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On a vu pour vous… Taroman, OVNI japonais et manifeste artistique

Taroman, une étrange mini-série que nous proposent les japonais de la NHK, en l’honneur de l’artiste avant-gardiste Taro Okamoto.

C’est quoi, Taroman ? Nous sommes au Japon dans les années 1970, et d’étranges créatures baptisées les Bizarre Beasts débarquent de nulle part. Sun Tower, Running Eye ou Depressed Child : elles s’attaquent à la population et rien ne semble pouvoir les arrêter. Rien ni personne… mis à part Taroman, un géant à tête de soleil venu de la planète Surréalisme. A coup d’explosions de peinture, de mouvements étranges ou de joutes psychologiques, il combat inlassablement ces entités en s’appuyant sur les grands concepts artistiques voire philosophiques de son créateur, l’artiste japonais Taro Okamoto. 

« Dans les années 1970, quelque chose de bizarre a commencé à attaquer le monde. Ces êtres étranges à l’allure avant-gardiste qui sont soudainement apparus sont-ils un signal d’alarme pour l’humanité ? Quelque chose d’aussi surréaliste ne peut être arrêté que par quelque chose d’encore plus surréaliste. Mais existe-t-il quelque chose de plus absurde ? Oui. C’est le Géant de l’Art : TAROMAN » Voici une traduction (approximative) de l’introduction de Taroman. Une mini-série baroque et excentrique de la chaîne nationale japonaise, la NHK, dont les 10 épisodes de 5 minutes ont été diffusés en Juillet dernier en lien avec une exposition consacrée à l’artiste d’avant-garde Taro Okamato. 

Chaque épisode débute par l’apparition d’une Bizarre Beast, un « monstre » basé sur les œuvres de Okamoto, et on entend la phrase Nanda kore wa ! (« Qu’est-ce que c’est !« ). La créature commence son travail de destruction, l’aviation de l’armée japonaise assiste impuissante au carnage, les gens s’affolent… Arrive alors Taroman, un géant venu de la planète Surréalisme qui affronte la créature. Avec des mouvements aléatoires, en détruisant un immeuble (toujours le même, au grand dam du propriétaire des lieux) ou en émettant des ondes étranges, Taroman finit par anéantir son ennemi. Tandis que résonne la voix de Taro Okamoto déclarant «  l’art est une explosion », la beast se dissout, se transformant en peinture qui retombe sur  la ville.

Taroman, le géant né de l’imagination de Taro Okamoto

L’épisode se conclut par une interview du musicien Ichiro Yamaguchi qui raconte des souvenirs (fictifs) de son enfance, quand il regardait soi-disant Taroman à la télévision… Taroman est en effet présentée comme une production des années 1970, dans le plus pur style de Ultraman. Elle en reprend tous les codes et toute l’esthétique.  La qualité de l’image (en 4:3) et du son est délibérément altérée ; les costumes, l’architecture, la technologie semblent appartenir à cette époque. Les effets spéciaux sont bruts et minimalistes avec des décors en carton ou la présence des fils utilisés pour faire voler les objets. C’est digne d’une série Z, c’est au choix ridicule ou délicieusement désuet (ou les deux), et c’est d’une profondeur insoupçonnée. Car Taroman est avant tout un manifeste qui reprend la conception et les idées de Taro Okamoto sur la vie et sur l’art. 

Justement, qui est Taro Okamoto ? Cet artiste japonais (1911-1996) est une figure majeure de la culture nippone du XXème siècle – il a notamment créé la Tour du Soleil pour l’Exposition universelle de 1970 à Osaka, œuvre devenue un symbole de l’art contemporain dans le pays.  Ayant étudié à Paris dans les années 1930, il y a découvert l’art abstrait et le surréalisme, et notamment Pablo Picasso qui a une influence déterminante sur son œuvre. Au fil de sa carrière, il a développé toute une philosophie : pour lui, il faut vivre l’Art dans toute son intensité. Celui-ci n’a pas pour fonction d’être beau ou agréable, mais au contraire impactant, inattendu voire incompréhensible. Et l’artiste doit s’isoler du reste du monde pour se montrer tel qu’il est vraiment, sans avoir peur d’être critiqué voire haï. Artiste prolifique, Okamoto n’a mis presque aucune de ses œuvres en vente car selon lui, l’art appartient au peuple et à la société, pas seulement à quelques privilégiés. 

Taro Okamoto, artiste emblématique de l’art moderne au Japon

Taroman lui-même agit selon cette philosophie. Quitte à se saborder et à tout faire pour perdre face à un monstre, car le vaincre « comme d’habitude » impliquerait de tomber dans la similitude et la répétition, ce que Okamoto abhorrait ; ou quitte à prendre le contre pied de ses admirateurs, car «plaire aux autres revient à se dégrader » . Il refuse aussi l’aide d’un jumeau et le détruit, ne supportant pas d’être imité… La série est donc une transposition de ces idées et des travaux de Okamoto, et tout tourne autour de lui. Non seulement les Bizarre Beasts et  Taroman sont directement tirés de ses œuvres,  mais le narrateur et les personnages citent des extraits de ses écrits et de ses discours pour « expliquer » la situation. 

En arrière-plan de ce monde bizarre, étrange et dérangeant, ces petites phrases sont martelées comme autant de mantras (« L’art est une explosion », « l’art est une chose ridicule à prendre au sérieux », « si vous vous répétez, vous mourrez » ) et, sans qu’on s’en rende compte, incitent à porter un regard différent sur notre conception de l’art, le rôle de l’artiste et sa place dans la société. De quoi rendre cette petite série extravagante encore plus intrigante et perturbante. 

En 10 minuscules épisodes de 5 minutes, Taroman crée un univers bizarre, psychédélique, surréaliste et étrangement addictif. Entre parodie et hommage aux tokustastu (productions japonaises utilisant des effets spéciaux) des années 1970, c’est surtout un porte d’entrée vers le monde de l’artiste Taro Okamoto.  Une surprise totale et une pépite, pour tous ceux qui ont l’esprit ouvert à la stimulation intellectuelle et qui sont prêts à s’écrier : Nanda kore wa ! devant leur écran. 

Taroman
10 épisodes de 5′ environ. 
Disponible sur le site de la NHK et sur YouTube… mais en v.o. uniquement.

En bonus, signalons que le site de la NHK propose une application en AR (réalité augmentée) permettant de faire apparaître Taroman dans votre environnement, depuis votre smartphone ou votre tablette. Vous savez quoi faire si une Bizarre Beast vous attaque dans votre cuisine… 

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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