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En Ukraine, Babi Yar ou les prémices de la solution finale

L’Ukraine voit se refermer cette semaine une dizaine de jours de commémorations des 75 ans du massacre de Babi Yar. Concerts, expositions, conférences, cérémonies, le pays a mis les petits plats dans les grands pour accueillir les centaines de personnes venues saluer la mémoire des dizaines de milliers de morts de ce génocide.

Les 29 et 30 septembre 1941, 33.700 juifs ukrainiens étaient appelés à se rendre à proximité du ravin de Babi Yar, à proximité du centre de Kiev, sans savoir ce qui les attendaient. Sur place, dépouillés de leurs effets personnels, alignés, hommes et femmes de tous âges se faisaient alors abattre en masse avant d’être poussés et enterrés au pied du ravin. Il s’agit du plus terrible épisode de cette période pré camps de concentration appelée « Shoah par balles », annonciatrice de la solution finale. Toute la semaine, les survivants de se massacre n’ont cessé de raconter leurs terribles histoires dans les médias. Les survivants et témoins de ce massacre ont été particulièrement sollicités durant ces derniers jours, à l’image de Galyna Yakivna Kozyra, survivante de ce génocide dont le témoignage a été mis en avant par les organisateurs des commémorations : « Ma mère parlait plusieurs langages dont l’allemand. Elle m’a pris, moi et mon frère et nous a emmené voir un officier allemand. Elle lui a demandé, « que va-t-il se passer ensuite? ». L’officier lui a répondu, « il n’y aura pas de suite ». Il y avait énormément de fumée, quelle odeur horrible. Qu’est-ce qui brûlait? C’était des corps » raconte-t-elle. Galyna parviendra à échapper au massacre, pas sa mère.

Babi Yar © Paul Gogo

Cérémonie de commémoration des massacres de Babi Yar © Paul Gogo

Un mémorial de la Shoah annoncé

Il faut savoir qu’il existe pour trouver le ravin Babi Yar (ravin des bonnes femmes en russe) de 2016. Le lieu est devenu un parc destiné à la promenade des habitants du quartier, seule une petite stèle rappelle l’importance historique du lieu. Des allées et autres aménagements ont bien été réalisés ces derniers temps, mais rien qui ne soit vraiment à la hauteur du drame alors qu’il existe une centaine de mémoriaux dédiés à Babi Yar à travers le monde. Pour remédier à cela, un groupe d’oligarques, d’hommes politiques et de célébrité ukrainiens et russes ont profité de ces commémorations pour annoncer le lancement d’un projet de mémorial de l’Holocauste sur le site. Un projet maintes fois annoncé, mais jamais financé, qui prend subitement son envol.

C’est le maire de Kiev, Vitaly Klitshko qui est à la tête de ce projet. Devant les plus gros porte-monnaie du pays, il a annoncé l’inauguration de l’ouvrage dans les cinq ans. Un projet qui se veut gigantesque, à l’image de ceux d’Auschwitz ou Buchenwald, c’est en tous cas ce que souhaitent les donateurs. Il existe une centaine de mémoriaux à travers le monde en hommage à Babi Yar, mais pas en Ukraine. Pourtant, l’épisode ne peut être considéré comme mineur et le projet a un sens philosophique, il touche à l’identité du pays: « Avec Babi Yar, ils ont compris qu’ils pouvaient tuer des gens en masse. Fin septembre, ils ont trouvé comment procéder : en organisant des fusillades massives réalisées par les Allemands, à l’aide de la population locale. C’est ainsi qu’ils ont assassiné 95% des Juifs sur les territoires occupés de l’Allemagne nazie. Auschwitz et ses chambres à gaz sont arrivés plus tard mais ce n’était qu’un changement de technique. C’est bien Babi Yar qui a montré au départ que Holocauste était possible » n’a cessé de répéter cette semaine, l’historien américain Timothy Snyder, spécialiste de la question, de passage à Kiev. « Ces commémorations sont importantes pour l’Ukraine actuelle. La commémoration de Babi Yar prouve que la société civile ukrainienne fonctionne. La critique et l’analyse profonde de l’histoire sont un bien meilleur moyen de créer une nation que l’invention de mythes » estime l’historien.

© Paul Gogo Babi Yar

Cérémonie de commémoration des massacres de Babi Yar © Nikita Derevyanchenko

Souvenir et contre-propagande

Aussi important et louable soit le projet, sa mise en œuvre entre en jeu dans un timing loin d’être anodin. Celui du conflit ukrainien. Depuis deux ans, la presse russe tente de répandre l’idée d’une Ukraine victime d’un putsch dont les dirigeants seraient des nazis. Propagandes et contre-propagande s’affrontent depuis en permanence sur le sujet car ce mythe y est pour beaucoup dans le soulèvement armé du Donbass. Si Babi Yar est commémoré tous les ans, c’est bien la première fois qu’il prend des formes de « show hollywoodien », pas anodin dans le contexte d’une Ukraine en guerre. Le président Poroshenko, n’a d’ailleurs, comme à a son habitude, pas manqué de faire une allusion au conflit lors de son discours d’annonce du projet : « La communauté juive se tient depuis le début aux côtés des autres citoyens ukrainiens pour défendre notre patrie. Nous, ukrainiens, apprécions particulièrement et nous n’oublierons jamais ce fait ». Devoir de mémoire national et/ou argument de contre-propagande, c’est bel et bien l’investissement réel des instigateurs de ce projet souvent repoussé qui prouvera la réelle valeur de cette annonce.

Paul Gogo.

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