À Lille, Rennes, Bordeaux, Lyon, Paris et partout en France, les tribunaux continuent de rendre justice malgré les vacances, malgré le Covid. Chronique d’un été passé dans les salles d’audiences des comparutions immédiates.
Pas de vacances pour les magistrats des tribunaux correctionnels et judiciaires français. À l’inverse des Cours d’Assises, la justice des infractions et des délits ne prend aucun congé estival. Chaque jour, des hommes et des femmes accompagnés de leurs conseils comparaissent à la barre. Violences sur conjointe, usage ou vente de stupéfiants, atteintes sexuelles, vols aggravés, menaces de mort, outrages ou encore délits de fuite, tel est le quotidien des juges et procureurs. De Lille à Bordeaux, en passant par Rennes, Lyon et Paris, VL a pu observer l’institution judiciaire en son sein.
Une justice qui ne vacille pas
« Ça fonctionne, ça fonctionne moins vite mais ça fonctionne » se satisfait l’un des Présidents du Tribunal de Paris. Alors que les détenus ne sont pas encore dans leur box, le juge prend exceptionnellement le temps de répondre aux questions des visiteurs du jour. « Il y’a moins d’audiences durant l’été, les magistrats prennent aussi des vacances vous savez. La justice est peut-être un peu moins rapide mais c’est un service public, il doit y avoir une continuité », insiste t-il. Malgré le manque de personnels et de moyens, les rouages judiciaires tournent à plein régime et ne dysfonctionnent qu’à de très rares occasions.
Sur la centaine de procès que nous avons pu suivre, nous avons été témoin d’une seule faille. Lors d’une première audience à Paris, un homme malentendant et muet n’a pas pu se défendre correctement. Et pour cause, la justice ne lui a pas fourni l’aide d’un interprète. Pourtant, la Convention Européenne des Droits de l’Homme garantit le droit pour toute personne arrêtée d’être « informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle ». Cette déclaration précise également le droit pour un accusé de « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ». Ce jour là, le procès du jeune Hicham âgé de 17 ans est renvoyé à une date ultérieure. Mais en attendant, son placement en détention est maintenu.
À l’audience suivante, son avocate vent debout contre cette « atteinte à la dignité humaine », dévoile le fruit de ses recherches. Selon elle, les deux interprètes en langue des signes assermentées par le Tribunal de Paris n’ont jamais été avisées de ce procès. Pire, ces professionnelles étaient disponibles le jour de la première audience. Le sort d’Hicham, accusé d’un vol de téléphone sera scellé lors d’une troisième audience. Un mois après le début de son incarcération. Des couacs comme celui-ci peuvent survenir, toutefois la grande majorité des comparutions sont traitées avec rigueur, impartialité et professionnalisme.
Les protagonistes
Entrer dans un tribunal, c’est pénétrer dans un immense théâtre. Ici, la mise en scène, les acteurs, les costumes et le décor participent à la singularité de chaque acte, de chaque dossier. En coulisse les uns répètent leurs tirades acérées, tandis que les autres s’affairent à ce que tout soit en ordre, bien ficelé. À la Comédie Française, les comédiens entrent aux trois coups de bâtons. Au tribunal les redresseurs de torts attendent que la sonnette teinte pour faire leur apparition. Ici, les pièces ne sont que des drames et répondent au nom de « CI » pour comparutions immédiates. Cette procédure permet de juger rapidement une personne interpellée. En période de vacations judiciaires seules les affaires les plus urgentes sont traitées. « Les juridictions ne vont traiter que les comparutions immédiates, là où on a des détenus qui doivent être jugés rapidement », confirme Emmanuelle Masson, porte-parole du ministère de la Justice jointe par téléphone.
Les principaux acteurs de ces pièces demeurent être les accusés et les victimes quand il y en a. Le profil social des prévenus est uniforme. La misère socio-économique est un point commun quasi-universel pour ceux qui comparaissent dans le box fermé des accusés. Sur la centaine de prévenus rencontrés, deux étaient des femmes. En effet, l’immense majorité des procès concerne des faits attribués à des hommes, souvent jeunes, souvent multi-récidivistes. Les victimes quant à elles sont peu présentes aux audiences. Rares sont celles qui se déplacent. Rares sont celles qui parviennent à se libérer en pleine semaine. La crainte de revoir leur agresseur peut également expliquer la raison de leur absence.
Le Covid et la justice
Bon gré mal gré, les institutions françaises se sont adaptées à l’épreuve de la crise sanitaire. La justice n’a pas échappé aux turpitudes organisationnelles. Du côté de la Chancellerie on admet que le premier confinement « a été difficile dans les juridictions. Seules les procédures d’urgence étaient gérées, cela a engendré un certain retard », indique la porte-parole du ministère. Mais Emmanuelle Masson insiste « Les dossiers de violences conjugales étaient priorisés ». L’adaptation essentielle de la justice lui a permis de s’offrir un coup de jeune. Désormais, le télétravail est davantage possible pour les professionnels. Exemple concret de l’ouverture à l’ère numérique : le logiciel WinCI-TJ permettant de suivre les procédures civiles est désormais accessible en dehors des murs des tribunaux. Les greffiers et magistrats peuvent ainsi travailler depuis chez eux grâce à des ordinateurs sécurisés.
Que la justice continue à passer tout en protégeant la santé et les droits de ses usagers est l’instable équation à laquelle le ministère d’Eric Dupond-Moretti doit répondre. Contrairement aux hôpitaux publics, « la loi ne prévoit pas l’application du pass sanitaire dans les tribunaux » nous indique Emmanuelle Masson. La Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose le caractère public des débats judiciaires. La décision de justice doit se dérouler dans les mêmes conditions. Pour garantir ces droits, des jauges limitent l’accès aux salles d’audience. Ainsi, l’auditeur libre demeure le bienvenu dans la plupart des tribunaux comme à Paris, Bordeaux ou Lille. Mais à Rennes ou Lyon, seules les personnes convoquées assistent aux audiences. Toutes les autres sont refoulées. « Cette question a été au coeur de grands débats dans les juridictions. Quoi qu’il en soit, la presse est admise dans les salles d’audience afin de faire publicité des décisions rendues », conclut la porte-parole du ministère de la Justice.
Des audiences éclectiques
Les restrictions sanitaires loin d’être incompatibles avec la bonne exécution de la justice amènent malgré tout un lot d’inconvénients. La palme de l’inconfort revient au port du masque. Pas un procureur, pas un avocat ne s’accommode de cette contrainte. Physiquement très éloignés des membres du Tribunal, les accusés doivent répéter plusieurs fois leurs déclarations pour être parfaitement audibles. Le temps du procès, une heure et demi en moyenne, le parcours, le déroulé des faits et les moindres traits de la personnalité de l’accusé sont passés au crible.
Ainsi, chaque audience est l’occasion de découvrir des histoires de vie radicalement différentes les unes des autres. Si pas un profil n’est semblable à un autre, les faits reprochés sont bien souvent identiques. Violences sur conjointe, consommation ou vente de stupéfiants ou vol avec violences sont les délits les plus récurrents. À Paris notamment, de nombreux dossiers ont un lien avec le trafic de crack. Assister à des procès de comparutions immédiates c’est découvrir une facette de la société dans laquelle nous vivons. C’est aussi prendre le pouls des intérêts actuels des ministères en matière pénale. C’est enfin et surtout l’occasion de se confronter au moins une fois à la justice en étant neutre et de s’approprier son fonctionnement.
Des oeuvres et un bilan
Si l’on devait vous convaincre d’une autre manière de vous rendre dans un Palais de justice ou dans un tribunal, alors on vous parlerait simplement du caractère architectural de ces lieux. Certains de ces bâtiments sont de véritables objets d’art, des prouesses techniques. À l’instar du Palais de justice de Paris ou encore du Tribunal judiciaire de Bordeaux. Le premier est moderne, lumineux, fonctionnel. Le second est la réunion de l’ancien et du nouveau. Les « ruches » imposantes des salles du nouveau Tribunal jouxtent le charme de celles de la Cour d’Assises.
Passer un mois d’aout à voyager d’un tribunal à un autre n’a sur le papier, rien de séduisant. Pourtant, ils sont des centaines chaque jour à être jugés et placés en détention. Leurs histoires et celles des victimes méritent d’être racontées. Enfin, décrire le déroulement d’un procès permet de mieux comprendre comment la justice est rendue en France. N’hésitez pas à vous rendre, le temps d’un après-midi dans une salle d’audience. Les bénéfices de cette expérience vous apporteront beaucoup.
Toute la série « Un été au tribunal »
- Lyon : Il se masturbe devant une fillette de 5 ans
- Rennes : Un héros secoure deux jeunes femmes en pleine nuit
- Paris : 10 mois ferme pour avoir provoqué un accident sur le périphérique parisien
- Bordeaux : 6 mois ferme pour menace de mort sur sa femme
- Lille : 4 mois ferme pour un frotteur en récidive dans le métro
- Paris : 18 mois ferme pour avoir lacéré sa victime avec une lame de cutter
- Paris : 8 mois ferme pour avoir frappé en récidive sa compagne
- Paris : Un procès et une belle histoire
- Paris : « J’ai 17 ans, je ne veux pas aller en prison »