Le Weinstein de la mode. Voilà comment est aujourd’hui surnommé Terry Richardson. Photographe de renom, il a travaillé pour les plus grands magazines (Vogue, Vanity Fair, GQ…) et photographié nombre de modèles et de célébrités.
Et comme Weinstein, tout le monde dans l’industrie savait ou avait eu vent de son comportement…
Le cas Richardson
Une pétition circulait pourtant déjà contre lui en 2013. Mise en ligne sur le site change.org elle a pour titre : « Big brands: Stop using alleged sex offender & pornographic Terry Richardson as your photographer ». Signée des milliers de fois, elle n’a pourtant eu aucun effet.
Pour toute défense, l’accusé invoque son style : « Des photos de mode qui mélangent l’art et la photographie érotique ». Car Terry Richardson est le Roi du porno chic. Ses photos vont de l’érotisme subtil aux poses carrément provocantes, fleuretant dans certains cas avec la pornographie.
Avec le #metoo et la libération de la parole qu’il a permis, de nouveaux témoignages sont venus s’ajouter. Et cette fois, des sanctions ont été prises. Terry Richardson a été blacklisté par le groupe Condé Nast (propriétaire de Vogue, Glamour, GQ…) et plusieurs marques ont annulé les campagnes qu’elles avaient en cours avec lui.
« Tout shooting qui aurait été planifié ou déjà effectué par Terry Richardson, mais pas encore publié [soit] supprimé ou remplacé par d’autres contenus »
Mais le mal est fait et Terry Richardson n’est sans doute que le sommet de l’iceberg car la mode est un univers particulier, où les photographes ont un ascendant énorme sur les mannequins, grâce à leur influence dans le milieu.
Un domaine propice aux abus
Dans un métier où le corps est un outil de travail, où il s’expose pour le bien d’une photo, la limite entre demande artistique et proposition inappropriée et/ou dégradante est difficile à établir. Ajouter à cela la vulnérabilité des modèles, souvent mineures, et vous obtenez des situations au rapport de force totalement inégal. Voilà comment le photographe a pu sévir en toute impunité pendant des années.
Exemple d’un témoignage Instagram d’une jeune fille âgée de 15 ans.
Autre problème : le manque de crédibilité dont souffrent certaines victimes, justement à cause de la nature parfois jugée ‘’provocante’’ des photos.
C’est ce que dénonce une autre mannequin dans un témoignage : « Si on dit qu’on s’est mise toute nue pour une séance photo, même si c’est professionnel, les gens se disent que ce qui nous est arrivé est de notre faute, qu’on l’a bien cherché ».
Voilà pourquoi Cameron Russell, mannequin, a décidé de lancer le #MyJobShouldNotIncludeAbuse et de diffuser sur son compte Instagram les témoignages de victimes qui le souhaitent.
Lancez le 12 octobre dernier, elle a ainsi publié plus de 70 histoires.
Beaucoup de témoignages sont ceux de mannequins débutants, sans expérience et désespérés de percer. Des cibles faciles, manipulables, sans réelle structure vers laquelle se tourner, puisqu’il n’existe pas, par exemple, de syndicat.
Que faire ?
LVMH et Kering ont récemment annoncé la création d’une « charte sur les relations de travail et le bien-être des mannequins.» Une des mesures prévue est la suivante : « Les mannequins doivent avoir la possibilité de formuler directement une réclamation en cas de litige avec une agence de mannequins, un directeur de casting ou une marque (par exemple via une personne référente désignée ou la mise en place d’une hotline téléphonique) »
Mais cette charte ne concerne que les marques des deux groupes. Et donc ni les agences, ni les magazines, ni les directeurs de castings ni sont soumises.
Or, comme l’explique Carolyn Kramer ancienne directrice de casting à Self Magazine, le problème est global: « On en revient toujours à l’argent. Si une agence voit du potentiel chez une fille de 15 ans, alors ce qui peut se passer dans les coulisses ne leur importe pas, tant que la fille peut avoir une campagne. Je me donne un C- pour ce que j’ai pu accomplir pour protéger mes filles. Nous avons tous vendu nos âmes au diable pour que le mannequin devienne célèbre.»
Le designer Prabal Gurung confirme : tout le monde savait et personne n’a rien fait...
Il y a peu à parier que des posts Instagram et des pétitions suffiront à mettre fin à une omerta qui dure depuis des années. Il ne reste plus qu’à espérer que les publicitaires, magazines, stylistes, directeurs d’agences arrêtent de faire appel à des personnes dont ils connaissent les pratiques. L’extravagance et le talent n’excusent pas tout. Même dans la mode.