui sa famille avec sa sœur Irene (Macarena Garcia), des années plus tôt. Tous les deux ont été traumatisés par leur enfance, marquées par les délires messianiques de leur mère Montserrat, tombée sous la coupe de Pep (Albert Plá), un fanatique et fondamentaliste religieux. Enric décide d’affronter son passé, tout d’abord en retrouvant Irene avec qui il n’a plus aucun contact puis en tentant de sauver leurs demi-sœurs, toujours sous la coupe de leurs parents.

Peut-être êtes-vous familier du travail de Javier Calvo et Javier Ambrossi alias Los Javis, couple de showrunners à qui l’on doit déjà les séries Paquita Salas et Veneno, consacrée à l’icône LGBTQ espagnole du même nom. Leur nouvel opus, La Mesías, est toutefois bien différent de ce qu’ils ont fait jusqu’à présent. C’est un drame baroque, complexe et dérangeant qui explore tout un univers religieux et familial sur plusieurs décennies. Acclamée par la critique et récompensée dans de nombreux festivals, La Mesías est désormais disponible sur Arte.tv.

Une histoire sur plusieurs décennies

Chronologiquement, tout commence dans les années 1970 lorsque la sulfureuse Montserrat fuit un mari agressif et violent. Libre et insouciante, elle passe alors d’un bar à l’autre et d’un homme à l’autre, négligeant  ses enfants qui sont livrés à eux-mêmes. Tout change  lorsqu’elle rencontre Pep, un fondamentalisme catholique qui parvient à l’endoctriner. Elle s’installe avec lui et emmène Enric et Irene dans une ferme isolée au milieu de nulle part, vers une existence recluse, austère et mystique. Sous influence, Montse est complètement transformée par cette expérience religieuse, au point de manifester des délires messianiques. Au fil des ans, le couple aura six filles qui formeront le groupe de musique religieuse Stella Maris, dont la vidéo devenue virale provoque un électrochoc chez Enric à l’âge adulte.  Renvoyé à ses traumatismes d’enfance et à un passé qu’il n’a jamais surmonté, il décide de reprendre contact avec Irène et de tenter de libérer leurs sœurs de l’influence de leurs parents.

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On suit l’histoire de Enric et Irène dans un va-et-vient entre le présent, leur enfance et leur adolescence, avec plusieurs acteurs (tous excellents) pour un même personnage en fonction des époques. Ainsi, Montserrat est successivement interprétée par une Ana Rujas exubérante, une Lola Dueñas habitée et enfin une Carmen Machi éteinte dans la dernière partie de la série ; même chose pour ses enfants, dont Enric (Bruno Nuñez, Biel Rossell et Roger Casamajor) et Irène (Carla Moral, Irene Balmes et Macarena Garcia). Seule exception, Albert Pla incarne le personnage de Pep tout au long de la série.

Une série aussi riche que excessive

La Mesías est une série complexe et excessive. Autant en termes de narration et de réalisation que dans les thèmes qu’elle traite et la manière dont elle le fait. Le mysticisme religieux, ses manifestations, les traumatismes de Enric et Irene, leurs réactions, le comportement de Montse et Pep, les vidéos kitsch des Stella Maris… Tout est extrême et appuyé, mais jamais manichéen et cohérent avec  le long parcours intense de Enric, fatigué de fuir un passé qui le rattrape et obligé d’y faire face.

Dans sa force émotionnelle, ses connotations, ses références culturelles, son humour insolite et inattendu, dans sa durée  (les épisodes s’étendent jusqu’à 75 minutes), La Mesías est une série chargée. Par moments, cela joue contre elle, avec des longueurs et des scènes redondantes ; en général, ce choix lui confère une épaisseur qui ne cesse d’enrichir le récit. Et en un sens, l’histoire est tellement édifiante que la forme entre en adéquation avec le fond : à des situations dramatiques intenses répond une mise en œuvre qui l’est également. Cette démesure narrative et tonale s’intègre donc parfaitement au caractère de la série elle-même. 

Une prison familiale, religieuse et psychologique

La Mesías offre plusieurs interprétations possibles. Chaque thème est abordé sous plusieurs angles, ils se répondent et s’alimentent les uns les autres. La religion (et par extension toutes les « philosophies » de vie, thérapies alternatives, voire expériences paranormales) apparaissent à la fois comme un outil de manipulation et d’oppression, une planche de salut pour qui a besoin de croire en quelque chose, un instrument de paix et de rédemption. Et dans la série, la répression religieuse n’est qu’un exemple pour aborder le sujet de l’emprise psychologique et de ses conséquences, avec des enfants qui grandissent dans une atmosphère malsaine et dans l’isolement, écrasés par des maltraitances physiques et psychologiques. Et justement, la famille recomposée de Enric et Irene est une prison dont ils ont pu s’échapper physiquement… mais pas psychologiquement.

C’est une histoire de personnes brisées, affectées par des blessures qui semblent presque impossibles à guérir. Mais c’est aussi une série sur la résilience. Si Enric est le fil conducteur du récit, tous les personnages gèrent différemment la même problématique. Irene, bien sûr, qui a enfoui son vécu et menti sur son passé, mais aussi Montse, cette mère tour à tour délurée, dominatrice puis éteinte. Jusqu’à un dénouement en ombre et lumière – entre un personnage qui s’affranchit de son histoire personnelle et un autre qui ne fait que retomber dans le même piège.

Plus que l’histoire d’un frère et d’une sœur détruits par une enfance marquée par l’isolement et l’extrémisme religieux, La Mesías est une série sur les traumatismes et les différents moyens dont chacun tente de les surmonter. Baroque et chargée, entre splendeur et kitsch, ombre et lumière, elle parvient à traduire la complexité de son sujet avec intelligence et originalité, dans un récit dur et inconfortable mais d’une grande force émotionnelle.

La Mesías
7 X 70′ environ.
Disponible sur Arte.tv

Pros

Cons

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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