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On débriefe pour vous … L’éternaute, SF et neige mortelle en Argentine

Adaptée d’une BD de science-fiction culte en Amérique Latine, L’éternaute refuse la facilité et offre un sous-texte actuel. 

C’est quoi, L’éternaute ? À Buenos Aires, Juan (Ricardo Darín) et son beau-frère Omar (Ariel Staltari) se rendent chez Alfredo (Cesar Troncoso) pour une partie de cartes entre amis. Soudain, l’électricité est coupée et les téléphones portables ne fonctionnent plus. Par la fenêtre, le petit groupe constate que la neige commence à tomber, ce qui est étrange en plein été ; surtout, des gens sont effondrés en pleine rue, tués par l’atmosphère toxique. Dans l’affolement général,  Juan se fabrique une combinaison de fortune et récupère un vieux masque à gaz dans la cave, pour partir à la recherche de sa fille adolescente Clara (Mora Fisz), dont il est sans nouvelle. Lui et ses amis vont tenter de survivre face au chaos, à la violence dans les rues et à une menace bien plus terrible que ce qu’ils imaginaient… 

Série de science-fiction post-apocalyptique, L’éternaute est tirée d’un roman graphique des années 1950, adapté à l’écran par le réalisateur Bruno Stagnaro. De cette œuvre-culte en Argentine, il a tiré une première saison de six épisodes disponible sur Netflix, qui rencontre un succès phénoménal en Amérique latine. 

Une série qui refuse la facilité

Le concept est classique, dans la veine de George Orwell, HG Wells ou Ray Bradbury. Domine l’idée d’une menace extérieure mortelle et inconnue à laquelle sont confrontés des personnages lambda. Leur lutte pour la survie se déroule au milieu du chaos général, entre civils affolés et militaires dépassés, et ils y croisent le meilleur et le pire de l’humanité entre solidarité et individualisme. En outre, il y a indéniablement la patte des années 1950, époque à laquelle a été imaginée l’histoire. Même si on ne le sait pas, on sent cette paranoïa croissante face à un ennemi invisible, typique de la science-fiction renvoyant à la guerre froide.

Dans son écriture et sa construction, L’éternaute peut dérouter en raison de son rythme. La série refuse de céder aux effets faciles. Elle n’enchaîne pas les scènes-chocs et les rebondissements, elle prend au contraire tout son temps pour poser la situation de départ et dérouler son récit, avec de longues scènes de dialogues et des moments où il ne se passe pas grand-chose en termes d’action. Certains critiques l’ont déploré, d’autres y ont vu une manière intelligente de faire monter la tension et d’instaurer une ambiance anxiogène. Question de point de vue, donc.

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Neige mortelle et apocalypse à Buenos Aires

Scènes-chocs et rebondissements

En revanche, quand L’éternaute sort l’artillerie lourde, elle ne fait pas les choses à moitié. Dans les décors des rues de Buenos Aires ravagée, les images sont impressionnantes. Ces cadavres ensevelis sous la neige en plein été sous un ciel gris plombé, ces véhicules accidentés abandonnés dans les rues, ces façades éventrées, ces défilés de chars militaires au milieu des hordes de réfugiés… Quant aux scènes d’action, elles sont spectaculaires, d’autant plus qu’elles surgissent le plus souvent sans qu’on s’y attende et s’accompagnent en général d’une grande révélation. 

Justement, nous avons fait le choix de ne pas trop en dévoiler. Netflix a révélé dans son synopsis officiel un élément-clé qui, dans la série, ne survient que dans le quatrième épisode. Nous n’en dirons rien, si ce n’est que ce rebondissement change radicalement la donne et nous fait basculer dans la SF pure et dure – et de manière extrêmement angoissante. Suivra une autre révélation tout aussi perturbante dans l’épisode suivant, puis une dernière dans l’ultime scène de la saison. 

Pour les amateurs du genre, L’Eternaute est une bonne série de science-fiction, avec une histoire certes classique mais pleine de mystères. Et comme souvent avec la bonne SF, il y a aussi une autre possibilité de lecture pour qui veut regarder au-delà. C’est particulièrement le cas ici. 

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Juan dans L’éternaute. Don’t look up…

Une œuvre politique et son contexte

Le contexte de l’œuvre originale est essentiel. Héctor Germán  Oesterheld en a écrit deux versions : la première en  1958, avec des références prudentes à la situation de l’Argentine à l’époque (la répression militaire suite au coup d’état contre Perón en 1955), la seconde dix ans plus tard, plus  politisée en raison de la radicalisation de l’auteur. Dans les années 1970, il écrira une suite à la résonance troublante : on y suit un groupe de survivants cachés dans des grottes pour échapper à la menace. Or,  l’auteur était lui-même traqué par la junte argentine et il a écrit cette suite dans la clandestinité, dictant par téléphone ses scripts au dessinateur réfugié en Espagne. Arrêté en 1977 et enfermé dans un centre de détention, Oesterheld a disparu. Purement et simplement. Comme tant d’autres Argentins.  

La série adapte prudemment la première version, et le propos politique est donc beaucoup moins flagrant – surtout quand on ne connaît pas la vie (et la mort) de Oesterheld.  Paradoxalement, cela donne à L’éternaute la possibilité de renvoyer directement à une phrase de Oesterheld lui-même : «J’ai toujours été fasciné par l’idée de Robinson Crusoé. (…)  La solitude de l’homme, entouré, non pas par la mer, mais par la mort. Mais l’homme n’est pas seul comme Robinson Crusoé, c’est un homme avec sa famille, ses amis.  Le véritable héros est un héros collectif, un groupe humain. Le seul héros valable est le héros  en groupe, jamais le héros individuel »

Dans une époque individualiste et où les liens sociaux sont fragilisés, la série résonne avec un propos sociétal qui correspond finalement à une intention de l’auteur, au-delà de la lecture politique marquée par son époque. Comme un retour aux sources, qui donne à L’éternaute une pertinence encore plus actuelle et d’autant plus prégnante.    

Bonne série de science-fiction où l’histoire somme toute classique est servie par d’excellents effets spéciaux, L’éternaute séduira les amateurs du genre pour peu qu’ils acceptent une certaine lenteur, et leur patience sera récompensée par des scènes d’action spectaculaires. Un rythme inégal, donc, mais cette retenue est clairement assumée par la série, qui s’enrichit en outre d’un sous-texte pertinent, dans le contexte d’une société qui s’effondre sous le poids de l’individualisme face au  collectif et à la solidarité.

L’éternaute
6 X 50′ environ.
Disponible sur Netflix.

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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