« La manière forte » marque le retour de Lionel Olenga à la tête d’une série dont on découvre ici le pilote porté par Grégoire Bonnet et Clarisse Lhoni-Botte.
A la retraite depuis un an, Thierry Chevalier, ex-policier aux méthodes très controversées, reprend du service pour enquêter sur une série de meurtres qui porte la signature de Gabriel Laporte, un tueur, toujours en prison, qu’il a lui-même arrêté en extorquant ses aveux… par la manière forte. Et si le vrai coupable était toujours en liberté ? Chevalier est placé sous les ordres de la jeune capitaine Kabongo, aussi progressiste qu’il est conservateur. C’est bien simple : elle est tout ce qu’il déteste (féministe, écolo, vegan, apôtre du wokisme), il est tout ce qu’elle combat (misogyne, réac, viandard revendiqué, adepte des blagues douteuses…). Ensemble, ils doivent résoudre ce mystère… Enfin, s’ils parviennent à se supporter…
L’essentiel
« La manière forte » c’est l’équipe gagnante derrière Chérif ou Le code de retour avec cette nouvelle série, à cheval entre tradition et volonté de renouvellement. Lionel Olenga, brillant créateur de série populaire écrit seul le scénario de ce pilote, que Vincent Primault (créateur de la série In America) met en scène sur une musique de Maxime Desprez et
Michael Tordjman. Pour porter cette série, si la formule du duo que tout oppose a vraiment la vie dure sur France Télévisions, il est ici remarquablement incarné par Grégoire Bonnet et Clarisse Lhoni-Botte, mais aussi Isabel Otero ou jeanne Bournaud.
Avec ce nouveau pilote, Lionel Olenga ne propose pas seulement une nouvelle série policière, il questionne aussi la manière dont on peut faire des séries aujourd’hui : la manière douce qui ne perturbe personne et repose sur un postulat préétabli et rassurant ? Ou la manière forte qui se permet de mettre en avant des personnages différents, qui questionnent aussi à leur façon notre société ? De cette réponse dépendra l’avenir de nos séries y compris policières dans les années à venir …

« Ca ne peut pas être si terrible que ça ? … Non non c’est pire ! »
Un petit souvenir de Kimberly Shaw dans Melrose Place avec cette phrase bien sentie pour parfaitement décrire l’ambiance dans un commissariat avec Chevalier (aujourd’hui retiré des affaires). Le héros de La manière forte frappe d’abord et parle après pour reprendre la formule consacrée. On a dit que Lionel Olenga questionnait les limites de la fiction avec ce pilote, il le prouve dès l’entrée de Chevalier. Avec pour seul vêtement un tablier avec lequel il fait le barbecue, il ceinture Kabongo qu’il croit être entrée chez lui par effraction (avec au passage un clin d’oeil au premier épisode de Chérif) avant de lui balancer « Une crépue en plus » .. On est en prime sur France 2. Eh oui le héros de cette nouvelle série ne s’embarrasse pas avec les convenances : il est ouvertement raciste, misogyne, pense qu’on obtient des aveux en cognant les suspects, ce n’est plus un flic à l’ancienne, c’est un flic tout droit sorti d’un cauchemar.
On dit souvent que le polar fonctionne en télé car c’est rassurant de voir un flic coffrer le méchant à la fin, mais y-a-t-il quelque chose de rassurant à voir Chevalier mener l’enquête ? La réponse est oui car sous couvert d’horreurs qui sont « balancées » dans la série (comme quand il demande à sa partenaire d’où elle est – sous entendue avec cette couleur de peau), Chevalier est un personnage qui est parfaitement écrit, équilibré par Kabongo qui le reprend juste comme il faut sans trop en faire, et surtout remarquablement incarné par Grégoire Bonnet au sommet de son art, perfecto et moto pour emblèmes. A ses côtés, Clarisse Lhoni-Botte est la recrue qu’il fallait à la série pour tempérer non seulement le personnage, mais en quelque sorte aussi l’écriture. Car dans un monde télévisuel parfait, Chevalier sévirait seul, sans partenaire pour « faire oublier » ce qu’il est. Comme ce n’est pas le cas, autant soigner celle qui l’accompagne et qui finit presque par comprendre à la fin du pilote que « good cop bad cop » ça a du bon.

« J’me barre sinon je vais dire des choses que je regrette profondément »
La manière forte a ses défauts. Elle est formellement trop « propre » avec une entrée en matière trop classique, trop lumineuse aussi. Comme si il n’était pas question de bouger trop de lignes en même temps. L’enquête est donc assez réussie même si elle n’a pas d’énormes surprises. Et tout ça n’est somme toute pas très grave. La réussite de ce pilote est ailleurs. Elle est dans ses personnages et notamment Chevalier (croisement entre l’inspecteur Harry – Sipowicz de NYPD Blue et un peu de Bud Spencer pour le côté plus bourrin comique assumé) qui convient si bien à Grégoire Bonnet ; elle est aussi dans ses dialogues tellement bien sentis et qui nous rappelle que Lionel Olenga est aussi un bon dialoguiste qui rend ici un bel hommage à ses aînés ; elle est aussi dans la caractérisation de Chevalier, aussi lourd comme flic à l’ancienne que touché quand on touche aux siens (et à ce petit jeu, Bonnet fait passer énormément d’émotion par son regard … quand personne ne le regarde).
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Au delà des petites phrases, pour comprendre Chevalier il faut se pencher sur la dernière partie de la série, l’ultime face à face. Chevalier ne fait pas de sommations, il tire puis attrape le coupable. Chevalier ne fait dans la demi-mesure : il pointe son flingue et joue à la roulette russe, sans artifice et doit de ne pas déraper qu’à de la chance. Chevalier est puissant, donne tout quand il veut sauver une personne à qui il tient (Grégoire Bonnet est dans cette scène dans la forêt rappelant la fin de Seven absolument remarquable) … puis désamorce l’ensemble par une ultime punchline « Faut vraiment que je reprenne mes séances de tir« . Chevalier est et doit rester ce qu’il est car l’écriture de la série fait un bien fou à nos séries, renouant avec les dialogues qui ont été trop souvent absents et qui sont pourtant une marque de fabrique de notre cinéma.
Est-ce que le public sera sensible à un personnage si border ? Sans doute le choix de Grégoire Bonnet, si populaire grâce notamment à Scènes de ménage, de tout faire passer. Il faut juste que l’on déclassissise la forme pour que La manière forte renverse vraiment les codes de ce nouveau shérif en ville !