Sombre et intense, De grâce nous entraîne sur le port du Havre, dans le milieu des dockers et au sein d’une famille qui se déchire.
C’est quoi, De grâce ? Figure respectée d’un syndicat des dockers, Pierre Leprieur (Olivier Gourmet) est né et a toujours vécu au Havre. Le soir où il fête ses 60 ans, ses deux fils Jean (Pierre Lottin) et Simon (Panayotis Pascot) sont arrêtés par la police et incarcérés, soupçonnés d’être impliqués dans un trafic de cocaïne. Pierre demande à sa fille Emma (Margot Bancilhon), avocate pénaliste, de défendre ses frères. Mais lui qui s’est toujours battu contre la corruption et les trafics sur le port est persuadé que c’est lui qu’on vise à travers ses fils. Sa quête pour découvrir la vérité va précipiter l’effondrement de sa famille sous le poids des secrets et de la malédiction qui semble planer sur lui et sur Le Havre.
Présentée en compétition lors du festival Séries Mania l’année dernière, la série De Grâce avait suscité l’enthousiasme ; elle est disponible sur Arte.tv jusqu’au 15 Mars, en marge de la diffusion le 8 et 15 février. Coproduction franco-belge, cette création originale de Arte est l’œuvre de Maxime Crupaux et de l’écrivain Baptiste Fillon (qui ont cosigné le scénario avec Sylvie Chanteux et Malysone Bovorasmy), tandis que la réalisation a été confiée à Vincent Maël Cardona (César du meilleur premier film pour Les Magnétiques en 2022). Ensemble, et avec un formidable casting, ils construisent une histoire puissante entre polar, tragédie familiale et drame social.
De Grâce : une tragédie familiale sur fond de polar et de drame social – ou l’inverse
De Grâce est une tragédie familiale aux airs de polars, parfois l’inverse. Au cœur du récit, Pierre Leprieur, narrateur en voix off de cette histoire et figure respectée du port du Havre où il a travaillé toute sa vie comme docker et où il est de tous les combats en tant que leader d’un puissant syndicat. Le soir de ses 60 ans, alors qu’il fête son anniversaire avec ses proches, il apprend que son fils cadet Simon vient d’être arrêté au volant d’une voiture prêtée par son aîné, Jean. On a retrouvé un kilo de cocaïne dans le châssis, Simon et Jean sont placés en garde à vue. Pierre, qui s’est engagé contre les trafics et la corruption qui gangrènent le port, est persuadé que c’est lui qu’on tente d’atteindre à travers sa famille. En décidant d’enquêter de son côté, il met le doigt dans un engrenage tragique et meurtrier qui va mener sa famille au bord du gouffre.
Enquête, règlements de compte, corruption, rebondissements judiciaires font déjà de cette histoire un polar solide, avec pour toile de fond le trafic de drogue dans le port du Havre qui évoque par exemple la deuxième saison de The Wire. C’est aussi un récit qui s’inscrit dans une réalité sociale et économique forte, reflétant les problématiques des trafics, de l’économie souterraine, des luttes syndicales ou de la corruption. Quelque part entre Zola et Ken Loach.
Mais progressivement se dessine autre chose, de plus tragique et personnel. Et quitte à parler de tragédie, c’est presque une tragédie grecque où des secrets, des tensions familiales, un passé enfoui ressurgissent peu à peu, entraînant tout le clan Leprieur dans une spirale qui a des airs de fatalité ou de malédiction (comme le dit Pierre à plusieurs reprises). Voire un récit presque biblique aux airs de chemin de croix, où les péchés du père retombent sur les fils. Passé et présent s’entremêlent pour nourrir une intrigue tentaculaire, qui nous emmène dans des directions insoupçonnées.
Une réalisation inspirée au service d’un décor pesant – ou l’inverse
Dense et opaque, parfois même anxiogène, De Grâce peut sembler aride. Le ton est appuyé, les dialogues et surtout les interventions de Pierre en voix off sont dignes de répliques de théâtre parfois jusqu’à la grandiloquence. En cohérence avec le symbolisme sur lequel joue beaucoup la série, où l’on sent qu’aucun détail n’a été laissé au hasard.
Le décor n’est pas étranger à ce sentiment de pesanteur et de fatalité. La réalisation est extrêmement soignée, c’est tout un univers qui se crée en quelques scènes ou presque en quelques tableaux : celui de la ville du Havre (bien qu’une partie de la série ait été tournée en Belgique en raison de l’hostilité des dockers du port français), personnage à part entière où la noirceur, l’architecture industrielle et les docks donnent à l’ensemble un fond visuel emblématique. Vincent Maël Cardona adopte une mise en scène hyper stylisée pour que l’environnement renforce le récit et vice versa.
Il faut enfin saluer l’ensemble des acteurs, tous convaincants. De Margot Bancilhon (prix de la Meilleure Actrice à Séries Mania) à l’humoriste Panayotis Pascot dans un registre inattendu en passant par Pierre Lottin, Alyzée Costes et Xavier Beauvois, tous incarnent parfaitement ces personnages précipités dans le drame le plus absolu. Mais c’est Olivier Gourmet qui domine la distribution dans le rôle de Pierre Leprieur : sa performance est saisissante, à tel point que son ombre plane en permanence sur le récit, même dans les scènes dont il est physiquement absent. Un élément fondamental, qui prend tout son sens dès la fin – pour le moins inattendue – du premier épisode.
En racontant à la fois un drame familial et un polar sombre tout en se prêtant au passage au commentaire social sur l’économie parallèle, la criminalité et le syndicalisme, De grâce a parfois tendance à s’éparpiller – mais elle parvient toujours à renouer les fils. Portée par d’excellents acteurs, une réalisation soignée et une histoire complexe, De Grâce est une série difficile d’accès : symbolique et hyperbolique, d’une noirceur poisseuse – mais avec un parti pris fort, un récit qui parvient à surprendre en sortant des sentiers battus et une vraie identité. Une série exigeante et ambitieuse.
De grâce
6 épisodes de 52′ environ.
Disponible sur Arte.tv le 31 Janvier
Diffusion sur Arte les 7 et 14 Février.